Peu avant la chute du Mur, la Trabant et la Wartburg ont été équipées de moteurs VW et la Lada Samara et la Skoda Favorit ont même frôlé le niveau mondial. Si depuis, les dernières voitures de la RDA sont devenues des véritables voitures classiques, les deux autres n'en restent pas moins des youngtimers méritantes. Une belle occasion de les comparer s’est présentée à nous.
Ce n’est pas comme si les bonzes du Politburo n’avaient pas de sentiment pour les voitures de qualité. Erich Honecker par exemple était un fan de Volvo et de Citroën et il possédait un Range Rover pour aller à la chasse. Bien sûr, les hautes personnalités savaient que le parc automobile de la RDA vieillissait tout autant que le comité central du Parti socialiste unifié d'Allemagne (SED). En RFA, une voiture de tourisme vivait en moyenne 12 ans avant d’être transformée en cube. Après 28 ans, la Trabant continuait à parcourir les routes de l'Etat ouvrier et paysan. Et pratiquement toutes les Wartburg fêtaient leur 30ème anniversaire, non pas dans leur état d’origine, mais comme des zombies à deux temps reconstruits et transformés à maintes reprises. C’est ainsi que les choses se passaient à la fin de la RDA, et c’est à prendre au pied de la lettre. Pour beaucoup d’Allemands de l’Est, les voitures étaient trop belles pour être utilisées comme il se doit. Les citoyens de la RDA ne parcouraient en moyenne que 9,000 kilomètres par an. Le comité central avait fait ce calcul complexe et constaté que ce chiffre incluait même les véhicules de fonction et les taxis ! Ce n’était pas une question d’argent car la plupart des couples en RDA avait un double salaire. Mais, ils ne savaient pas quand ils pourraient acheter à nouveau une voiture neuve…
Jusqu’à ce que le Mur se fissure, IFA avait un portefeuille de près de six millions de commandes… Ceux qui avaient commandé leur Trabant à Noël 1977 en ont pris le volant pour la première fois en 1989, juste à temps pour l’ouverture de la frontière. De nombreux habitants de la RDA déclinante ont préféré attendre leur « argent de bienvenue » promis avec la réunification et voir venir la vague de voitures d’occasion en provenance de la République Fédérale. D’autres espéraient que la Trabant cesse enfin de bégayer avec son moteur deux temps archaïque. Un voeu exhaussé puisque juste avant que les citoyens de la RDA ne puisse se rendre à l’Ouest, le quatre temps VW est passé à l’Est !
Ce n’est pourtant pas la Trabant qui a reçu en premier le moteur VW, mais la Wartburg disponible à partir de l’automne 1988. Et ce n’est pas Volkswagen qui fournissait le moteur à quatre temps. Il était produit sous licence par la VEB IFA-Kombinat de Karl-Marx-Stadt, le fabriquant du Combi de la RDA, le Barkas B1000, aujourd’hui aussi oublié que le petit emblème 1.3 à l’arrière de la Wartburg...
Gerrit Crummenerl, de Brandis a trouvé sa Wartburg a quatre temps en Hongrie, avec seulement 39,000 km au compteur. Les nouveaux Länder ne sont tout simplement plus assez grands pour les collectionneurs de voitures de l’Est engagés comme lui. Les dernières Wartburg ne sont plus des voitures de collection bon marché. D’ailleurs, dans les derniers jours de la RDA, elles étaient considérées comme des voitures chères, la version de base coûtait un peu plus de 30,000 marks est-allemands. Même les quelques voitures neuves venus de l’Ouest avant la chute du Mur ne coûtaient pas beaucoup plus. Des modèles comme la VW Golf, la Mazda 323 ou la Citroën GSA, d’où sortaient toujours le criminel à la chemise trop largement déboutonnée des séries télévisées est-allemandes comme « Polizeiruf 110 », n’étaient pas si rares dans les rues de la RDA. La Wartburg convenait plutôt aux porteurs de vestes synthétiques à grand carreaux, tant elle faisait vieillot dans sa peinture beige. Pourtant de l’extérieur, elle conservait toujours ce chic fonctionnel des années 70, dont l’inspiration semblait venir tout droit du Bauhaus.
