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« Il disait qu’il ne vendrait jamais sa voiture, et que lorsque sa santé ne lui permettrait plus de conduire, il la mettrait à la casse ou l’écraserait contre un arbre. Une voiture, un seul propriétaire ». Entretien avec Bartosz Cygan et son projet « Première main », sa thèse à l'Ecole du Cinéma de Lodz.

Bartosz Cygan est en dernière année à l'Ecole du Cinéma de Lodz. Je suis tombé sur son blog par hasard, et le projet « Première main », dans lequel il recherche des conducteurs utilisant encore des voitures achetées à l'époque communiste, m'a beaucoup intéressé.

Sa passion pour les vieilles voitures et la photographie, a mené Bartosz Cygan à choisir ce sujet pour la thèse qu’il passe sous la supervision du professeur Wojciech Prazmowski, l'un des maitres de la photographie en Pologne.  

Certains disent que les photographies peuvent raconter des histoires. Les photographies de Bartosz sentent les garages, l'essence à faible indice d'octane, les garnitures en skai. Les héros de ces photos sont des personnes qui, il y a vingt, trente ou quarante ans, ont réalisé leur rêve en achetant une voiture et n'y ont pas renoncée, même si beaucoup de choses ont changé en Pologne depuis la fin de l'ère communiste. Un vieil amour ne rouille jamais ?

Q : Je dois admettre que vous avez choisi une idée plutôt inhabituelle pour votre thèse. En premier lieu, d'où vous est venue cette idée ?
R : L’idée est née lors d’une conversation avec un de mes amis, lui aussi passionné de voitures anciennes. Il m'a raconté que le grand-père de sa femme possède à Cracovie, une belle Polski-Fiat 125p rouge, achetée dans les années 1980. J'ai décidé de lui rendre visite. C'était censé être une unique rencontre, mais M. Lucjan a commencé à me raconter comment il était allé la chercher à Rzeszow et l'avait achetée en dollars, ce qui aujourd'hui sonne comme quelque chose de surréaliste. Il avait le choix entre deux couleurs : gris et rouge. Il a choisi cette dernière.

Q : C’est parce que vous avez aimé cette histoire que vous avez continué ?
R : Exactement. J'ai commencé à chercher parmi mes amis des cas similaires où quelqu'un possède la même voiture depuis le début. J'ai trouvé un autre héros, M. Jan de Tarnow, qui utilise sa Skoda depuis 1987. Il m'a raconté beaucoup d'histoires, notamment comment il est parti avec cette voiture (et sa femme) en vacances. Il m'a assuré que la voiture ne l'a jamais laissé tomber. Il a envisagé de la vendre, mais a décidé qu'une voiture, c'est comme une femme - plus longtemps vous êtes ensemble, plus il est difficile de s'en séparer.

Q : A partir de là, vous avez enchaîné les histoires similaires...
R : Ce n’a pas été le cas ! J’ai continué à chercher mais c’était mal parti. La date limite pour ma thèse approchait (15 février) et je n’avais pas assez de matériel. J’ai donc créé un blog au début du mois de février, où j’ai publié des photos de M. Lucjan et M. Han et de leurs voitures. Je ne sais pas comment cela s’est répandu, mais le tout premier jour, j’ai eu 4,500 visites. J’ai ensuite créé une page d’accueil sur Facebook, qui compte aujourd’hui plus de 500 likes et 16,000 vues. Mais surtout, de plus en plus de personnes ont commencé à s’inscrire !

Q : Où vous êtes-vous rendu pour la dernière fois à la recherche d’un propriétaire de la première heure ?
R : C’était mon premier voyage. Je me suis rendu à Minsk Mazowiecki. Une autre histoire intéressante, car j'y ai rencontré M. Czeslaw et M. Janusz. Ils ont tous deux acheté leur voiture, respectivement une PF 125p et une Polonez en 1983, à tel point que leurs plaques d'immatriculation ne diffèrent que de quelques chiffres, mais grâce à moi ils se sont rencontrés pour la première fois. Ils avaient beaucoup de choses à se dire.

