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En quoi roulaient (et roulent encore) les Polonais ?

Il y a 19 millions de voitures en Pologne - autant que de téléviseurs. Cela signifie que le pays compte 1 voiture pour deux adultes. Malheureusement ce ne sont pas toutes des voitures de rêves. S’ils pouvaient (tous) se le permettre, les Polonais rouleraient en Mercedes, BMW, Volkswagen, Volvo et Toyota.

A l’époque communiste, pratiquement chaque Polonais rêvait de posséder sa propre maison et sa propre voiture et roulait en moto ! Le pays était à l’avant-garde en matière de deux-roues - même en 1980. Il y avait sur la route plus de 1,1 million de motos. Le parc automobile ne représentait que le double. Les Polonais ont commencé à oublier les motos Junak et les scooters Osa au fûr et à mesure qu'ils se sont mis à rouler en Polski-Fiat et en Polonez.

Aujourd’hui, ils s’intéressent de nouveau aux motos puisque pour la première fois depuis 34 ans, le parc a dépassé le million. Mais si à l’époque conduire un deux-roues était quelque chose de très commun, aujourd’hui ce sont surtout des passionnés qui les utilisent. Les deux tiers des ménages polonais possèdent désormais une voiture, soit autant que de téléviseurs. On compte 486 voiture pour mille habitants, soit deux de plus que la moyenne de l’Union Européenne. Malheureusement, le parc automobile polonais bat un record peu glorieux. Il est parmi les plus anciens d’Europe. Selon le Bureau central des statistiques, l’âge moyen des voitures est de plus de 15 ans en Pologne, soit deux fois plus que la moyenne de l’UE - 8,2 années. Même les Roumains et les Bulgares ont des voitures plus récentes !

Et bien qu’ils roulent dans des antiquités, les Polonais se considèrent comme de très bons conducteurs. Lors d’un sondage où on leur a demandé comment ils se perçoivent derrière un volant, la quasi-totalité des conducteurs interrogés (90 % !) a répondu se considérer comme des conducteurs bien élevés, prévenants et prudents. Malheureusement les statistiques jouent contre eux : chaque année 5 à 6 mille personnes se tuent sur les routes polonaises. Soit le double de l’Allemagne où plus le parc automobile dépasse les 40 millions de voitures !

Peu de gens s’en souviennent aujourd’hui, mais pour l’automobile la Pologne était considérée à la fin des années 90, comme l’un des marchés émergents les plus importants. Le pays produisait beaucoup de voitures qu’il achetait d’ailleurs lui-même en majorité. En 1996, 640,000 voitures neuves ont été immatriculées. La Pologne occupait la 6ème place au niveau européen. Cela n’a rien d’étonnant pour un grand pays mais il faut aussi noter qu'en parallèle il occupait aussi la 20ème place en terme de revenu par habitant !

Aujourd’hui l’amour des Polonais pour les voitures n’a pas diminué. Plus de 19 millions de voitures sont immatriculées dans le pays et 25% de la population s’assoit derrière un volant tous les jours, généralement une Opel ou une Fiat de plus de 10 ans. Ce sont loin d’être des voitures de rêves. S’il le pouvait, le conducteur polonais aurait dans sa poche les clés d’une Mercedes (pour 10%), BMW, VW (pour 9%), Volvo et Toyota (7 %).

Mais les Polonais ont cessé de rêver depuis longtemps de la Polonez, la dernière voiture polonaise. Quand sa production a été suspendue le 22 avril 2002, personne ne l’a regrettée. Ils avaient fait preuve de plus de sympathie pour le premier véhicule polonais conçu après la guerre, le camion Star, dont le nom venait de Starachowice, la ville où une usine mécanique avait été créée en 1920 avant d’être rebaptisée en Usine de camions Félix Dzerjinski. C’est là qu’après la guerre on a fabriqué des camions puis des autobus. De nos, jours on produit encore à Starachowice des carrosserie d’autobus et d’autocar de tourisme pour l’usine MAN de Plauen.

Au début des années 50, le Comité Central du Parti Communiste polonais a décidé qu’il « fallait produire un moyen de transport populaire, source de gain de temps pour l’exercice des fonctions officielles et pour les loisirs des rationalisateurs, des dirigeants syndicaux, des activistes, des chercheurs et des principaux représentants de l’intelligentsia ».

Quatre ans plus tard l’usine de Mielec a présenté la Mikrus. Cette petite voiture avait un moteur de motopompe et pouvait atteindre une vitesse maximale de 90 km/h. Monter à bord et en sortir était très inconfortable à cause des portières étroites. Le coffre à bagages, situé au-dessus des jambes du conducteur et du passager, n’était accessible que de l’intérieur, ce qui était peu pratique. La Mikrus aurait dû être une voiture bon marché produite en masse, mais cela n’a pas été le cas. Elle coûtait 50 mille zlotys (soit 50 mois de salaire moyen !) et en trois ans elle n’a été produite qu’à 1,700 exemplaires.