Ce qui était nouveau en 1988, c’était le tableau de bord avec des interrupteurs façon Audi et des tirettes de ventilation qui lorsqu’on les déplaçaient d’un côté à l’autre, faisaient le bruit de quelqu’un qui a marché sur un pot de yaourt. C’est le seul détail qui semblait d'ailleurs avoir été négligé. Il y a 30 ans, de nombreuses voitures de l’Ouest avaient une finition moins soignée que ce modèle de la fin de la RDA !
Le moteur de la Wartburg ne sonne pas différemment du 1,3 litre de la VW Polo. Les appuie-têtes de la Volvo 240 du même âge ne sont pas plus moelleux et les sièges de l’Opel Vectra ne sont pas plus confortables que cette voiture fabriquée en RDA. Aujourd’hui, cette Wartburg de 58 chevaux ne semble même pas boiteuse, même si les valeurs mesurées disent le contraire. Lorsqu’elle était neuve, il en était autrement sur les routes de la RDA. Aujourd’hui encore, elle ne semble toutefois pas complètement perdue dans la vie de tous les jours. Il y a toujours la question de savoir comment a pu venir au monde une voiture de milieu de gamme comme celle-là : en 1975, et avec son trois cylindres à deux temps, elle se vendait sans problème, faute de concurrence. Elle a même été importée en Grande-Bretagne et vendue en Belgique et au Danemark. En RDA, on ne s’est décidé à adopter le moteur à quatre temps que lorsque la Wartburg ne rapportait plus de devises. Pourtant, au final, le moteur VW fut un véritable désastre financier, car les coûts réels des matières premières et de la production dépassaient tous les calculs. De plus, le nouveau moteur avait nécessité beaucoup d’efforts d’adaptation : « C’est notre contribution à la chute de la RDA » raconte aujourd’hui un ancien cadre de VW. Pourtant, au moins au début, les citoyens est-allemands rêvaient de la Warburg 1.3.
Ce ne fut pas le cas de la Trabant à quatre temps, qui ne sera disponible à la vente qu’en mai 1990, pour 19,685 marks est-allemands. La 1.1 jaune érable d’Andreas Reiche de Roda était l’un des rares exemplaires qui se vendait vraiment comme des petits pains : achetée en 1990 pendant les derniers instants de la RDA, elle est ensuite volée pour se retrouver en Pologne. Là-bas, elle a emmener aux champs un agriculteur avant que Andreas Reiche ne la restaure dans son atelier automobile. Même les traces d’effraction sont encore là lorsqu’il acquiert la Trabant, mais le compteur de vitesse est l’argument le plus important : seulement 4,500 km ont été parcourus. « Elle avait l’air très mal en point » raconte-t-il en faisant référence à son état. Les citoyens est-allemands étaient du même avis en 1990 et s’agaçaient de la carrosserie presque inchangée. Les propagandistes de l’Est ont célébré encore brièvement son nouveau capot en tôle au lieu du duroplast ainsi que ses feux arrière agrandis puis ils ont dû vendre la plupart des 1.1 en Hongrie et en Pologne - et ensuite vider leurs bureaux car la VEB Sachsenring n’avait plus d’avenir.
Il n’y eut que 40,000 acheteurs à découvrir le plaisir que peut procurer une Trabi bien motorisée. Il suffit de monter à bord - ce qui n’est pas facile pour les conducteurs de grande taille. Il faut baisser la tête et bien faire attention à la position de ses jambes, sinon la clé de contact se plante dans le genou et le levier de vitesses titille le creux du genou. Après cela, cette voiture classique démarre en trombe grâce à ses 40 chevaux, suit volontiers les mouvements du grand volant à quatre branches et se lance courageusement dans les virages. Ce n’est pas le châssis avec son essieu à bras oblique, nouveau à l’époque, qui va gâcher le plaisir. C’est plutôt le levier de vitesses cartilagineux au plancher et l’absence de maintien des sièges avant, dont le revêtement brun doré rappelle le tissu d'un canapé ancien. Les citoyens de la RDA n’ont pris la Trabant que le temps nécessaire. Ils étaient nombreux à attendre le diesel annoncé en 1989, mais qui ne sera jamais produit en série.
