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ZiL-41052 : au coeur des secrets d’Etat.

Sur l'échelle du temps, un quart de siècle cela ne fait pas beaucoup. Pourtant on a l’impression que c'était il y a déjà très longtemps : l’Union Soviétique, la perestroïka et les ZiL, ces énormes limousines noires, font partie du passé. Rencontre avec l’une d’entre elles, la ZiL-41052.

Elle doit en avoir entendu beaucoup et sait beaucoup de choses que les historiens seraient prêts à payer très cher. Car elle n’a pas seulement été le témoin mais aussi une des participantes des tumultueuses années 1980-1990 en URSS. Ce qui est clair, c'est qu'elle gardera tous ses secrets. Elle est stricte, sévère et laconique. Elle ne répondra à aucune question de ce type. En ouvrant cette portière massive avec des vitres de près de 40 mm d’épaisseur pour pénétrer dans cet habitacle assombri par des rideaux gris, j’ai l’impression de monter dans un coffre-fort contenant des secrets d’Etat. Si on m’avait dit il y a 25 ans que je verrais d’aussi près une de ces limousines, je le l’aurais pas cru !

A l’époque soviétique on n’écrivait pas beaucoup sur les limousines ZiL. Seuls ceux qui avaient une fonction liée à l’Etat pouvaient les approcher. Même à l’Usine Likhachev, les ouvriers qualifiés qui en fabriquaient quelques dizaines par an, lentement avec grand soin comme on construit des paquebots de croisière, travaillaient dans le plus grand secret. En vrai, ces grandes voitures noires pouvaient être occasionnellement aperçues en excès de vitesse sur Rublevka, Leningradka et Leninskaïa.

Les limousines ZiL avaient été conçues en respectant les canons classiques fixés, bien sûr, par les Américains. D’ailleurs dans les années 1960-1970 seuls les USA, la RFA, la Grande-Bretagne et l’URSS fabriquaient des véhicules de ce type.

La dernière version de la grande limousine soviétique, la ZiL-41047, est apparue en 1985, une année fatidique pour le pays puisque c'est la première fois qu'on a entendu les termes de glasnost et de perestroïka dans les tribunes officielles. Il s’agissait en fait d’une remise à niveau de la ZiL-41045 de 1978, elle-même basée sur la ZiL-114 de 1967.

Dans les années 1960 et même les années 1970, le conservatisme technique était considéré comme un trait caractéristique des voitures haut de gamme. Comme les costumes stricts et les chapeaux gris qui n’ont presque pas changé depuis des décennies.

Le puissant châssis de la ZiL-41047 cache un énorme V8 (7,68 litres de cylindrée !) développant 315 ch et 613 Nm. De plus le couple maxi est disponible dès 2,400-2,700 tr/min. L’alimentation de ce géant se fait à travers un carburateur à quatre corps, dont les dimensions et le poids sont comparables à un moteur d’Oka ! Une boîte de vitesses automatique à trois rapports est accouplée à ce moteur. La voiture repose à l’avant sur une suspension indépendante à barres de torsion et un classique pont arrière rigide sur ressorts à lames à l’arrière. Pour être franc, même au milieu des années 1980, cette construction n’était pas des plus avancées. Au moins elle avait des freins à disques. C’est ce qu’il fallait pour arrêter une voiture de plus de 6 mètres de long pour un poids en ordre de marche de 3,335 kg.

Enfin ça c’était le poids minimum car la voiture qui se trouve devant moi ne pèse pas moins de cinq tonnes et demi ! La ZiL-41052 est la version blindée du modèle 41047. Après la ZiS-115, un modèle 110 blindé, l’usine moscovite n’avait plus produit en série de voitures blindées. Ce n’est que durant les années 80 qu’elle a recommencé à en faire (ce qui est intéressant c’est que durant la conception de la ZiL-41052, on a utilisé une ZiS-115 pour les crash-tests). Une demie douzaine d’exemplaires de ZiL-41052 ont été construits. Celle-ci est la sixième, fabriquée à la toute fin des années 80.

La perestroïka, je me souviens, était déjà en plein essor. Le pays connaissait une certaine liberté qui augmentait proportionnellement à la diminution de la quantité de nourriture et d’autres biens dans les magasins (hors ceux réservés à la Nomemklatura). Avec la bougeotte sans précédent du nouveau Secrétaire Général, on voyait de plus en plus souvent les limousines ZiL à la télévision (il était d’ailleurs souvent accompagné de personnalités étrangères). Ces voitures restaient le symbole de la puissance du pouvoir malgré les difficultés que l’on pensait temporaires.

L’ouverture de la portière se fait de manière peu habituelle en servant de ses deux mains. Les gars, formés pour ouvrir la portière de ce coffre-fort roulant juste au moment où il s’arrêtait, savait le faire rapidement et même avec une certaine élégance.

