En URSS, on ne choisissait pas : c’était la pénurie ! On prenait ce qu’il y avait. Il n’y a pas si longtemps les « classiques » soviétiques semblaient courir les rues et soudainement elles sont passées dans la catégorie des voitures rares. Aujourd'hui, laquelle choisir ? Pour vous, Auto.mail.ru essaie de répondre à cette question : la « Chesterka » et la 2140 sont de retour sur le ring !
Triste date : il y a un peu plus de 30 ans, en juillet 1998, a cessé la production de la dernière Moskvitch « classique », le modèle 2140. Depuis, une génération a grandi, pour laquelle la propulsion d’AZLK constitue au mieux un souvenir d’enfance, au pire un chiffre sans aucune signification… La « Chesterka » a été beaucoup plus chanceuse. La VAZ-2106 a résisté à l’arrivée de la famille Samara, a vécu la transformation de l’économie en une approche axée sur le marché et a vu la fin non seulement de sa rivale, mais aussi l’effondrement de l’usine moscovite !
La Jigouli a été envoyée à la retraite à la veille de 2006. Dans la mémoire populaire, la VAZ-2106, est restée un symbole de la prospérité soviétique, de statut élevé, le chant du cygne des « classiques » de Togliatti. A une certaine époque, la « Chesterka » était plus chère que la Niva, bien plus complexe techniquement. Avec la Moskvitch c’est tout l’inverse : l’image de la marque a été tirée vers le bas. On dit que la 2140 n’était bonne que pour les villages et les routes de campagne défoncées. Même la version « Luxe » était incapable de faire de l’ombre à la « Chesterka ». Le dernier clou dans le couvercle du cercueil fut la transcription de l’acronyme AZLK : « Une voiture sans qualité d’avance »… Pourtant, la Moskvich était-elle une si mauvaise voiture ?
Il y a beaucoup de chose en commun entre les deux modèles. Tous les deux sont apparus en 1976 suite à une profonde modernisation du modèle antérieur. Ils avaient des dimensions, un poids et une configuration technique identiques, avec un moteur longitudinal et la propulsion arrière. Ils sont aussi entrés pour toujours dans les annales de leurs constructeurs respectifs. La 2140 pour AZLK et la « Chesterka » pour VAZ représentent plus de quatre millions de voitures ! Question du prestige, il faut se rappeler par exemple que les feux de détresse et la lunette arrière dégivrante sont apparus en premier sur la Moskvitch. Sans parler de la peinture métallisée… Chez VAZ, et chez les autres constructeurs soviétiques, on ne rêvait même pas de ces couleurs éclatantes aux noms romantiques de « Reine des neiges », « Stradivari » ou « Alligator ».
L’histoire des héroïnes de ce test est bourrée de stéréotypes. Alexandr, le propriétaire actuel, rêvait d’une « Chesterka » depuis son enfance. Une époque où une « Trechka » (VAZ-2103) était la voiture familliale alors que la VAZ-2106 était rare et chère, trop chère pour ses parents. Il semblerait qu’il soit difficile de trouver des Lada « classiques » aujourd’hui. Oui, il ne reste presque plus de voitures de l’époque soviétique. Cette beauté blanche comme la neige fait figure d’exception. A un moment donné, une officier de l’armée l’a ramenée d’Allemagne mais quelque chose dans cette « Chesterka » ne lui plaisait pas et avec un kilométrage ridicule, elle a commencé à pourrir au fond d'un garage humide. Quand Alexandr est venu à Kolomna pour la voir, il est tombé sur quelque chose que la moisissure avait envahi. L’habitacle était idéal pour faire pousser des pommes de terre mais notre collectionneur a reconnu en celle-ci une rare version export avec un intérieur en velours, des moulures chromées le long des passages de roues et des logos spécifiques sur les ailes arrière. Il a donc décidé de restaurer cette VAZ-21061 produite en 1986. Il lui a fallu remplacer les équipements électriques complètement pourris, repeindre la carrosserie et reprendre toute la mécanique.