Q : Racontez-nous quelque chose sur l’un d’entre eux...
R : M. Czesław avait 16 ans lorsque son père lui a offert cette Polonez neuve et il l'utilise jusqu’alors. Il a dit qu'il ne la vendrait jamais et que, lorsque sa santé ne lui permettrait plus de la conduire, il la mettrait à la casse ou l'écraserait contre un arbre. Une voiture, un propriétaire - c'est son principe. La voiture a été bien entretenue et il la conduit tout le temps. La « Poldek » a déjà parcouru 360,000 kilomètres et roule au gaz depuis 1993. M. Czesław a installé le système pour économiser de l'argent, car il faisait le trajet quotidien de Minsk Mazowiecki pour aller travailler à Varsovie. Mais il n'a pas lésiné sur les extras. Il a très bien équipé sa version « de crise » - avec des baguettes de porte, une meilleure pompe à essence de version Caro, des stores sur les fenêtres. Soi-disant les même que ceux de la Mercedes Classe S.

Q : Votre profil Facebook montre dans la galerie de Minsk un camion Star. Comme l’avez-vous trouvé ?
R : Complètement par accident. Au cours de la conversation, M. Czeslaw et M. Janusz se sont souvenus qu'il y avait un ancien Star 660 dans leur ville. Ils ont commencé à téléphoner à leurs amis et à leur famille. La fille de M. Czeslaw, Karolina, s'est beaucoup impliquée dans les recherches. Grâce à elle, au bout d'une heure, nous avions déjà le téléphone du propriétaire. J'ai dû attendre encore une heure, car Zdzislaw était en mission avec sa grue. Il devait poser un transformateur.

Q : Donc ce camion est toujours utilisé ?
R : De façon continue depuis 1972. Zdzilaw travaillait pour une entreprise qui lui a acheté ce camion directement à l'usine. Dans les années 1990, lorsque l'entreprise est passée à une flotte plus récente, l'employé sentimental a racheté le camion, qu'il utilise toujours pour remplir des missions. Pendant notre conversation, quelqu'un s'est même approché et a crié : « Zdzisek, viens chez nous pour déplacer quelques palettes ». Alors il est parti. C'est un vrai passionné du Star. Il en a un deuxième identique chez lui et un troisième pour les pièces détachées.

Q : Pour autant que je sache, tous vos héros n’utilisent pas leur voiture. Certains les gardent même bien au chaud.
R : C'est vrai. Voici l’exemple est M. Wiktor de Bielsko-Biala, un ancien joueur de l’équipe nationale de hockey. Il a acheté sa « Duzy Fiat » en 1983 et ne l'utilisait que lorsqu’il partait jouer en Hongrie et en Allemagne. En Pologne, il la garait directement dans son garage et sous une couverture. Et sous la couverture ? Une belle peinture ivoire ! Actuellement, la Fiat n'est plus utilisée et est enregistrée comme voiture de collection. Son propriétaire voulait s'en débarrasser et c'est ainsi que je suis tombé dessus - par une annonce sur internet.

Q : Et est-ce qu'il a fini par la vendre ?
R : Son petit-fils affirme qu'un client s'est présenté, prêt à accepter le prix élevé demandé de 13,000 zlotys. Cependant, lorsqu'il est arrivé pour signer la vente, M. Wiktor a soudainement augmenté le prix. Uniquement « pour ne pas vendre la Fiat ».

Q : Belle histoire. Et vous en avez d’autres ?
R : Bien sûr. Le week-prochain, je fais mon prochain voyage. Je me rends dans la région de Rzeszow pour rendre visite à une dame qui a acheté en 1972, avec son mari, une Warszawa neuve et qui la possède encore aujourd'hui. Ensuite, je vais à Lublin pour rencontrer un ancien employé de Polmozbyt, qui s'est acheté une carrosserie, puis toutes les pièces et a assemblé lui-même sa « Duzy Fiat ».

