Le 22 novembre 1960, la première ZAZ-965 de série a été produite par l’Usine Automobile de Zaporojié. Il s’agissait de la légendaire Zaporojets, surnommée populairement « la bossue » (Gorbaty en russe) pour la forme caractéristique de sa carrosserie copiée sur la Fiat 600 italienne. Malgré de nombreux défauts, cette voiture était très populaire car elle était relativement peu coûteuse, facile à utiliser et parfaitement adaptée aux routes soviétiques. En 1960, la ZAZ-965 était la voiture la plus abordable pour le citoyen de l’URSS : plus de 322,000 exemplaires, toutes versions confondues, ont été produits au total.
En URSS, à l’aube des années 1960, on avait compris la nécessité de créer une voiture peu coûteuse, compacte voire sub-compacte. La dévastation des années d’après-guerre faisait progressivement du passé, on construisait massivement des logements et le bien-être des citoyens s’améliorait. Moscou se développait rapidement - les transports publics ne pouvaient pas suivre le rythme. Les habitants des citées dortoirs avaient besoin d’une voiture personnelle : compacte, bon marché et pas trop chère à exploiter. Le principal moyen de transport individuel dans le pays - la moto - était encore adapté à la campagne mais ne pouvait pas répondre aux besoins des citadins.
Malgré tout, peu de gens pouvaient se permettre d’acheter la production de GAZ : la Volga et surtout la Tchaïka étaient considérées comme des voitures d’élite pour l’élite. La première Moskvitch produite en masse - la Moskvitch 400 - était déjà obsolète et sa production venait d’être stoppée. Les modèles qui la remplaçaient étaient non seulement plus puissants et de meilleure qualité, mais aussi plus chers. On avait aussi besoin d'un véhicule qui permettrait aux personnes invalides de prendre le volant. Et ils étaient encore nombreux après la Grande Guerre Patriotique. Hormis les quadricycles primitifs de l’usine de Serpoukhov (que l’on surnommait « Morgounovka » grâce au film « Opération Y et autres aventures de Chourik » de Leonid Gadaï), on ne produisait rien pour les handicapés.
La voiture qui réunissait toutes les qualités énumérées ci-dessus était la ZAZ-965 - elle était le résultat des travaux de deux entreprises à la fois. L’Usine de moteurs de Melitopol (MeMZ) suite aux travaux de l’Institut NAMI, fabriquait le moteur MeMZ-965, un quatre cylindres essence à quatre temps de 23 chevaux et l’Usine Automobile de Zaporojié (ZAZ), qui était auparavant spécialisée dans la production de moissonneuses-batteuses et de tracteurs, assemblait le reste de la voiture. Plus tard, en 1975, MeMZ sera d'ailleurs intégré à ZAZ.
Le premier prototype de Zaporojets a été assemblé le 18 juin 1959 et les premiers modèles assemblés dans le cadre de la production de série, ont quitté la chaîne de montage ZAZ le 22 novembre 1960. Ce fut une année également réussie pour toute l'Union : les footballeurs soviétiques ont remporté la Coupe d’Europe, les chiens-cosmonautes Belka et Strelka sont revenus sains et saufs sur Terre et Moscou s’est étendue au-delà de son MKAD, le périphérique, engloutissant cinq villes et de nombreux villages. La Zaporojets, bien sûr, fut également un véritable phénomène. Lors de la conception du premier modèle, les concepteurs de Zaporojié avaient beaucoup emprunté à la Fiat 600 italienne - les voitures étaient très similaires en apparence. On se souvient de la blague « les Zaporojets écrivent un courrier à Fiat ». C’était un indice de la faible qualité de la voiture soviétique par rapport l’originale qui jouissait d’une grande popularité en Italie et dans les pays d’Amérique du Sud...
Dans la réalité soviétique, la petite voiture européenne purement urbaine s’était toutefois mue en voiture tout à fait adaptée à une utilisation sur des routes inconfortables et même, s’il le fallait, pour emprunter des chemins non carrossables. Le moteur avait été totalement conçu en URSS, tandis que la transmission, y compris l’embrayage, et la boîte 4 vitesses, étaient similaires à la Fiat. Des versions à commandes manuelles destinées aux personnes handicapées ont également été produites. Ces voitures étaient confiées gratuitement aux invalides de la Seconde Guerre Mondiale pour une durée de 7 ans, sans droit de revente ou de transfert.
