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Peu de constructeurs automobiles peuvent résister à l'attrait du livre des records. Bien sûr, tous les records ne sont pas égaux : comparez les 19 victoires de Porsche au Mans avec les sept loopings de la piste Hot Wheels de Jaguar, approuvés par le Guinness. Malgré la disparité de gloire, tout record lié à un circuit est chargé d'un potentiel marketing. Et tous les constructeurs automobiles veulent figurer dans les livres d'histoire, y compris Yugo.

En 1988, le constructeur automobile du bloc de l'Est - par l'intermédiaire de son importateur Yugo America - s'est lancé dans l'ambitieuse tentative d'établir un certain nombre de records d'endurance sur le Superspeedway de Talledega, en Alabama. Le fer de lance du projet n'était autre que le légendaire Zora Arkus-Duntov, considéré comme le « Père de la Corvette ».

Malheureusement, bien qu'une paire de Yugo préparées se soit rendue en Alabama en octobre 1988, elles n'ont jamais fait un tour de roue sur la piste. La Yugo était apparemment destinée à détenir un titre unique et incontesté... celui de la pire voiture jamais fabriquée (“The Worst Car Ever Made »).

Alors que j’effectuais des recherches dans le cadre d'un projet au GM Heritage Center, près de Détroit, je me suis vu remettre une liasse de documents apparemment mal classés. On y trouvait la correspondance personnelle de Zora Arkus-Duntov, dont un certain nombre de documents portant son en-tête personnelle et datés d'après son départ à la retraite de GM en 1975. Une paire de lettres, reproduite ici avec l'autorisation de General Motors, se démarque.

Avant d'entrer chez GM dans les années 50, Zora Arkus-Duntov et son frère Yura ont créé Ardun Mechanical Corporation, une entreprise devenue célèbre pour les culasses hémisphériques de remplacement qu'elle proposait pour le flathead V8 de Ford. Zora Arkus-Duntov a ensuite travaillé pour la société britannique Allard Motor Car Company, pilotant même pour l'équipe d'usine au Mans. Bien qu'il ait rejoint General Motors en tant qu'ingénieur assistant en mai 1953, Il est retourné sur le circuit de la Sarthe en 1954, cette fois avec Porsche, et a conduit la 550 Spyder à une victoire de classe. De retour aux États-Unis, il construit l'héritage pour lequel on se souvient le mieux de lui : faire de la Corvette une voiture de sport.

Après avoir quitté GM en 1975, Zora Arkus-Duntov a poursuivi son travail de consultant en ingénierie. Il a développé des collecteurs d'admission pour Holley dans les années 80. Plus tard, il a été engagé par Global Motors (la société mère de Yugo America) par l'intermédiaire de son énigmatique dirigeant, Malcolm Bricklin, pour aider à développer l'image sportive de la Yugo.

Zora Arkus-Duntov se distingue par son intense curiosité. Dans sa quête de vitesse, il n'avait de cesse de bricoler et de peaufiner le véhicule dans lequel il se trouvait. Tony Ciminera, alors vice-président senior de Yugo America pour la production et l'ingénierie, raconte que Zora Arkus-Duntov a un jour voulu établir un record de vitesse avec un avion qu'il avait construit lui-même. Il avait l'intention d'utiliser le trois cylindres Suzuki de la Chevrolet Sprint/Geo Metro, mais sa femme n'en a pas voulu. Tony Ciminera raconte qu'elle a « dit à GM de trouver des excuses pour qu'il ne puisse pas obtenir de moteur ».

C'est Zora Arkus-Duntov qui a décidé de tenter de battre un record d'endurance avec la Yugo. Selon la biographie de Jerry Burton sur Arkus-Duntov (« Zora Arkus-Duntov : The Legend behind Corvette », 2002), Malcolm Bricklin et Tony Ciminera prévoyaient à l'origine une série de courses mono-marques, dans la veine du Corvette Challenge. C'est alors que Zora Arkus-Duntov, après avoir parcouru les livres de records de la FIA, a trouvé un certain nombre de records qui semblaient faciles à battre.

