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Finalement attachante : la Tavria.

Tous les jours je passais près d’elle. Elle était garée devant une maison de la rue Sadyba à Varsovie et je m’étonnais souvent de sa pauvreté aux côtés de SUV modernes et autres Passat. Un jour un petit panonceau a fait son apparition sur la vitre arrière : « A vendre ». Je me suis dit que cela serait dommage de ne pas me renseigner. Alors j’ai appelé.

Au téléphone une vieille dame m’a raconté que la voiture appartenait à son frère, âgé de 90 ans, et qu’il ne peut plus la conduire. Avant il ne l’utilisait que pour aller à la pèche en Mazurie. J’ai tout de suite imaginé le vieil homme roulant à faible allure sur cette route nationale qui conduit à la région des lacs mais je suis toute de suite revenu à l’essentiel, c'est-à-dire le prix de la voiture. Avec conviction, la vieille dame m’a répondu qu’elle ne voulait pas descendre en dessous de 9,000 zlotys... J’ai raccroché.

Cette Tavria continuait tout de même à me tarauder. J’ai demandé à un ami de rappeler. Il a écouté l’histoire sur les poissons et la Mazurie puis il a parlé d’argent. « Monsieur, pas en dessous de 9,000 ». Peut-être que la vieille dame avait un problème avec la dévaluation de la monnaie polonaise (en 1995 !) et n’avait pas la moindre idée de la valeur de 9,000 « nouveaux » zlotys ? Mon ami s’est tout de même déclaré intéressé et elle a proposé de conclure l’affaire le week-end suivant. Il ne pouvait pas et il a demandé si son beau-frère (c'est-à-dire moi !) ne pouvait pas venir à sa place. « Absolument pas Monsieur ! L’achat d’une voiture est une décision importante et vous ne pouvez pas confier cela à votre beau-frère. Donc soit vous voulez acheter la voiture, soit vous ne voulez pas ! » lui a-t-elle répondu. Ils se sont donc mis d’accord pour le lundi mais avant 11h car elle partait en voyage avec son mari. Quand mon ami lui a demandé, curieux, où ils allaient elle a répondu : « Au centre de Varsovie, Monsieur ».

Le lundi nous nous sommes donc présentés à l’heure au rendez-vous. Nos hôtes nous ont proposé une tasse de thé que nous avons refusé. La Tavria a démarré du premier coup et ce que l’on a vu sous le capot nous a fait meilleure impression que son aspect extérieur. Le moteur était très propre le compteur n’affichait que 34,000 km. Cela paraissait réaliste. La voiture était en parfait état de marche. Le chauffage était bloqué (maintenant il fonctionne et comment !). Fait intéressant, la voiture était équipée de ses pneus, ukrainiens, d’origine. Il serait difficile de dire que nous avons négocié puisque le couple de personnes âgés nous a simplement dit qu’il n’y avait aucun moyen de négocier. Nous avons donc payé ce qu’ils nous demandaient (9 millions !) et nous sommes repartis avec la voiture.

J’ai donc eu l’occasion de conduire pour la première fois de ma vie une Tavria. Il faut rappeler qu’en Pologne la Tavria a été l’une des voitures les moins chères du marché, si ce n’est la moins chère. Cette recherche du prix le plus bas est visible à chaque instant : manivelles de vitres, témoins au tableau de bord qui clignotent, aiguille du compteur qui vibre sans arrêt. S’il n’était pas nécessaire de monter quelque chose sur la Tavria, vous pouvez être sûr qu’il n’a effectivement pas été monté ! Par exemple, il n’y a pas de boutons de réglage d’inclinaison pour le siège conducteur. Il est quasi vertical. Sûr que notre vieillard aimait aller à la pêche dans cette position. C’est avec une pince que je vais réussir à le régler. L’intérieur est pourtant très original : au-dessus de la portière conducteur il y a un lampe pour lire les cartes... qui d’ailleurs ne fonctionne pas.

Fait intéressant, ce sont surtout les personnes âgées qui achetaient la Tavria. Mon grand-père avait déjà presque 80 ans quand il a voulu en acheter une, guidé par son prix bas, son aspect relativement moderne et sa foi en la bonne qualité des productions de l’Union Soviétique. Nous l’avons persuadé de changer d’idée et d’acheter quelque chose d’autre. Ceux qui sont nés bien avant la Seconde Guerre Mondiale pensent souvent que les produits soviétiques sont robustes et citent en exemple la Lada et la Volga : la Lada était mieux que la PF 125p et la Volga mieux que la Warszawa.

Malheureusement, il n’est pas possible de résister à l’impression que, même en bon état, la Tavria est une voiture de piètre qualité. Pas étonnant que Buick à une époque faisait travailler cinq ingénieurs dans un département appelé « Impressions à la fermeture des portières ». Le bruit que fait la Tavria lorsque vous claquez la porte et la force que vous avez à produire sont certes très bons, mais on voit que la qualité est vraiment un sentiment subjectif... Avec la Tavria on a l’impression de fermer la porte d’une cabine de douche. Faite la même chose avec une Volvo 340 ou une Toyota Starlet et vous comprendrez la différence.

