A l’époque soviétique acheter une voiture n’était pas facile : même si vous aviez de l’argent pour vous en offrir une, il fallait attendre des années pour l’obtenir. Boris Karavkine, un habitant de Minsk, a décidé de résoudre cette question de manière radicale en construisant lui-même sa voiture. Sa samodelka, il l’a appelée Fantazia.
Boris Karavkine est peintre. C’est en 1968 qu’il a entrepris la construction de sa voiture. Cinq ans plus tard elle était prête. C’est lui-même qui l’a dessinée et le dessin de la Fantazia est vraiment très intéressant. Dans les années 70, cette voiture n’avait rien à envier aux voiture de série et faisait même mieux. Aucun constructeur automobile soviétique de l’époque ne proposait de portières coulissantes, un toit en pente douce à la ligne élégante et d’imposants montants arrière intégrant des prises d’air.
- Depuis l'enfance, je faisais partie d’un club d’aéromodélisme. Je travaillais comme modeleur, tourneur, fraiseur, soudeur. J’y ai acquis beaucoup de compétences. Mes mains ont appris ces métiers. J’ai aussi acquis de l’expérience dans la conception : un ami m’a proposé de construire un aérosan et nous l’avons fait. Je suis parti faire mon service militaire et quand je suis revenu, cet ami s’était déjà construit sa propre voiture. Quand je l’ai vue, j’ai eu envie de faire la même chose. Beaucoup de membres du club avaient une voiture. J’avais envie d’avoir la mienne mais il fallait attendre si longtemps... Je ne voulais pas attendre. Pendant dix ans j’avais économisé de l’argent et j’attendais mon tour. La patience ne m’a pas suffi.
Il a donc décidé de se construire sa propre voiture. Tout a commencé par des croquis et des plans puis le constructeur amateur a créé une maquette à l’échelle 1 :10. Malheureusement il ne l’a pas conservée mais il a gardé toute la documentation qui a été nécessaire par la suite pour la faire immatriculer.
- J’ai commencé à réfléchir, à dessiner. Au début je voulais utiliser de la fibre de verre et j’avais même acheté de l’epoxy. Puis j’ai fini par me dire que l’utilisation du métal serait technologiquement plus simple. A l’époque je travaillais au MVIZROu (Ecole d’ingénieur de Minsk de la défense anti-aérienne). Mes supérieurs me soutenaient dans mon projet et m’avaient permis de récupérer des profilés en acier et de l’aluminium. L’atelier de l’école était également pour moi. Cela fut plus difficile pour les pièces de voitures. Les pièces détachées étaient difficiles à obtenir et pendant des années j’ai donc dessiné des affiches publicitaires pour le magasin qui les distribuaient. Je leur offrais mes talents artistiques et en échange ils me vendaient les pièces dont j’avais besoin. C’est comme cela que j’ai commencé à travailler sur mon projet. Mon épouse me soutenait et elle m’a aussi aidé durant la réalisation. Nous n’avons pas pris de vacances durant cette période et après le travail j’allais à l’atelier, soucieux de finir rapidement... S’il n’y avait pas eu cette pénurie de pièces détachées, je pense que la construction n’aurait pas été si longue.
Il lui a également fallu trouver un nom pour la voiture. Ses amis et connaissances lui faisaient des propositions : Ikra, Mechta, Start...
- Même les représentants de la police de la route, lorsque j’ai immatriculé la voiture, m’ont donné des conseils : « Appelez-là Belorussochka ». C’est ma mère qui m’a proposé de l’appeler Fantazia. Cela m’a plu et c’est comme cela que je l’ai appelée. En 1974 j’ai réussi à faire immatriculer la voiture. Jusqu’à cette date je roulais avec des plaques maison marquées « PROBA » (essai) et jamais on ne m’avait arrêté ! Les premières fois, j’attirais la foule : j’allais au magasin et en ressortant je ne pouvais plus remonter en voiture. Tout le monde pensais que c’était un nouveau modèle. Puis à Minsk, on s’est habitué à la voir... mais aujourd’hui j’attire encore l’attention !
A l’époque les idées en matière de style étaient limitées par les normes strictes fixées par les services d’homologations en ce qui concerne les samodelkas. Soit dit en passant, ces exigences avaient été édictées en 1968, l’année où la construction de la Fantazia avait débuté. Ces normes indiquaient que les dimensions d’une samodelka ne pouvaient pas excéder 3,5 m de long, 1,5 m de large et 1,45 m de haut. Mais Boris Karavkine n’a pas pu respecter la première dimension...
- Il n’y a qu’une chose que je n’ai pas pu respecter : j’ai fait une voiture 25 centimètres plus long que ce qui était autorisé. Il ne pouvait pas en être autrement. C’est comme cela que la voiture était le mieux équilibrée. Et les places arrière n’auraient pas été suffisantes. Mais il s’avère que lorsque j’ai été la faire homologuer, un ami est venu avec une autre samodelka. Les inspecteurs de la GAI n’ont pratiquement pas regardé ma voiture. A côté de cette samodelka, la mienne ressemblait à une voiture de série... Les larges montants arrière n’était pas une nécessité esthétique mais technique. Au départ le moteur, de Zaporojets, se trouvait à l’arrière. Il avait besoin de bien respirer et les montants de toit servaient de prise d’air. Grâce à eux, la rigidité de la carrosserie était supérieure. J’ai imaginé les portes coulissantes pour éviter les charnières.
