
Fin 1967, la première Polski-Fiat 125p a été assemblée par la Fabryka Samochodow Osobowych (FSO) à l’usine de Zeran de Varsovie. Le début de la production de cette voiture de luxe, à cette époque difficile sous la domination de Wladyslaw Gomulka, a fait sensation. Un demi-siècle s’est écoulé depuis. La « Duzy Fiat » (la « Grande Fiat ») peut encore être vue sur les routes polonaises, mais si elle possède un grand nombre de fans, elle est encore loin de la sympathie et du culte dont fait l’objet la Maluch (la Polski-Fiat 126p) auprès de nombreux jeunes Polonais. Est-ce parce qu’on l’associe encore au monde des élites socialistes, étranger et inaccessible aux masses populaires des villes et des campagnes ?
En 1970, il fallait débourser près de 60 salaires moyens pour s’acheter la moins chère des PF 125p. L’équivalent de cinq ans de travail ! Officiellement car sur le marché de l’occasion la voiture coûtait encore plus cher. Parfois même plusieurs fois plus cher. Cependant, ce n’est pas uniquement pour cela que le citoyen ordinaire ne pouvait que rêver de la « Duzy Fiat ».
Le système de distribution des véhicules était également une barrière que ne pouvait franchir que ceux qui avait des « talons », appelés plus tard des « affectations », destinés aux personnes qui étaient proches du pouvoir. Les militants du Parti, les directeurs d’entreprises importantes, les artistes, et pour les gratifier les ouvriers qui s’étaient distingués par leur travail, en particulier des mineurs et des métallurgistes. Pour ceux qui n’avaient pas de position sociale correcte, mais qui avaient de l’argent, il restait les bourses de voitures d’occasion ou « l’exportation interne » c’est dire l’achat d’une voiture en dollars ou en bons auprès de la banque PeKaO. Cette option était utilisée entre autres par les marins ou les gens travaillant sur des chantiers à l’étranger. D’ailleurs, la plus grande partie de la production de PF 125p était exportée pour rapporter au pays de précieuses devises ; la voiture était vendue dans plus de 80 pays, y compris dans les pays « occidentaux » où elle rivalisait de modernité et de fiabilité.
« Au milieu des années soixante-dix, durant l’été et avant mon baccalauréat, je travaillais en restaurant la structure métallique des serres chez un jardinier, qui comme on le disait à l’époque, avait ‘bien réussi’. Je me souviens la jalousie qui est montée en moi lorsque j’ai vu pour la première fois dans son garage cette Polski-Fiat 125p ‘yellow bahama’, la couleur la plus à la mode. Je me demandais si je pourrais un jour me permettre de me payer une voiture comme celle-là. Dans ma classe personne n’avait de voiture. Je ne parle pas des élèves, mais de leurs parents ! ».
« Moi en fait, j’avais un contact beaucoup plus étroit avec la 125p, en tant que passager et pas comme conducteur, raconte un autre. Mon grand frère, qui était médecin et dont les beaux-parents étaient aisés et désireux de soutenir leur fille unique et leur mari, en avait une. J’avais déjà mon permis de conduire et il me laissait parfois conduire sa vieille voiture… une Trabant. Il ne m’a jamais laissé prendre le volant de la Fiat. Il avait peur que je la casse… » .
Dans cette Pologne encore mal motorisée, la PF 125p avait en quelque sorte remplacée la Warszawa. Elle était utilisée comme ambulance, comme voiture de police, comme voiture de fonction pour les directeurs importants, mais pas les plus hauts qui étaient transportés en Volga noires. Le lieutenant de police Slawomir Borewicz de la série télévisée « 07 zglos sie » (« 07 au rapport ») a conduit une PF 125p (plus tard, il est passé à la Polonez) dans la version « Jamnik » utilisée ensuite par le Pape Jean-Paul II lors de son premier pèlerinage dans son pays natal. La « Jamnik » avait également transporté les camarades Edward Gierek, Piotr Jaroszewicz et Tadeusz Wrzaszczyk en 1974 lors de l’inauguration de la voie Lazienki à Varsovie.
La « Duzy Fiat », la voiture des gens du pouvoir, des gens proches du pouvoir, des hommes d’affaires ou des représentants de « l’initiative privée », n’éveillait pas de sentiments excessifs et était perçue comme un simple moyen de transport. Elle attirait mais elle était chère et était privé d’une quelconque personnalité. C’était tout le contraire de la Polski-Fiat 126p, que les Polonais traitaient comme quelque chose qui leur étaient proche et avec l’indulgence dont on traite un enfant. La Maluch avait pourtant beaucoup à se faire pardonner : son manque d’espace, son moteur faible et bruyant, ses freins inefficaces, ses mauvaises performances, ses pannes et ses nombreux défauts. Mais les blagues dont faisaient l’objet la petite Fiat faisaient éclater chaleur et convivialité. Oui, on se moquait d’elle mais on l’aimait. Les défauts de la PF 125p irritaient, ceux de la PF 126 faisaient sourire… C’était ça la Maluch.
C’était sans doute par pure coïncidence car il est difficile de soupçonner les responsables de la PRL d’avoir eu la stratégie de faire incarner à la PF 126p ce rôle d’enfant pour tout lui pardonner. Mais c’est un chef d’œuvre de marketing. De ce point de vue, un geste tout aussi magistral a été la tentative de record sur longue distance de la PF 125p. Il est incroyable que quelqu’un ait eu l’idée d'essayer de battre un record totalement oublié et désuet établi 21 ans plus tôt par la Simca Aronde !
En juin 1973, Sobieslaw Zasada et ses partenaires en rallye, dont Andzej Jaroszewic, le fils du premier ministre de l’époque que l’on surnommait le « Prince Rouge » ont roulé pendant plus de 361 heures sur une boucle de 65 km sur l’ancienne autoroute du Reich près de Wroclaw. Ils ont battu les records des 25,000 km, 25,000 miles et 50,000 km à la vitesse moyenne d’environ 138 km/h. Le reportage télévisé tourné pour immortaliser l'exploit, qui ne cache pas les moments difficiles mais qui se termine bien, rappelle les « succès de l’industrie automobile polonaise et l’excellent organisation ».
Ce titre de détenteur du record du monde a peut-être contribué au succès des exportations de la PF 125p mais il n’a pas marqué particulièrement la mémoire des Polonais. Car dans leur esprit, la voiture nationale était et reste la PF 126p, « Sa Majesté Maluch » !
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Adaptation VG