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« Ecoutez et regardez en direction de la Place Rouge ! C’est le défilé de la Victoire ! ». Le grand défilé annuel sur la Place Rouge est devenu le symbole du 9 mai, la date de la victoire de l’URSS dans la Grande Guerre Patriotique, la Seconde Guerre Mondiale. Cela pourrait sembler inattendu mais pour les amateurs que nous sommes, le symbole de cette parade militaire est sans conteste une automobile... Car si les dirigeants et les chefs militaires ont changés, les cabriolets de parade restent une constante de ces défilés.
Lors du dernier défilé d’avant-guerre, tous savaient que l’entrée dans le conflit serait inévitable et le spectacle offert au monde entier (et aux diplomates présents sur la Place Rouge) avait pour but de « considérablement renforcer la puissance de l’Union Soviétique ». Les bottes des soldats et des officiers claquaient au sol, les moteurs des motos et des engins grondaient et le tout était survolé par des avions militaires. La colonne de blindés était précédée par un véhicule insolite. Za Roulem l’a décrit comme un « phaéton élégant avec une carrosserie bien proportionnée ». Cette voiture était une ZIS-102 qui se distinguait de la ZIS-101 par l’absence de toit métallique. On prévoyait un grand avenir à ce phaéton élégant et rapide : pourquoi les généraux de l’Armée Rouge ne troqueraient-ils par leurs pur-sang pour ces voitures ? Pourtant, Joseph Staline, avaient catégoriquement éludé la question : « Nous ne changerons en rien les bonnes traditions de l’armée soviétique ».
Les voitures n’ont remplacé les chevaux qu’à la mort de Staline en 1953. Pendant le défilé de mai, consacré à la « Solidarité internationale pour les Travailleurs », un phaéton ZIS-110B à quatre portes – version ouverte de la ZIS-110 - a foulé les pavés de la principale place du pays. A la fin de la guerre, c’est Staline en personne qui avait ordonné la création de cette limousine et c’est aussi pour cela qu’elle ressemblait tant à la Packard américaine. Staline aimait beaucoup cette marque et les ingénieurs, connaissant les préférences de Staline, s’étaient largement inspirés de la Packard Super Light 180 de 1942 tout en regardant aussi une autre voiture américaine, la Buick Limited, plus large et plus spacieuse que la Packard.
La ZIS-110 était basée sur un impressionnant châssis à longerons avec des renforts transversaux. A vide, la ZIS-110 pesait plus de 2,5 tonnes et par conséquent, le moteur de son prédécesseur, la ZIS-101, s’est avéré un peu faible pour une voiture de ce poids et les ingénieurs ont dû en concevoir un nouveau – un huit cylindres en ligne de 6,0 litres développant la puissance modeste de 140 chevaux (un chiffre qui serait considéré ridicule aujourd’hui pour un moteur de cette cylindrée). Pour ce moteur, il avait même fallu demander aux pétroliers de développer une nouvelle variété d’essence, l’A-74. Au total, « L’Usine Automobile N°1 Staline de Moscou » (elle ne deviendra « Usine Likhatchev » (ZIL) que le 26 juin 1956) a fabriqué 2089 ZIS à carrosserie ouverte, dont beaucoup ont été utilisée comme... taxis !
Dans les années 60, la bonne vieille ZIS-110 est envoyée à la retraite et elle est remplacée par une nouvelle génération de cabriolets, la ZIL-111V. A nouveau, on retrouve l’influence stylistique des Etats-Unis dans cette voiture... Mais si la 110 est une copie de modèles spécifiques, la 111 est l’image « collective » de la voiture américaine typique de la fin des années 50. Sous le capot, cette nouvelle voiture reçoit un moteur V8 (parent du moteur du camion ZIL-130), mais la principale innovation de la ZIL-111 est la boîte de vitesses automatique à 2 rapports.