La Warszawa qui coûtait deux fois et demi plus cher était produite sur le modèle de la Pobeda soviétique. Le premier exemplaire a été produit le 6 novembre 1951 à 14h00.

« La première voiture particulière est tombée du convoyeur de notre usine. C’est une grande victoire contre les forces obscures de l’impérialisme qui tentent de pousser le monde dans les profondeurs d’une nouvelle guerre et un bain de sang. C’est notre victoire dans la lutte pour la paix. Cela n’est pas par hasard que cet évènement tombe le jour de l’anniversaire de la Révolution d’Octobre. C’est notre victoire ! La Warszawa M-20 qui descend fièrement du convoyeur est une nouvelle étape dans notre marche pour la paix, pour le progrès, pour le socialisme » ont écrit les journalistes.

Après la Warszawa, produite jusqu’en 1973, il y a eu la Syrena. Entièrement conçue par les ingénieurs polonais, elle est apparue sur le marché en 1957. Ses utilisateurs louaient sa garde au sol élevée parfaitement adaptée aux routes polonaises. Mais son défaut principal était le réservoir de carburant situé près du moteur. De plus il n'y avait pas de jauge à carburant et il fallait rouler « au pif ». En 1961 on comptait déjà 10,000 Syrena sur les routes. Mais elle n’était pas monnaie courante et à chaque sortie elle amassait beaucoup de monde autour d’elle. Malheureusement la voiture tombait souvent en panne et ailes rouillées et peinture écaillée étaient la règle. Le projet était censé être temporaire mais la dernière Syrena a été produite en 1983 après 26 ans de production !

C’est avec Edward Gierek qu’est apparu en Pologne le slogan « une voiture pour Kowalski » c'est-à-dire une voiture pour tout le monde. Le pays acheta la licence pour la production de la Fiat 126p et la fabrication fut rapidement lancée. On pouvait s'acheter la Maluch pour l’équivalent de deux ans de salaire. 10 mille exemplaires ont été assemblés en 1974 et deux ans plus tard on atteignait déjà le chiffre de 80 mille. Ce n’était pas encore assez, d’autant plus que le tiers de la production était destinée à l’exportation. La millionième Maluch a été produite en 1981. Chaque année on en fabriquait plus de 200,000. Le record de production a été atteint en 1989 avec plus de 327,000 exemplaires.

Le modèle le plus commun dans le parc automobile polonais était bien sûr la 126p. La Maluch représentait la moitié de toutes les immatriculations. Parmi les voitures étrangères, ce sont les Trabant et Wartburg qui dominaient. Les Lada étaient également très appréciées et le modèle 2107 produit depuis 1982 était considéré comme une rareté. Les voitures occidentales étaient peu nombreuses. En 1980, on en a immatriculé 75 mille, sept ans plus tard, on en comptait trois fois plus.

Les voitures polonaises sortaient d’usine avec une infinie variété de défauts. Parmi les plus courants, on peut citer les pare-brises fuyants des Polski-Fiat 125p ou les portières peu étanches des Polonez. Certains exemplaires étaient si mal fabriqués qu’on ne pouvait même pas rouler avec ! Le programme de télévision « Kram » diffusé le 12 octobre 1986, interviewait un homme qui avait acheté une voiture neuve et avait compté lui-même 41 défauts. Après consultation, un expert avait établi qu’il y en avait 45. Pour conduire sa Polonez neuve l'homme devait engager 100,000 zlotys de réparations ! Pourtant, ces voitures passaient sans aucun problème les contrôles de fin de chaîne. Un ingénieur de FSM avait même déclaré « Les gens achètent toutes les voitures. Alors pourquoi les essayer ? ».

De toutes manière, les voitures n’étaient pas réellement en vente libre. Il fallait s'en voir attribuer une. Le système faisait que seuls les ministères appropriés pouvaient distribuer des voitures (environ 30 à 50 mille voitures par an) aux « employés autorisés à utiliser leur propre voiture à des fins professionnelles ». Les handicapés, les mineurs, les médecins, les professionnels de l’agriculture et des exploitations forestières, les vétérinaires et les chauffeurs de taxi pouvaient également se voir attribuer une voiture. Il fallait toutefois attendre de nombreuses années. Ce système d’attribution a été officiellement aboli le 1er janvier 1989.