Après avoir refermé la portière on se retrouve dans un monde isolé de l’extérieur par des vitres particulièrement épaisses. Ces vitres, soit dit en passant, sont fixes. Celle de droite, la plus éloignée du conducteur entraîne une légère distorsion de la vision. Il parait que c’est particulièrement gênant durant un long trajet dans l’obscurité. De toute manière on a du mal à imaginer un long trajet de nuit à bord d’une telle voiture.

Quelque part au loin, sous le long capot digne d'un couvercle d’un piano, on entend le grognement du V8 géant. Il entraine de manière adéquate et avec douceur l’énorme cuirassé. Je sens que la voiture est capable de démarrage plus énergique mais les cinq tonnes et demi de cette voiture chère (aujourd’hui elle ne doit pas coûter ni plus ni moins que ce qu’elle valait à sa sortie de chez ZiL) ne donne pas vraiment envie de savoir ce dont elle est réellement capable. La position de conduite est digne d’une voiture des années 30 à 50 : le conducteur est collé contre le volant. Si on lui avait donné plus de place, il aurait fallu réduire l'espace du passager principal ou rallonger la voiture jusqu’à sept mètres. Mais même pour une limousine, six mètres c’est déjà beaucoup trop.

Pourtant, les chauffeurs de ZiL savaient les conduire avec brio et faisaient apparemment des miracles au volant de ces voitures énormes et maladroites. Moi aussi, je me montre plus audacieux au volant tout en imaginant transporter derrière la cloison une personnalité importante en train méditer sur le sort de notre pays. Pourtant, la ZiL-41052 à proprement parler est une simple berline car elle n'a pas de séparation entre le passager et le conducteur. A la place de cela, on trouve jusqu'à mi-hauteur une cloison blindée habillée du même tissu que le reste de l’habitacle, pas très joyeux dans ses couleurs, mais très solide. L’espace offert par la banquette arrière réglable est indéniable.

Étonnamment, la direction sera révèle beaucoup plus dure que ce que j'imaginais et que celle que j’ai pu tester sur des voitures américaines classiques. C’est mieux comme cela : bien sûr la réponse à la direction est loin d'égaler celle des voitures modernes mais elle est meilleure que ce que l’on aurait pu penser. Les freins, au moins à faible vitesse, sont tout à fait décents pour une voiture de cinq tonnes. Mais comme me l’ont indiqué des chauffeurs de ZiL si on augmentait le rythme, les freins surchauffaient. Bien entendu, il n’y a pas d’ABS, et je ne parle pas de dispositifs électroniques plus complexes.

La voiture est posée sur de pneus à profil haut Granit en 16 pouces, fierté autrefois de l’industrie automobile soviétique (on pouvait encore conduire quelques kilomètres après une crevaison ou un tir d’arme à feu) ! Sur la banquette arrière le confort est admirable et rien ne semble pouvoir contredire cette impression. Bien sûr, comme les autres voitures, elle n’aime pas les nids de poule profonds, mais un voyage en ZiL pouvait faire penser que les routes en mauvais état n’étaient plus qu’un mauvais souvenir.

Un quart de siècle plus tard cette voiture, et même son pays, semblent beaucoup moins impressionnants que ce qu’ils étaient. Il est toutefois difficile de les juger objectivement. Peut-être que le passé n’est pas encore assez éloigné mais je peux déjà juger la ZiL en toute objectivité. Surtout depuis la première fois que j’avais pu rencontrer une limousine de ce type (c’est vrai, seulement en tant que passager) il y a plus de dix ans. Son énorme et glouton moteur à carburateur, qui n'aime pas les longs arrêts au ralenti (au point d’en faire fondre les bougies), sa boîte trois vitesses archaïque, sa direction qui exige de son chauffeur des compétences très spécifiques, ne cadrent plus avec l’idée moderne que l’on se fait des limousines.

La ZiL est désormais perçue exclusivement comme une curiosité, un document (ou plutôt un monument) d’une époque révolue. A imaginer que les leaders du pays prennent de nouveau place à bord d’une limousine russe (même si j’ai du mal à le croire), elle devrait être tout à fait différente de cette ZiL. Cette ZiL-41052 appartient désormais au passé et c’est pourquoi on la regarde maintenant avec moins de crainte et plus de complaisance. Bien qu’elle soit encore une voiture stricte, fière et taciturne, elle est devenue plus accessible et qui sait, peut-être qu’un jour, elle acceptera de nous raconter les secrets d’Etat qui se sont échangés à son bord.

Lu sur : http://www.zr.ru/content/articles/657813-zil-41052-silnyj-mira-togo/
Adaptation VG

Tag(s) : #Histoire, #ZiL, #41052, #Limousine, #Essai