De 1960 à 1962, douze (!) cabriolets sont fabriqués, puis la production de limousines et de cabriolets ZIL-111 est largement réduite. Nikita Khrouchtchev avait personnellement « demandé » une modernisation de l’apparence extérieure de la voiture. Selon la légende, le Premier Secrétaire du PCUS d’alors n’aimait pas cette voiture qu’il jugeait trop proche extérieurement de la GAZ-13 Tchaïka apparue un an plus tard et destinée aux cadres intermédiaires du Parti. Khrouchtchev avait également été impressionné par la Lincoln Continental de John Fitzgerald Kennedy dont la ZIL soviétique semblait être un parent pauvre. La 111 a donc été hâtivement mise à jour pour devenir ZIL-111G et sa version ouverte a reçu le nom de ZIL-111D.
Toutefois, la « pré-retraitée » ZIL-111V a défilé sur la Place Rouge jusqu’en 1967 ! Le nouveau cabriolet ZIL-111D ne l’a remplacée qu’à l’occasion du défilé consacré au 50ème anniversaire de la Révolution d’Octobre et il a été utilisé jusqu’au milieu des années 70. Ensuite, on s’est consacré à la nouvelle génération de cabriolets de parade, la ZIL-117V. Les designers – on parlait alors de peintres – avaient obtenu la liberté absolue dans leurs choix et ont donc pu créer une voiture sans avoir à regarder sur la concurrence étrangère (ou plutôt presque sans y penser) de sorte que son extérieur était original et ses lignes strictes moins influencées par la mode que les modèles précédents. Autre fait inhabituel pour une ZIL, ces limousines étaient disponibles en empattement court (ZIL-117) et empattement long (ZIL-114).
Pour le 60ème anniversaire de la Révolution d’Octobre, les ingénieurs de « l’Usine Likhatchev » avaient décidé de préparer un cadeau aux dirigeants de l’URSS en remettant au goût du jour les traits de leur limousine. Les proportions étaient légèrement modifiées (capot plus long et coffre plus court), le dessin des parties avant et arrière revue de même que les éléments de style... Cette voiture a reçu le nom de ZIL-115 avant d’être rebaptisée ZIL-4104. En 1981, plusieurs voitures ont été raccourcies (les historiens continuent de débattre sur le nombre exact) afin de servir de base à une nouvelle génération de cabriolets ressemblant extérieurement à la ZIL-115 et disposant du moteur moins puissant de son prédécesseur, la ZIL-114.
Ces voitures ont servi de véhicules de parade pendant plus d’un quart de siècle. En 2006, le Ministère de la Défense a décidé d’amener sur la Place Rouge une voiture totalement nouvelle, le tout-terrain militaire GAZ Tigr. En un peu plus de six mois, les ingénieurs de Nijni-Novgorod ont réalisé sur mesure quelques cabriolets à deux portes. Par rapport au modèle de série, ce tout-terrain de parade se distinguait par sa boîte de vitesse automatique (à la place de la boîte manuelle). Mais le Tigr n’a pas plu aux plus hauts dirigeants de l’Armée Rouge et c’est pourquoi ces cabriolets défilent désormais uniquement à Saint-Pétersbourg...
Pour le principal défilé du pays, la parade de la Victoire à Moscou, et pour remplacer les anciennes ZIL-115B, on a construit un hybride qui rappelle les classiques ZIL mais qui est loin d’en être une... puisque basé sur le châssis d’un pick-up américain GMC Sierra et recouvert de la carrosserie découpée d’une ZIL-41041 d’occasion ! Ce projet a été confié à la société de Nijni-Novgorod « Atlant-Delta » (une société appartenant à Oleg Deripaska et célèbre pour ses réalisations inhabituelles comme par exemple l’aménagement intérieur de yachts). ZIL avait perdu l’appel d’offre et c’est pourquoi il a fallu utiliser la carrosserie d’un vieille ZIL car à Moscou on avait tout simplement refusé de vendre une voiture neuve !