On pouvait également acheter une voiture en la payant par avance. Celui qui voulait acquérir une voiture devait verser de l’argent sur un compte d’épargne de la banque PKO et quand il avait accumulé la totalité du prix de la voiture, il pouvait prétendre à être livré. Là aussi il fallait faire preuve de patience. En 1981, il y avait encore à livrer quelques milliers de voitures « achetées » dans les années 70 quand un nouveau système d’épargne a été introduit, prévoyant que toutes les livraisons seraient honorées avant la fin de 1985. 150 mille voitures par an étaient allouées à ce programme. La soif des Polonais pour les voitures neuves avait toutefois été sous-estimée puisque ce sont plus de 1,4 million de compte d’épargne qui ont été ouverts !

On pouvait avoir des millions de zlotys mais, sans avoir de relations, il était impossible d’acheter une voiture de production polonaise dans un garage. Sans attribution, sans compte épargne, sans ticket de loterie gagnant et sans dollars on ne pouvait acheter une voiture. Le seul espoir était la foire à l’occasion.

Au début des années 80, on recensait dans le pays 14 foires aux véhicules d’occasion. En 1987, il y en avait déjà 52 et on en ouvrait encore de nouvelles. Au début, les autorités s’étaient penchées sur le sujet à contrecoeur. On craignait une flambée de la spéculation et de la fraude. Plus tard, on a constaté que ces foires étaient essentielles et l'Etat y organisait des inspections surprises. Sous le nom de code « Mustang », la police organisait de manière cyclique des opérations pour contrôler les voitures vendues dans ces foires.

Elles étaient ouvertes le dimanche et les samedis. Les plus grandes d’entre elles se tenaient à Varsovie, Katowice, Wroclaw et Poznan et on pouvait y trouver deux à trois mille voitures. Les prix affiché des voitures neuves était deux fois plus élevés que celui demandé par l’Etat. Avec l’hyperinflation de 1989 les prix en zlotys se sont envolés et la monnaie polonaise est devenue quasi virtuelle. On ne comptait donc plus qu’en dollars et en deutschemarks. Outre des voitures d'origine polonaise ou des autres démocraties populaires, on pouvait négocier le prix de voitures venues de l’Ouest ayant habituellement des kilométrages élevés. En 1982 à la foire de Varsovie on demandait environ 3,000 dollars pour une Polonez neuve et deux fois plus pour la moins chère des voitures de l’ouest avec un moteur diesel. Le salaire moyen calculé avec un taux de change au marché noir était d’environ 30 dollars !

Mais même lorsqu’il possédait une voiture, le Polonais ne roulait pas trop car l’essence manquait. En 1981 les importations de pétrole ont chuté de 16 à 13,5 millions de tonnes et elles sont restées à ce niveau jusqu’à la fin de la PRL. Pourtant le nombre de voitures avait augmenté de manière constante. Au printemps 1980 on manquait déjà d’essence. On pouvait faire le plein les jours pairs ou impairs en fonction du dernier chiffre de sa plaque d’immatriculation. Ensuite des mesures supplémentaires de rationnement ont été introduites : la quantité d’essence pour chaque plein était limitée et il était interdit de remplir de jerrycans. De septembre à décembre 1981, le ravitaillement des stations-services était rare et irrégulier. Il fallait avoir beaucoup de chance pour pouvoir faire le plein.

Après le 13 décembre 1981, la vente d’essence à des clients privés a même été suspendue. Au printemps de l'année suivante il fut de nouveau possible de se ravitailler trois fois par mois, uniquement le jour correspondant au dernier chiffre de sa plaque d’immatriculation. Ainsi le propriétaire de la voiture immatriculée GDF 5964 pouvait se rendre dans une station-service le 4, le 14 et le 24 du mois. Malheureusement il ne pouvait pas faire le plein. Une voiture d’une cylindrée inférieure à 900 cm3 ne pouvait prendre que 10 litres, les voitures d’une cylindrée supérieure étaient limitées à 15 litres. Seules les motos pouvaient remplir complètement leur réservoir. Avec le temps, ces limites ont été augmentés avant de se transformer en ticket de rationnement.

Le rationnement a été aboli le 1er janvier 1989 mais il a fallu attendre le début du printemps suivant pour voir enfin la fin de toutes les restrictions. Mais les stations-services manquaient pratiquement tout le temps d’essence et la situation ne s’est normalisée qu’au début des années 90.

Lu sur : http://wyborcza.pl/zdjeciazhistoria/1,135836,15453075,Samochod_i_jego_pan__Czym_jezdzili__i_nadal_jezdza_.html
Adaptation VG

Tag(s) : #Histoire, #Pologne, #Ambiance, #Marché, #Anecdote