Si pour sa très convoitée Jigouli, Alexandr a dû payer 40,000 roubles, il a obtenu la Moskvitch par accident et comme remerciements. Ravagée par le temps, cette 2140 avait eu la chance de terminer comme parterre de fleurs bien qu’elle ait quitté la chaîne de montage avec une perspective complètement différente. À en juger par les plaques signalétiques figurant sur la carrosserie, cette berline de 1980 couleur « Pitsunda » (une station balnéaire sur la Mer Noire) était également destinée à l'exportation, mais au lieu de partir à l'étranger, elle a fini en... Iakoutie ! A Aldan, elle a été achetée par la famille d’un Moscovite autrefois réprimé. Dans son passeport technique qui a survécu jusqu’à nos jours, il a même des notes sur l’achat des pneus (on ne se rappelle pas qu’à l’époque il fallait aussi beaucoup de chance pour en obtenir). Après avoir été exploitée à la limite du pergélisol, la Moscovite est revenue dans la banlieue de Moscou, par ses propres moyens. Mais au fil du temps, elle s’est avérée inutile et a bien failli disparaître. Pendant 15 ans, la voiture a été garée dans un coin, carrosserie cabossée, vitres cassées. C’est pourquoi, on voulait l’envoyer à la casse. Et quand elle est tombée entre les mains de notre restaurateur, elle avait 95% de pièces d’origine. Même les anciennes plaques d’immatriculation noires avec le numéro iakoute étaient encore là. Il n’y a que le rétroviseur latéral qui a été remplacé par un élément de Jigouli, car le modèle d’origine n’a pas encore été trouvé.
D’une manière ou d’une autre, ces exemples de « classiques » soviétiques ont eu de la chance. Elles ont commencé une nouvelle vie. Alexandr est même tellement confiant des voitures qu’il a sauvé de la ruine qu’il a décidé d’entreprendre avec elles un voyage risqué : près de 300 km aller dans une chaleur prenante de 30°C. Notre collectionneur n’a pas non plus été dérouté par la date du voyage - vendredi 13 - ni par la destination. Un lieu d'où les raretés domestiques ne reviennent généralement pas, le musée automobile en plein air de Mikhaïl Krasinets (*).
Rituel obligé avant le départ : la vérification du niveau d’huile, du niveau d’antigel et la tension de la courroie… Ensuite, il faut enfoncer la clé de contact fine comme un jouet dans la serrure à gauche sous le volant : les deux moteurs prennent vie tranquillement, presque au quart de tour. La douce nostalgie se transforme alors en un travail fastidieux : sortir de la cour d’immeuble dans un mouchoir de poche et siroter son café du matin est quasi impossible avec une voiture ancienne. Il y bien une tablette sous la boîte à gants, mais les porte-gobelets n’étaient pas encore la norme. De plus, il est difficile de tourner le volant sur place, le mécanisme de direction à vis sans fin ne devient malléable que lorsque la voiture commence à rouler - cela requiert des compétences. Et l’effort à fournir au volant n’est de toute manière pas enfantin. La 2140 est plus facile à cet égard, même en dépit du plus petit diamètre de son volant. Mais à quoi cela sert quand on doit faire de l’éducation physique par cette chaleur. Lorsqu’il fait chaud à l’extérieur de la voiture, le fragile flux d’air de la ventilation et les déflecteurs de portières ouverts n’aident pas. Il n’y a bien sûr pas de climatisation. Donc vous cuisez dans votre propre jus, même après avoir ouvert votre chemise !
A cette heure-ci, la Leninski Prospekt semble presque vide, mais il y a 35 ou 40 ans, c’était à cela que ressemblait l’embouteillage le plus féroce de Moscou. Il est difficile de conduire les « classiques » soviétique dans le trafic moderne. Le rétroviseur intérieur est petit, il n’y a qu’un seul rétroviseur latéral, à gauche, et même celui-ci n’est pas panoramique. Lorsque vous changez de file, vous tournez la tête comme un pilote de chasse attendant qu’un avion ennemi surgisse face au soleil. Les voitures modernes sont plus agiles que nos anciennes et semblent sortir de nulle part. Dans les deux voitures, seuls les montants de toit, minces comme des allumettes, aident : la sécurité passive a un niveau rétro mais la visibilité périphérique est proche de l’aquarium.
En ville, je donnerai l'avantage à la Moskvitch pour son moteur OuZAM-412 (1,5 litre et 75 ch) au couple élevé. Sur les deux premiers rapports, départ arrêté, la 2140 dépose la « Chesterka » au moteur de « Trechka » (1,5 litre de 72 ch) et aux rapports longs. Il est plus facile de s’intégrer dans la circulation avec la berline moscovite. Mais sa boîte de vitesses la dessert, ou plus précisément ses changements de vitesses : la précision de la grille est insupportable et le débattement du levier énorme. Au début, il m’était difficile de trouver la troisième. J’ai d’abord essayé un double débrayage avant de passer directement la quatrième… Il s’avère qu’il faut pousser le levier presque vers la portière de droite. Mais c’est effrayant, car quelque part il y a aussi la marche arrière et il n’y a aucun garde-fou contre l’engagement accidentel. Je me suis légèrement trompé… et ce fut Stalingrad dans la boîte…
Maintenant, il est clair pourquoi la mécanique de Jigouli était souvent utilisée sur les Moskvitch de course. Car c’est un moteur plus réussi ! Si le levier de vitesses est également maladroitement long, les rapports s’enclenchent indéniablement du premier coup, les mouvements de recherche sont minimes et passer la marche arrière est plus humain : il faut tirer vers soit en arrière. Et en plus, il faut légèrement enfoncer le levier donc aucun risque de se tromper.