On remarque bien la présence de pièces provenant de diverses voitures soviétiques mais dans son ensemble la voiture est née de l’esprit de son créateur. Ce qu’il y a bien dans une samodelka c’est que les petits détails répondent à une problématique personnelle. Ainsi la boîte à gants est non seulement éclairée, mais en plus elle est équipée d’un interrupteur. Car le propriétaire sait s’il a besoin de lumière ou pas. On remarque aussi la présence de deux plafonniers : au-dessus de la rangée avant de sièges et au-dessus de la banquette arrière. L’un des points remarquables de la voiture est la visibilité. La lunette arrière décalée vers le bas facilite les manœuvres de parking : quand on recule, on peut voir facilement les objets à ras du sol et à fortiori les enfants. Mais il y a encore autre chose qu’aucun constructeur automobile d’URSS ne pouvait proposer à cette époque-là.
Comme dans un monospace les sièges sont pivotants ! Malheureusement ils ne le sont pas totalement. Car si la voiture a été conçue comme ayant un moteur arrière, lorsque celui-ci a été installé vers l’avant il a fallu prévoir un imposant tunnel de transmission ce qui les empêche de pivoter à 90°. Mais quelle idée !
Les portes coulissantes disposent de vitres descendantes comme dans une voiture normale. Pour ouvrir la portière de l’intérieur, il faut appuyer sur un bouton spécial situé au plancher. Ces portes constituent un avantage indéniable dans les parkings, d’autant plus que la largeur de la voiture est faible : on peut se glisser facilement dans n’importe quel emplacement et ouvrir la portière sans crainte de cogner la voiture garée à côté. Cela ne vous rappelle rien ? La Peugeot 1007 sortie en 2005 dispose elle-aussi de portières coulissantes... Peut-être que les Français ont copié l’idée de Boris Karavkine ?
Le carrosserie dispose d’un châssis classique. C’est pour cela qu’il est facile d’installer tous types de moteurs. En dépit de ses petites dimensions et à cause de ce châssis, la Fantazia pèse le même poids qu’une Jigouli : poids en ordre de marche 1030 kg et poids total en charge 1600 kg.
- Il y a toujours quelques problèmes techniques. Le châssis est en acier et la carrosserie en aluminium. L’acier et l’aluminium ne font pas toujours bon ménage. Aux endroits où ils sont en contact la peinture n’adhère pas bien...
Initialement, le moteur et la transmission provenaient d’une Zaporojets. La voiture avait donc un moteur arrière. Mais après quelques années les normes d’homologation ont autorisé la réalisation de samodelkas avec des moteurs de plus de 1000 cm3. Boris Karavkine a donc installé un moteur 1,2 litre et 64 ch de Jigouli qui a également donné sa boîte 4 vitesses. C’est pourquoi l’ensemble a migré vers l’avant, la voiture restant une propulsion.
- Entre la Zaporojets et la Jigouli, j’ai eu aussi un moteur 1 litre de Skoda. C’était un beau moteur mais à l’époque il était difficile d’en trouver les pièces détachées et il fallait le réaléser. Les règles de la GAI se sont adoucies et j’ai donc acheté un moteur Jigouli. Quand je suis retourné les voir pour l’homologation, ils ont eu besoin de refaire des calculs : charge à l’essieu, centre de gravité, etc... J’avais plus de marge structurelle que bien des voitures de l’époque !
Le coffre à bagages se trouvait désormais à l’arrière. Son volume aurait pu être plus grand, sa forme plus pratique et son seuil plus bas, mais il suffit à Boris Karavkine. Il le trouve très pratique. De fait la carrosserie est de type hatchback. On peut aussi la qualifier de break deux portes. C’est comme on veut. La banquette arrière peut être enlevée et l’on obtient un espace décent pour transporter des objets de grandes dimensions. Autre solution intéressante, le plancher arrière peut être démonté pour accéder facilement à la suspension arrière directement depuis l’habitacle.
La suspension avant est faite maison, mais elle se base sur une technologie de type McPherson. La suspension arrière provient de la Zaporojets.
- Au début, j’avais aussi installé une suspension de ZAZ à l’avant : deux barres de torsion et des ressorts... Elle était assez dure et prenait beaucoup de place. Avec la suspension McPherson moderne, c’est plus simple. J’améliore constamment la voiture car quand je roule avec, j’analyse tout, je regarde, je compare...
Nous aussi, nous avons pu prendre le volant de la Fantazia. La voiture se comporte comme une VAZ-2101 de série : le moteur est très souple et très énergique malgré sa faible cylindrée. On remarque aussi que les rapports passent facilement et que le débattement du levier est faible. La direction est dure et peu informative mais il faut se rappeler que c’est une samodelka ! A vraie dire elle se comporte aussi bien qu’une voiture de série.
- Je pense toujours installer la direction assistée car vous admettrez que le volant est difficile à tourner. Je ne me souviens d’où provient le mécanisme de direction. Le confort acoustique n’est pas non plus d’un haut niveau. Tout avait été prévu pour un moteur installé à l’arrière mais quand il a été installé à l’avant, on a commencé à bien l’entendre. A ce jour, la voiture a déjà parcouru 290,000 kilomètres. Elle a connu ses histoires, ses pannes, ses accidents et de nombreuses améliorations. La Fantazia a déjà été repeinte trois fois. L’hiver j’essaie de la garder au garage mais aux autres périodes elle roule beaucoup. Après avoir quitté le MVIZROu, j’ai été décorateur et j’allais au travail avec ma voiture. J’ai parcouru les routes de Biélorussie. J’ai aussi participé à des concours de samodelkas, dont un qui a visité toutes les régions du pays en 1987. Je n’ai jamais voulu m’en séparer. Cette voiture, c’est l’amour de ma vie.
Lu sur : http://www.abw.by/news/157273/
Adaptation VG