Malcolm Bricklin n'a pas eu grand-chose à voir avec la tentative de record. Lors d'une brève interview, il nous a dit que « c'était le projet favori de Zora et de Tony [Ciminera] ». Et si la chronologie des machinations de Yugo est correcte dans l'excellent ouvrage de Jason Vuic (« The Yugo : The Rise and Fall of the Worst Car in History »), Malcolm Bricklin aurait été pratiquement mis à l'écart à cette époque, puisque sa société avait été rachetée en mars 1988 par une société d'investissement (bien qu'il soit resté en tant que consultant).

Zora Arkus-Duntov a remarqué que la Yugo pouvait entrer dans la catégorie A, groupe II, classe 6 de la FIA pour les records d'endurance (ou de vitesse). Le groupe II était réservé aux moteurs à cycle Otto à aspiration naturelle ; la classe 6 comprenait les moteurs de plus de 1,100 cm3 mais de moins de 1,500 cm3. Les records existants avaient été établis le 31 juillet 1981 sur le Bonneville Salt Flats par Larry Wilcox et sa Mercury LN7, la version haut de gamme de la Ford EXP. Un coup d'œil dans le livre des records de la FIA montre que ces records sont toujours valables aujourd'hui. (Pour les fans de la télévision des années 70, le nom de Larry Wilcox vous dit peut-être quelque chose. Oui, il s'agit de l'acteur qui jouait Jon Baker dans CHiPs !).

Zora Arkus-Duntov a parcouru les records à la recherche d'un défi qui conviendrait aux forces particulières de la Yugo. Le record du mile lancé et du kilomètre arrêté étaient les deux records les plus anciens de la catégorie de la Yugo et les records longue distance étaient prêts à être battus. Il a opté pour test d'endurance sur une piste ovale.

Tony Ciminera a fait appel à Kim Baker, un pilote du Massachusetts, pour construire une paire de Yugo - une rouge, une bleue - pour une course de 24 heures sur l’anneau de Talladega. Baker est probablement mieux connu pour ses succès en course avec des Corvettes C4 dans diverses séries de courses d'endurance, mais avant cela, il avait piloté une Fiat X1/9 en compétition SCCA - avec l'aide occasionnelle de l'importateur de Fiat, International Automobile Importers (IAI). À l'époque, Tony Ciminera en était le vice-président. Étant donné que la Yugo était un développement sous licence des Fiat 127 et 128 - les ancêtres de la X1/9 -, Baker était le dernier espoir pour que la Yugo puisse entrer dans le livre des records.

Kim Baker nous a raconté que les modifications qu'il a apportées aux deux Yugo étaient minimes et axées sur la fiabilité plutôt que sur la vitesse. Les voitures étaient basées sur la Yugo GVX, qui disposait d'un moteur plus gros de 1,300 cm3 et d'une boîte de vitesses manuelle à cinq rapports. Il a modifié la transmission en ajoutant une cinquième directe qui réduisait les frottements et ajoutait la solidité indispensable à l'ensemble boîte-pont d’origine Fiat. Les deux voitures étaient équipées de réservoirs de 32 gallons avec des orifices de remplissage des deux côtés, de sorte que deux membres de l'équipe munis de dump cans (NDT : des bidons se vidant par gravité dans le réservoir typiques des courses de Nascar) pouvaient rapidement ravitailler chacune d'entre elles.

Pour minimiser les changements de comportement durant les longs relais, Kim Baker a déplacé les réservoirs de carburant bien en avant de leur emplacement habituel. Des plaques facilitaient la circulation de l'air sous la Yugo, et les roues étaient déplacées vers l'extérieur. Un radiateur plus petit a été installé ; le moteur ne nécessite qu'un tiers du flux d'air de refroidissement par rapport à l'origine, de sorte que le masque avant pouvait être fermé pour améliorer l'aérodynamique. Kim Baker a monté l'échappement de manière à ce qu'il soit presque au même niveau que le bas de caisse.

Comme les freins n'étaient pas vraiment nécessaires sur l'ovale de 2,66 miles de Talladega, Kim Baker a en fait réduit le système de freinage pour gagner du poids, en utilisant des disques et des tambours plus légers ainsi que des plaquettes et des étriers plus petits. Il a installé un dispositif permettant de rétracter davantage les plaquettes pour minimiser la trainée et a choisi des roulements de roue de plus grand diamètre pour minimiser les pertes par frottement. À la place des coussinets de suspension, il a utilisé des roulements conçus pour maintenir les roues à un carrossage et à un pincement nuls, là encore pour réduire la traînée. Kim Baker a même effectué des essais en roue libre sur un aéroport local pour vérifier le « glissement » de la Yugo.