Pourtant, la conduite de cette voiture est un réel plaisir. Bien qu’il soit impossible de rouler à plus de 100 km/h en raison des roues sans flasque (une caractéristique quasi-unique au monde) et des quatre tambours qui ne procurent pas une grande puissance de freinage, la Tavria est assez vive et pas trop bruyante. La seule chose qui dérange est le bruit de la distribution qu’aucun réglage ne peut faire cesser. Tel est le charme d’une cosaque. Ce que j’apprécie aussi à son volant est que personne ne me colle au cul. L’odeur à l’échappement est telle qu’aucun filtre d’habitacle ne peut y résister. Les autres conducteurs préfèrent donc rouler à distance respectable. C’est plus sûr.

Un matin j’ai pris la Tavria pour aller travailler. J’ai fait cette observation intéressante : cette voiture est un objet de désir pour de nombreux utilisateurs de Tico et de Cinquecento. Elle est plus grande et, plus généralement, plus confortable. A Pruszkow, là où j’habite, on me regardait plutôt avec dédain car avec mes plaques d’immatriculation, on pensait que j’étais un habitant de la capitale ! A Varsovie justement la Tavria fait plutôt sourire : « Put... quel hipster, il roule en Tavria avant même qu’elle ne soit à la mode ! ».

Pour moi qui a de l’expérience en matière de voitures « anciennes », je peux dire que la Tavria est tout à fait remarquable. La position de conduite ne peut être comparée à rien d’autre. Elle est totalement à l’inverse de celle de la Lada où il fallait avoir des jambes très courtes et de longs bras. Là, il vous faut des jambes de sprinter kenyan parce que le pédalier est positionné très profondément. Comme dans une Trabant, il est décalé vers le centre de la voiture. Le passager pourrait presque accélérer à la place du conducteur ! Une fois installé au volant et une fois compris que la clé de contact se trouve à gauche, vous pouvez y aller. Enfin presque. Car il faut aussi comprendre comment passer la marche arrière. Chose jamais vue ailleurs, la marche arrière est en haut à droite, là où on trouve traditionnellement la cinquième !

C’est une voiture à carburateur. Il faut mettre le starter pour démarrer et ne pas tirer trop sur les gaz au risque de noyer le moteur. C’est simple, l’analphabétisme automobile atteint un tel niveau que vous pouvez maintenant laisser une vieille voiture dans la rue avec les clés sur le contact parce que personne ne sera en mesure la démarrer ! La Tavria est une voiture à qui il faut beaucoup pardonner. Elle tire à gauche ? On lui pardonne. Les vitres descendent mal. On peut lui pardonner. Elle vibre au démarrage ? Eh, c’est une Tavria ! D’où cette conclusion intéressante. Dans ce monde moderne où tout doit être « premium » et « prestige », en particulier en matière d’automobile, la catégorie « Non-prémium » n’existe pas. Heureusement il y a la Tavria...

Quand à 80 km/h vous voulez passer la cinquième il faudra bien réfléchir. La cinquième se trouve à côté de la quatrième. Du jamais vu ! La Tavria dispose aussi d’un système de sécurité très sophistiqué qui consiste au fait qu’à environ 95 km/h le volant commence à tellement vibrer que vous ne pouvez plus le tenir entre les mains. C'est de cette façon que la voiture vous avertit : « Ce véhicule n’a pas été conçu pour conduire sur autoroute, merci de réduire la vitesse à niveau plus sûr ». Je vous assure qu’aucun conducteur ne pourra ignorer cet avertissement ! Tous les fabricants nous parlent de sécurité et en même temps il nous font des voitures ridiculement puissantes, faisant des centaines de chevaux et capables de passer de 0 à 100 km/h en quelques secondes. Même des Skoda ! Ma Tavria fait 53 chevaux et ma Volvo 54. C’est largement suffisant.

Dans l’ensemble la Tavria est une voiture très chouette. J’ai un lien très fort avec elle. A chaque fois qu’elle me mène à destination je lui suis plein de gratitude. Je la remercie de ne pas être tombée en panne. C’est un peu comme feu le chien de ma femme. Il était assez laid. Ce n’était pas un chien de race. C’était un chien un peu bête mais il était difficile de ne pas l’aimer... La Tavria me rappelle ce vieux toutou. Et je pense comprendre pourquoi les personnes âgées avaient tellement envie d’en acheter une.

Bonus avant la vidéo. Malgré le froid, je n’ai pas pu résister à prendre en photo la Tavria nez à nez avec la nouvelle BMW i3. La voiture la plus innovante face à la pire voiture faite ces dernières années ! A moins que cela ne soit l’inverse ?

Légende des photos :

  • Il y a même un déflecteur aérodynamique sur l’essuie-glace, wow !
  • Le bouchon de réservoir est à combinaison. Cela n’a pas de sens !
  • Le démarreur est bien sûr à gauche comme sur la Lada... et comme sur la Porsche.
  • Une belle collection.
  • Ça fleure bon les années 80.
  • Trois vis et...
  • Il est fixe.
  • A chaud il est plutôt silencieux.

Lu sur :
http://www.zlomnik.pl/index.php/2013/12/05/zlomnik-testuje-zaz-tavria-czesc-1/ (partie 1)
http://www.zlomnik.pl/index.php/2013/12/06/zlomnik-testuje-zaz-tavria-czesc-2/ (partie 2)
Adaptation VG

Tag(s) : #ZAZ, #Tavria, #Essai, #Témoignage, #Pologne