Q : Combien de photos comportera finalement votre thèse ?
R : Environ 10 - 15 héros. Mais plus de photos bien sûr. Pour que l’ensemble fonctionne bien, je prends également des photos avec un appareil argentique moyen format Mamiya RB67. C’est une belle référence à l’époque. Des voitures analogiques et donc un appareil photo analogique. De toute façon, avec cette méthode, la plastique de l’image est complètement différente.

Q : Une fois que vous aurez soumis et défendu votre thèse, en aurez-vous terminé avec le projet ?
R : Bien sûr que non. D'autres belles histoires sont en cours d’élaboration, je vais donc poursuivre le thème. Je rêve de publier un album. Il ne faudra pas attendre longtemps pour que de telles histoires se rejoignent. À terme, je prévois également une exposition de photographies. Il s'agira de grands formats - un mètre sur un mètre, tous complétés par du matériel numérique. Mais cela dépendra du budget.

Q : Financez-vous vos voyages et achetez-vous votre matériel vous-même, ou avez-vous des sponsors ?
R : Je voyage avec mon propre argent. Je ne demande l'aide de personne.

Q : J'aurais dû poser la question plus tôt : est-ce que vous vous parcourez aussi la Pologne dans une voiture classique ?
R : Au début, je roulais en Skoda Favorit, donc on peut dire que j'étais dans le climat. Mais elle s'est détériorée techniquement et j'ai dû la vendre. Aujourd'hui, je conduis une Peugeot 405 de 20 ans, une voiture qui a une histoire, puisqu'elle était conduite en Pologne par le directeur d'Enion quand elle était neuve.

Q : Comment votre directeur de thèse a-t-il réagi à votre idée ? A-t-il eu des objections ?
R : Il a tout de suite aimé l'idée. Il n'en doutait pas du tout. La photographie a un pouvoir, elle peut raconter l'histoire des gens. C'est l'enregistrement d'une réalité qui passe et ne revient jamais.

Q : Pour certaines personnes, la rédaction d'une thèse est une véritable épreuve. Vous semblez prendre beaucoup de plaisir à la faire.
R : Bien sûr - pour la partie pratique, je conduis une voiture et je prends des photos, ce que j'aime vraiment. Mais j'ai aussi la partie écriture. J'y parlerai de ce qu'a été la création du projet à partir de zéro.

Q : De nos jours, les voitures que vous décrivez commencent à valoir cher. Vous arrive-t-il de recevoir des appels de revendeurs qui voudrait acheter une voiture à bas prix « à leur grand-père » pour la revendre ensuite plus cher ?
R : Oui, je suis conscient et j'ai conscience que de telles propositions peuvent surgir. Jusqu'à présent, personne ne m'a encore appelé avec une telle proposition, mais même si c'est le cas, je préserverai la vie privée de mes personnages. Ce sont des personnes qui m'ont accueilli à bras ouverts et m'ont fait confiance. Je leur dois quelque chose...

Légende des photos :

  • M. Lucjan de Cracovie avec sa « Duzy Fiat ». Il l’a acheté neuve, en dollars.
  • M. Jan de Tarnow et sa Skoda. Elle ne l'a jamais laissé tomber.
  • Rencontre après de nombreuses années. Janusz et Czeslaw échangent leurs expériences de l'utilisation d’une FSO.
  • Le Star 660 avec lequel Zdzislaw travaille sans discontinuer depuis 1972 !
  • Vous pouvez vous attacher à une voiture que vous aimez. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point... M. Wiktor et sa  PF 125p.
  • Skoda Favorit - avec une telle voiture, il était plus facile de gagner la sympathie des amateurs de vieilles voitures.
  • « Maintenue sous une couverture ». Les personnages des photographies de Bartosz peuvent en dire quelque chose...

Lu sur : https://geekweek.interia.pl/meskie-tematy/news-od-pierwszego-wlasciciela-predzej-wjade-w-drzewo-niz-sprzeda,nId,1594088
Adaptation VG

Tag(s) : #Art, #Photos, #Anecdote, #Interview, #Pologne