Un arceau de sécurité minimal a été fabriqué pour protéger les conducteurs, et toutes les vitres autres que le pare-brise ont été remplacées par du plastique. Étant donné que la vitesse à laquelle ils allaient se confronter aux virages relevés de Talladega ne générerait pas de charge latérale extrême, Kim Baker a équipé les Yugo de pneus à faible résistance au roulement. Il a même mis en œuvre une astuce qu'il avait apprise sur ses Corvette de course d'endurance pour réduire le temps de changement des pneus : des goujons de roue avec un large filetage.

Mike Baker a augmenté la cylindrée de chaque voiture pour la porter juste en dessous de la limite de la catégorie, soit 1,500 cm3, plus, comme il le dit lui-même, « les modifications habituelles pour la course ». Fait intéressant, il a remplacé le système d'injection d'origine de chaque voiture par une paire de carburateurs Weber. Certes, les carburateurs sont plus faciles à régler que les injecteurs des années 80, surtout pour des longs relais à un régime stable, mais Mike Baker avait une préoccupation plus pratique. Les Webers étaient moins chers !

Yugo America n'a jamais payé Kim Baker pour son travail, mais la société l'a laissé devenir propriétaire des voitures. L'endroit où se trouvent les deux Yugo est désormais un mystère - si quelqu'un connaît une Yugo avec un arceau avec des modifications bizarres qui traîne quelque part, merci de laisser une note dans les commentaires ! Kim Baker pense que les voitures ont été envoyées à la casse, mais nous pensons que les groupes motopropulseurs ont fini quelque part dans des voitures de course du club Fiat.

Pourquoi n'avons-nous jamais entendu parler de ces tentatives de record ? Les blagues de fin de soirée qui s'en prenaient aux Yugo et à leurs conducteurs tout au long des années 80 se seraient certainement emparées de la nouveauté que représentait une GVX habillée pour la course, n'est-ce pas ? Eh bien, ces courses d’endurance n'ont jamais eu lieu.

Yugo America a loué le Superspeedway de Talledega pendant une semaine en octobre 1988. Tony Ciminera et Kim Baker ont amené les voitures dans le sud. Mais Yugo America a annulé la location alors que les voitures étaient à peine déchargées !

« Duntov a reçu l'appel à son hôtel la nuit précédant la course », écrit Jerry Burton. « Les voitures n'ont jamais fait un tour de roue. Ce fut l'un des moments les plus embarrassants de ma vie que de dire à Zora que le programme était arrêté », a déclaré Tony Ciminera.

Pourquoi Yugo a-t-il interrompu sa tentative de record ? Il existe deux scénarios, tous deux plausibles - il s'agit probablement d'une combinaison des deux :

  • Les troubles politiques en Yougoslavie signifiaient qu'une tentative de record très médiatisée paraîtrait frivole dans un pays s’opposant avec le communisme.
  • Global Motors, la société mère de Yugo America, connaissait des difficultés financières. La société d'investissement qui avait racheté Global Motors à Malcolm Bricklin et espérait qu'une nouvelle ligne de produits serait commercialisée par l'intermédiaire de la société malaisienne Proton.Mais cela ne s'est jamais produit.

En un coup de fil, le rêve de record s'est évanoui. Onze ans plus tard, l'usine elle-même disparaissait à la suite d'une frappe aérienne de l'OTAN pendant la guerre civile qui a déchiré la Serbie. Depuis, l'usine a été réaménagée pour construire des Fiat. Comparée à la Yugo, cependant, nous aimons à penser que même la Fiat 500L aurait une chance d'entrer dans le livre des records d'endurance. Et vous ?

Lu sur : https://www.hagerty.com/media/motorsports/talladega-and-zora-the-untold-saga-of-yugos-endurance-record-attempt/
Adaptation VG

Tag(s) : #Histoire, #Yugo, #Record, #USA