Sur la route, la 2106 prend la tête. La Jigouli prend de la vitesse plus rapidement et est plus facile à mener. La Moskvitch doit s’efforcer de garder le rythme. Elle paraît lourde, on a l’impression que les roulements de roues sont grippés et que le moteur peine à faire tourner les roues alors que nos deux berlines pèsent le même poids, environ une tonne. La différence de consommation témoigne aussi de l’essoufflement de la 2140. Sur le tronçon où nous les avons mesurées (et qui empruntait aussi des chemins de terre), la VAZ-2106 a consommé 9,7 litres aux 100 km et la Moskvitch quelques litres de plus. Il n’est pas impossible que le moteur de la 2140 ait vraiment besoin de rouler. Alexandr la conduit moins souvent que la « Chesterka » et le réglage de la voiture n’est pas encore terminé. Ceci est attesté par la détonation caractéristique du moteur OuZAM lors des fortes accélérations.
Autre chose, conduire les deux voitures à plus de 100 - 110 km/h n’est pas confortable. Leurs boîtes ne font que quatre rapports et à cette vitesse les moteurs demandent déjà une cinquième dans un rugissement alarmant. Par exemple, le compte-tours de la « Chesterka » affichait déjà 4,000 tr/min. Est-il capable de monter plus haut ?
Sur la Moskvitch, le conducteur peut être retenu par les passagers car la 2140 de dandine d’avantage sur les bosses et prends plus de roulis dans les virages. La Jigouli est nettement plus spacieuse à l’arrière, surtout au niveau des épaules. Il y a aussi un peu plus de place pour les genoux et le cul - excusez du terme - transpire moins : le velours noir chauffe, mais respire mieux. La banquette arrière dispose même d’un accoudoir central rabattable - un luxe selon les normes soviétiques. La « Chesterka » est en général une voiture aux prétentions affirmées : le tableau de bord se pare de bois, le volant et les panneaux de portes de motifs complexes. La planche de bord ressemble à un défilé de planètes avec des cadrans dignes d’une Porsche. Il y a un compte-tours et une horloge. Dans ce contexte, l’intérieur totalement en plastique de la Moskvitch parait simple et ennuyeux !
Ce qu’il y a d’intéressant est que finalement, le conducteur de la prétentieuse VAZ-2106 se fatigue plus vite. Parce que l’ergonomie pose problème. L’énorme volant avec sa jante fine est décalé vers la droite ainsi que le pédalier. Et la colonne de direction est fixée de telle manière que vous vous asseyez avec le dos tordu. Tous ceux qui ont eu la chance de prendre le volant d’une Lada « classique » sont passés par cette chambre de torture - nous ne décrirons donc pas le tourment en détails. Face à elle, la Moskvitch surprend. AZLK, estimait à juste titre que l’acheteur, qui faisait patiemment la queue durant de longues années pour acheter une voiture, était aussi un être humain. Par conséquent, le volant de la 2140 ne masque pas l’instrumentation, le siège qui dispose des deux mêmes réglages (en longueur et en inclinaison du dossier) répartit mieux la charge et les commandes sont situées de manière à ce qu’après 100 ou 200 km vous ne ressentiez pas le besoin de descendre de voiture pour vous étirer.
Nous avons choisi le musée de Mikhaïl Krasinets comme destination finale, y compris pour son accès. Il n’y a pas d’asphalte là-bas, uniquement des chemins de campagne et des pentes emportées par les averses. Dans un premier temps, la 2140 a refusé de monter ces pentes : à peine sortie de la route principale, l’aiguille de la température d’eau est montée à 110 degrés. Pas de surchauffe cependant, les vibrations avaient eu raison du connecteur du capteur de température moteur. Il a été rapidement réparé et, soit dit en passant, ce fut la seule panne de tout le voyage. Les deux berlines ont finalement parcouru facilement ces routes accidentées. Après tout, avant ces voitures n’étaient pas adaptées aux mauvaises routes car elles étaient tout simplement étaient conçues pour elles dès le départ. Par conséquent, en termes de géométrie, les VAZ et AZLK sont mieux armées que les crossovers modernes. Par exemple, sous le compartiment moteur et le carter du pont arrière de nos « classiques » soviétiques la garde au sol est de 18 cm. Sur les reliefs, la 2140 avec sa boîte courte est plus confiante que la Jigouli : elle passe en douceur en seconde quand la « Chesterka » demande parfois de passer la première.