En difficulté, le régime ne prévoyait pas de nouvelle carrosserie pour la Trabant avant 1996, même si au-delà du Mur, il y avait déjà des entreprises capables de fournir des voitures compactes dans le style de la VW Golf. La Lada Samara était même vendue à l’Ouest. Elle faisait le bonheur des radins qui, pour 11,000 marks, n’auraient autrement obtenu qu’une Fiat Panda. En RDA, c’était la voiture de ceux qui gagnent bien leur vie. Elle leur coûtait 35,000 marks est-allemands, mais Lada avait également dû passer à la caisse : pour 50 millions de marks, Porsche à Weissach avait préparé la Samara pour la production en série. Le contrat stipulait que le nom du constructeur de voitures de sport ne devait être inscrit nulle part, mais Porsche louait en revanche devant la presse ouest-allemande, la bonne morale de morale en matière de paiement de Togliatti.
La Lada Samara peut être une voiture décente, mais ce n’est pas une obligation. A l’époque, tous les camarades n’étaient pas égaux devant les tolérances de fabrication de l’usine Lada. Certaines boîtes de vitesses de Samara chantent lorsqu’on les pousse, certains moteurs ont tendance à ronfler. Parfois, même, à chaud, la Samara vibre comme si elle était une vieille Golf Diesel démarrant à froid. Ces trois caractéristiques s’appliquent à la Samara 1.3 beige de Gerrit Crummenerl. C'est peut-être pour cela qu'elle n'a que 13,000 kilomètres derrière elle. Cette Lada de 1986 n'en est pas moins une voiture moderne, avec un arbre à cames en tête, un vilebrequin à cinq paliers et des panneaux de porte dont le grain de plastique brun rappelle les vieilles vestes en cuir en vogue à l'époque. Même la carrosserie a quelque chose d'occidental, au moins pour la deux-portes. Il y a un soupçon de VW Scirocco de profil. La ceinture de caisse basse et les montants de toit élancés donnent à l'habitacle une impression de clarté, il y a beaucoup d'espace et des sièges confortables sur lesquels Erich Honecker ne s'est probablement jamais assis à l'époque de la RDA. La Samara, voiture de rêve de l'Est, aurait pu lui en dire long sur les retards et la vie, même avant Gorbatchev. Ne devrait-on pas, pour cette raison, vouloir une Lada Samara ? Elle a l'air bizarre avec sa garde au sol élevée et ses nombreux plastiques durs bruns, mais elle n'a pas l'air d'être là pour s'amuser.
Elle a cela en commun avec la Skoda Favorit, la voiture avec laquelle le soleil s'est levé définitivement pour les acheteurs de l'Est. Lors de ses débuts en 1987, c'est la compacte que le SED n'a pas osé faire, une voiture compacte avec un design signé Bertone, un moteur transversal en aluminium, une boîte de vitesses à cinq rapports et des ceintures aussi marron chocolat que le reste de l'habitacle. Seuls les revêtements des sièges de la première Favorit ressemblent encore à des produits en nylon de la VEB Strumpfkombinats Esda. Mais cela ne dérange pas, car la conduite est vraiment fluide pour une petite voiture bon marché de ces années-là. Cette Favorit n'a pas de direction assistée, mais elle se déplace déjà de manière directe et souple, et les cinq vitesses s’enclenchent avec précision. Son sous-virage n'est déjà plus obstiné et son tableau de bord avec ses nombreux voyants lumineux n'est pas un accident de design. Assis derrière le volant, on pourrait se croire dans une Peugeot ou une Fiat et presque dans une VW. C'est d'ailleurs ce qui se passera plus tard. Quelques retouches et la Favorit devient la Skoda Felicia, qui rivalise effectivement avec la Polo. Quelques années après, Skoda montre au monde ce qu'une marque de l'Est peut vraiment faire avec l'Octavia. C'est la chance qu'Honecker et les autres pontes de la RDA ont perdu à l'arrière de leurs Volvo et Citroën.
Ces héroïnes tragiques de la RDA sont aujourd'hui de charmantes voitures classiques : la Trabant 1.1 et la Wartburg 1.3 ressemblent à des voitures des années soixante, mais se conduisent comme des youngtimers - tout en racontant une partie passionnante de l'histoire automobile germano-allemande. La Lada Samara et la Skoda Favorit sont bien sûr bien plus avancées, mais c'est aujourd'hui leur plus grand handicap : ces anciennes voitures de rêve de l'Est se conduisent de manière aussi sage et pâle que toutes les autres compactes de leur époque. Pourtant, c'était justement la plus grande de toutes les réalisations possibles sous le socialisme !
Lu sur : https://www.autozeitung.de/wartburg-trabant-samara-favorit-classic-cars-201490.html
Adaptation VG