Fait intéressant, les cabriolets de parade classiques, quelle que soit la génération, ont toujours été peints en gris – comme le manteaux d’hiver des généraux. Mais les hybrides de Nijni-Novgorod ont enfreint la tradition soviétique puisqu’ils sont peints en noir ! L’explication est pourtant simple : jusqu’à récemment c’est le ministre d’Etat qui défilait. En costume noir ! Désormais, c’est un Général de l’Armée qui est de nouveau à la tête du Ministère de la Défense... Mais il n’est pas prévu de repeindre la voiture même si le gris convient mieux à la voiture que ce noir morbide. Peut-être qu’un nouveau cabriolet de parade sera créé dans le cadre du projet « Cortège » et qu’il retrouvera sa couleur habituelle...
Mais cela n’arrivera pas avant 2015 !
Légende des photos :
1) ZIS-102 :
• On prévoyait de produire la ZIS-102 en série, mais par manque de capacité de production, ces phaétons n’ont été fabriqués qu’à quelques exemplaires. Aucun exemplaire n’a survécu jusqu’à aujourd’hui.
• Cette voiture élégante a participé à de nombreux défilés, organisé sur la Place Rouge et a aussi exposée à l’Exposition Agricole de toute l’Union.
• L’une de ces rares voitures produite par « L’Usine Automobile N°1 Staline » a établi plusieurs records de vitesse de l’URSS. En 1940, le journal Za Roulem a rapporté qu’une ZIS-102 a parcouru 100 km en 51 minutes et 34,7 secondes soit une vitesse moyenne de 116,327 km/h.
• Techniquement, ce phaéton était proche de la ZIS-101. Son moteur était un 8 cylindres en ligne de 5,8 litres de 110 chevaux. La boîte de vitesse manuelle était à 3 rapports, la suspension rigide à l’avant et à l’arrière et les freins à tambours. La carrosserie de la ZIS-102 (comme la ZIS-101) était réalisée en bois et acier : la structure en bois était recouverte de panneaux métalliques emboutis.
• La rumeur veut qu’avant le début de la guerre, Joseph Staline a envoyé un phaéton blanc... au Vatican, comme cadeau pour le Pape. Mais ce fait n’est confirmé par aucun document et pourrait n'être qu’une légende d’autant plus que l’histoire des voitures du Saint-Siège est parfaitement connue.
2) ZIS-110V :
• Pendant longtemps, la ZIS-110V n’a pas pu être équipée de micro – les appareils étaient trop volumineux et c’est pourquoi sur les premiers défilés où ces phaétons ont participé, des micros avaient été installés à l’avance aux endroits où il était prévu que la voiture s’arrête. Ensuite, le problème a été résolu en plaçant tout cet appareillage dans le grand coffre de la ZIS.
• La ZIS-110 est la première voiture soviétique a recevoir une suspension avant indépendante et des freins hydrauliques. Parmi les autres innovations on note les clignotants – une autre nouveauté pour l’industrie automobile soviétique, les vitres électriques et la radio.
• Pendant longtemps, la sellerie cuir n’était pas considérée comme particulièrement chic et l’intérieur de la limousine ZIS-110 était recouvert de tissus coûteux. Les phaétons (uniquement pour des raisons pratiques) avaient un intérieur cuir dont la couleur était fonction de la couleur de la carrosserie.
• Contrairement aux limousines soviétiques qui viendront plus tard, la ZIS-110 était utilisée non seulement par les représentants du gouvernement et du Parti mais aussi par les citoyens ordinaires. Les ZIS, y compris les phaétons, servaient également de taxis collectifs sur les lignes « Moscou –Simferopol », « Moscou-Vladimir » et « Moscou-Riazan ».
3) ZIL-111V :
• L’organisation d’un défilé sur la Place Rouge, c’est trois voitures identiques. Deux cabriolets pour le responsable du défilé et pour son invité. Un de réserve stationné près de la porte Spasski du Kremlin au cas l’un des deux premiers venait à défaillir...
• La ZIL-111V n’a pas été seulement utilisée pour les défilés sur la Place Rouge. On a aussi croisé à son bord des cosmonautes ou des invités de marque.
• Tous les cabriolets de parade suivants respecteront l’architecture de la ZIL-111. Châssis à longerons, propulsion et moteur V8 sont devenus caractéristiques des ZIL.