Comme vous le voyez, la Moskvitch n’est pas du tout aussi mauvaise qu’on aurait pu le croire. Chose inattendue et elle tient là sa revanche, les gens ont perçu cette « Chesterka » comme une Jigouli ordinaire. Elle est propre et alors ? Et ils tournaient les talons pour prendre en photo la 2140, une voiture qui a disparu des routes depuis longtemps et qui pour beaucoup est un symbole d’une jeunesse fringante qu’on ne fera plus. Le vote que nous avons organisé sur Instagram le montre : la Moskvitch l’a emporté avec une solide avance. Si vous cherchez à faire de l’effet, il faudra vous rappeler que la 2140 est plus difficile à entretenir et, qui plus est, à restaurer. Si des pièces détachées peuvent encore être trouvées sur le célèbre marché de Iouzhni Port, il est de plus en plus difficile de trouver une carrosserie en bon état.
C’est pour cela il faut apprécier les « classiques » soviétiques et en prendre soin. Au moins parce que beaucoup d’entre nous ont appris à conduire, assis sur les genoux de notre père, dans des Moskvitch ou des Jigoulis, de ce type.
Légende des photos :
- La plaque d’immatriculation pivotante de la Moskvitch cache la goulotte du réservoir d’essence. Il est donc possible de faire le plein de la voiture de n’importe quel côté. Sur la « Chesterka », la trappe a essence est à droite.
- La restauration de chaque voiture est revenu à 300-350 mille roubles. Le prix sur le marché de l’occasion pour un exemplaire soigné dépend de la cupidité du vendeur et peut atteindre un demi-million de roubles, voire plus. En général, la Jigouli est plus chère que la Moskvitch.
- Chez AZLK, les changements ont été introduits progressivement. Cette voiture de 1980 on trouve toujours la bande noire entre les feux arrière, les enjoliveurs chromés, les logos sur les ailes, les déflecteurs sur les portes avant et un emblème avec le mur du Kremlin. Mais, il n’y a plus de feux de position sur les montants arrière.
- On rencontre rarement la « Chesterka » sous cette forme : les logos sur les ailes arrière, les chromes sur les passages de roues et les feux arrière, les moulures de seuils - on avait essayé de décorer généreusement les versions d’exportation.
- La « Chesterka » est revenue de RDA avec cet autoradio moderne mais son propriétaire l’avait installé sous la boîte à gants pour le rendre moins visible. La Moskvitch dispose de sa radio d’origine.
- Le moteur de la Moskvitch, en aluminium avec des manchons en fonte, dispose de beaucoup de couple et peut-être facilement préparé. Mais il est bruyant sur la route. La quatre cylindres VAZ est moins puissant mais plus silencieux et plus économique. Sur les deux berlines, le capot s’ouvre vers l’avant.
- Les deux voitures étaient équipées de pneus Nokian Nordman SX2 modernes en 175/70 R13 ce qui égalisait leurs chances dans les épreuves de conduite. La VAZ prend moins de roulis et se dirige sans ambiguïté, mais la Moskvich est plus amusante : au début, elle semble résister au virage avant de virer plus court.
- Le pont arrière de la Jigouli est suspendu à des ressorts quand celui de la 2140 est posé sur des ressorts à lames. La croyance populaire veut la suspension de la Moskvitch plus durable.
- Depuis 1976, l'aménagement intérieur a fait un pas en avant. Nos mesures ont montré qu'il y a moins d'espace à l'intérieur des « classiques » soviétiques que même dans une voiture citadine comme la Kia Picanto. Les ceintures de sécurité pendent mollement - les enrouleurs n’étaient pas encore installés à cette époque-là.
- Dans la « Chesterka » même le coffre est habillé avec grâce : la roue de secours est recouverte d’une housse, le réservoir de carburant est recouvert de plastique. Mais, en théorie, on pourra mettre plus de choses dans la Moskvitch.
- La VAZ-2106 va plus vite mais la Moskvitch ralentit avec plus de confiance : les freins avec leurs étriers monobloc à quatre pistons à l’avant accrochent mieux et leur dosage est « plus transparent ».
- On a fabriqué près de cinq fois plus de « Chesterka » que de Moskvitch 2140 : plus de 4 millions contre 800 mille.
Lu sur : https://auto.mail.ru/article/69682-zhiguli_protiv_moskvicha_chya_klassika_luchshe/
Adaptation VG
(*) Voir : https://www.sovietauto.fr/tag/tchernooussovo/