Si la carrosserie avait été copiée de la Fiat 600, deux options avaient été envisagées pour le moteur : VW et Tatra. Au final, la variante tchécoslovaque a été préférée à la version allemande, dans la crainte d’un scandale international. Mais l’exploitation des premières ZAZ-965 a rapidement montré à ses concepteurs ses défauts. En 1962 a commencé la production d’une version améliorée - ZAZ-965A « Zaporojets ». La puissance moteur avait été portée à 27 chevaux. Cette voiture a ensuite été fabriquée jusqu’à la fin de la décennie, tandis que la première version a rapidement quitté la chaîne de montage. En raison de la forme de sa carrosserie, la voiture a été surnommée « la bossue ».
« L’URSS n’était pas préparée à l’invasion de l’automobile » déclarait Elena Tverdioukova, docteur en sciences historiques dans son ouvrage « Anti-Service : la voiture personnelle et sa maintenance dans l’URSS (1960-1980) » publié en 2018. « Les milliers de citoyens soviétiques, qui rejoignaient chaque année le rang des heureux propriétaires de voitures, ont rapidement perdu leur euphorie en découvrant à quel point il été difficile de trouver de l’essence ou de l’huile, de trouver une place de parking pour leur « cheval de fer », de stocker des pièces de rechange, d’effectuer l’entretien courant ou de remédier à une panne. Tout ce qui concerne le service routier en URSS était un vrai désastre ».
Le parc automobile privé en URSS en 1960 comptait environ 450,000 voitures. Environ 150,000 d’entre elles étaient immatriculées à Moscou. Dans le même temps, seules sept stations-services étaient ouvertes dans la ville ! La plupart des amateurs de voiture faisaient eux-mêmes les réparations ou faisaient appel à des amis.
Les habitants de l’espace post-soviétique connaissent beaucoup mieux la ZAZ-966 que le premier modèle ZAZ et ses dérivés. Celle-ci a commencé à être développée dès 1961, en essayant de prendre en compte les défauts de son prédécesseur, et sa production en série a débuté en 1966. La puissance était passé à 29 ch, et le compteur était gradué jusqu’à… 120 km/h ! En raison de ses prises d’air caractéristiques sur les côtés, elle était la Zaporojets « à oreilles » et pour la forme de sa carrosserie on la surnommait aussi le « porte-savon ». Dans les années 1970, le moteur a été porté à 40 ch même si dans ces années-là, elle semblait déjà obsolète. Dans les conditions de l’économie planifiée ZAZ et MeMZ, qui y avait été intégré, n’avaient plus ni les moyens, ni la capacité de développer indépendamment et d’amener de nouveaux modèles à la production de masse.
Les Zaporojets ont connu leur âge d’or dans les années 1960-1970. Depuis la fin des années 1980, la voiture est surtout connue pour les nombreuses blagues à son égard. Pourtant, dans certaines régions, on pouvait encore trouver des ZAZ dans les années 1990 et même au début des années 2000. La voiture a été qualifiée « d'affront aux droits de l’homme ». L’habitacle de la Zaporojets était étriqué et inconfortable, elle était imprésentable d'apparence et sa consommation trop élevée pour une voiture de cette catégorie. Le refroidissement par air de son moteur était une source de problème par temps chaud. Les chauffeurs devaient s’arrêter sur le bord de la route et attendre que le moteur refroidisse. De plus, à cause de son chauffage additionnel fonctionnant à l’essence, des Zaporojets étaient souvent victimes d’incendie…
La Zaporojets n’était toutefois pas la seule carte de visite de l’Usine Automobile de Zaporojié. Ses spécialistes ont développé la famille ZAZ-970, avec à sa tête un minivan à six places. Ils ont également mis au point un véhicule tout-terrain, qui a été produit à Loutsk sous le nom de LuAZ-969. A la fin des années 1980, ZAZ a fabriqué la Tavria. La détérioration de la situation économique dans le pays a cependant créé des problèmes de composants et d’assemblage et les voitures de Zaporojié ont acquis la réputation d’être peu fiables et d’avoir des pièces de rechange difficiles à trouver. Après l’effondrement de l’URSS, les choses sont devenues critiques pour l’usine qui est passée sous le contrôle du sud-coréen Daewoo.
Industrialisée à l’époque soviétique, la région de Zaporojié occupe aujourd’hui en Ukraine la première place en termes de taux de désindustrialisation. Plusieurs grandes usines ont été déclarées en faillite et ont immédiatement cessé leurs activités, notamment dans le domaine de l’acier. Quant à ZAZ, elle est présentée sur son site internet officiel comme « la seule entreprise en Ukraine à avoir un cycle complet de production de voitures particulières ». Dans le même temps, au premier semestre 2016, l’usine n’avait produit que quatre voitures, alors qu’avant la crise économique de 2008 elle fabriquait plusieurs milliers de voitures par mois. A en juger par le fil d’actualité de son site internet, ZAZ n’a récemment produit que des minibus.
Lu sur : https://www.gazeta.ru/science/2020/11/21_a_13370113.shtml
Adaptation VG