4) ZIL-111D :
• La ZIL-111D est également liée à un épisode malheureux de l’histoire de l’URSS. En janvier 1969, Moscou rend hommage aux cosmonautes Vladimir Chatalov, Boris Volinov, Evgueni Khrounov, et Alekseï Ielisseïev. Un cortège triomphal les conduit de l’aéroport de Vnoukovo au Kremlin. Près de la porte Borovitskie, le cortège essuie des coups de feu. Le lieutenant Victor Iline prévoyait de tuer Brejnev et il ne savait pas qu’à l’intérieur des voitures il n’y avait que des
cosmonautes et que Brejnev avait rejoint le Kremlin dans une autre voiture, par un autre chemin.
5) ZIL-117V :
• L’intérieur de la ZIL-117V est à trois places. A la place du siège avant passager on trouve une plate-forme pour le responsable du défilé (ou celui qui en est l’invité d'honneur) qui se tient à une poignée à gauche lorsque la voiture est en mouvement et qui donne ses ordres par le biais des micros installés sur un support massif.
• En URSS, des défilés militaires avaient lieu le 1er mai en l’honneur des travailleurs internationaux et le 7 novembre en l’honneur de l’anniversaire de la Révolution d’Octobre. En 1968 a eu lieu le dernier défilé du 1er mai remplacé par une cérémonie plus solennelle organisée le 9 mai, jour de la Victoire de la Grande Guerre Patriotique.
6) GAZ-14-05 :
• Dans les régions, les défilés étaient assurés avec des cabriolets plus « simples ». Soit des Volga ouvertes, réalisées par des artisans qualifiés de l’armée, soit d’habituels UAZ. En 1985, après de nombreuses demandes en provenance des capitales régionales, 15 phaétons GAZ-15-05 ont été construits pour les généraux des régions militaires. Basés sur la Tchaïka habituelle, ils se distinguaient par leur carrosserie et leur châssis renforcés et par des équipements plus fiables (allumage doublé, système de refroidissement renforcé, etc...).
• Compte tenu des spécificités liées à sa future fonction, les ingénieurs avaient pris la décision de ne pas équiper la voiture d’un système de capote coûteux et compliqué et imaginé une simple « bâche » tendue sur la carrosserie.
7) ZIL-4104 :
• La carrosserie était recouverte de gris, car à l’époque soviétique, le principal défilé militaire n’avait pas lieu le Jour de la Victoire, mais le 7 novembre, date anniversaire de la Révolution d’Octobre. Elles étaient donc de la couleur du manteau d’hiver des responsables militaires.
• De 1991 à 1994 il n’y a pas eu de défilé militaire et quand on a décidé de faire revivre cette belle tradition on a choisi le Parc de la Victoire plutôt que la Place Rouge, cette dernière étant réservée au défilé des vétérans de guerre.
8) GAZ-Tigr :
• Les Tigr de parade ont l’air puissant et gardent toute la brutalité du tout-terrain GAZ. A Saint-Pétersbourg où ces cabriolets de parade ont été exilés, ils ont remplacé les vieilles ZIL-117V de ce « cher Leonid Ilitch ».
• Le cœur du GAZ- SP-46 » Tigr » vient de l’étranger : moteur Cummins 205 chevaux et boîte Allison à 5 rapports. C’est difficile à croire mais ce cabriolet Tigr pèse près de 5 tonnes !
9) ZIL-41041 :
• La ZIL-41041 AMG a été construite sur un pick-up américain par un atelier de Nijni-Novgorod situé sur le territoire de l’usine GAZ. Les ingénieurs sont particulièrement fiers de leur toit repliable (dont le mécanisme est électrique) qui dépasse à peine la ligne de la carrosserie quand il est replié.
• ZIL était dans la compétition pour réaliser un cabriolet de parade mais la proposition qu’ils ont faite n’a pas été acceptée par l’Etat.
Lu sur : http://www.auto.mail.ru/article.html?id=41605
Adaptation VG