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Apprenons à préserver le passé : l’exemple hongrois.

Quand un étranger se rendait au-delà du Rideau de Fer, il espérait voir des char T-72 russes errer dans les rues afin d'assure le maintien de l’ordre public. Il ne s’attendait sans doute pas à croiser de misérables Ladas...

Il y a beaucoup de choses auxquelles vous ne pensez pas car elles sont là, tout simplement. Les objets qui nous entourent font partie de la routine quotidienne et on ne les remarque même pas. Nous ne sommes même pas conscients de leur forme ou de leur couleur même quand ils nous entourent par dizaines. Nous ne réussissons seulement à réaliser le rôle que ces objets qu'en étant confrontés directement à eux, longtemps après qu’ils aient disparu de cette routine. Les voitures font partie de ces objets.

Je n’ai jamais rien ressenti pour les Lada. Oui, elles étaient partout en Hongrie quand j’étais plus jeune, mais mon père n’en a jamais conduit ce qui fait que je n'ai jamais eu d'attaches particulières pourcette voiture. C’est en 2012, lorsque nous avons voulu recréer l’atmosphère des scènes d’un film hongrois de 1982 que j’ai réalisé à quel point ces voitures faisaient partie de notre vie.

Le personnage principal de The Vulture (NDT : je ne vous remets pas le titre en hongrois !), Simon, est un chauffeur de taxi qui veut se venger de voleurs qui lui ont volé toute sa fortune, une Lada. Il s'agissait de la voiture typique des deux compagnies de taxis de Budapest à cette époque. Pour accomplir cette mission, il décide de voler lui aussi une Lada et il a la police à ses trousses. Et les officiers qui le poursuivent, ainsi que ceux qui essaient de trouver Simon, roulent aussi en Lada...

A l’époque, circulaient en Hongrie beaucoup de cette voiture soviétique fabriquée sous licence Fiat. Les Lada (connue comme Zhiguli) étaient également populaires dans les autres pays du Bloc de l’Est. Elles faisaient aussi partie du quotidien en Tchécoslovaquie et en Allemagne de l’Est. En URSS c’était pire encore. Elles étaient partout à tel point qu’encore aujourd’hui on peut encore les croiser dans les rues : totalement délabrées ou en parfait état d’origine...

Il serait trop fastidieux de résumer en quelques mots l’histoire de l'usine VAZ, lieu de naissance de toutes les Lada dans la ville de Togliatti (...). Il a fallu une série de modifications pour que la Fiat 124, la base de toutes les Lada à roues arrière motrices, puisse être exploitée dans les difficiles conditions de la Russie. Après avoir augmenté la garde au sol de 60 mm, la voiture est devenue très robuste et fiable, au moins en regard des normes en vigueur derrière le Rideau de Fer. Cela explique ces chiffres de production impressionnants et l'immense popularité de ces voitures dans les organisations étatiques, les services gouvernementaux et les sociétés d’Etat.

C’était également un objet de désir pour les civils et beaucoup d’entre eux ont commencé à faire des économies pour s’offrir une Lada flambant neuve. Après un premier versement au seul distributeur automobile hongrois, Merkur Co., ils devaient attendre des années avant d’avoir la confirmation que la voiture blanc neige qu’ils avaient commandée était enfin disponible.. Et peu d’entre eux se plaignaient quand ils voyaient que toutes les voitures livrées étaient jaune moutarde ou vert grenouille. Si c’était tout ce que le grand-frère soviétique avait à offrir, on n’allait tout de même pas se plaindre. Ils acceptaient sans rien dire. Une couleur hideuse n’était pas une raison suffisante pour avoir envie d’attendre 6 à 12 mois de plus !

De la fin des années 70 à la fin des années 80, tous les officiers de police roulaient en Lada. Malheureusement on ne trouve pas aujourd’hui de voitures gardées en état d’origine pour être exposées dans un musée ou participer à des manifestations. Quelques voitures ont été transformées par des passionnées en partant d’une voiture « civile », mais celle qui illustre l’article a été reconstruite par de vrais policiers qui sont membre de l’IPA (International Police Association) de Szombathely. Ils n’ont pas seulement reconstruit une voiture. Ils l’ont aussi immatriculé comme voiture de police ce qui signifie qu’ils sont autorisés à utiliser le gyrophare bleu et la sirène. Pour le commun des mortels, il n’est toutefois pas facile d’avoir une voiture avec le mot « Rendorseg » (Police) peint sur les portières... Posséder un taxi de la même époque peut donc constituer l’accomplissement du rêve de tout fan de Lada !

Il existe aussi quelques fous qui ne sont pas satisfaits par la possession d’une voiture en parfait état. Ils sont toujours à la recherche de quelque chose de spécial. Les fans des deux seules compagnies de taxis de cette époque pourront trouver des détails particulièrement excitants sur les deux taxis que nous avons utilisés pour le film. C’est fou comme quelques autocollants et des accessoires d’époque peuvent transformer une voiture normale !

Mais trouver les bons accessoires et les bons autocollants n’est pas chose facile, que ce soit pour un taxi ou pour une voiture de police. Le gyrophare n’a pas été utilisé très longtemps et c’est pourquoi il faut déployer beaucoup d’efforts pour en trouver un en condition décente. Comme la sirène, ce gyrophare était d’ailleurs fabriqué en Hongrie. C'était une copie d’un modèle polonais mais la sirène électronique a été développée et fabriquée par une société hongroise du nom de « Elektris ».

Ce produit était tellement excellent que de nombreuses ambulances et de camions de pompiers les utilisent encore aujourd’hui et même la Volkspolizei en RDA avaient ce type de sirène et de haut-parleurs même si elle avait une autre tonalité. Dans les années 70, les premières Lada voitures de patrouille hongroises, étaient équipées d’une sirène produisant un son typique proche des lamentations... Les voitures étaient peintes en bleu et blanc ou blanc et bleu avec un énorme marquage « Rendorseg » de chaque côté. Ce texte en italique était peint à l’aide d’un pochoir réutilisable. Même la plaque d’immatriculation montrait le statut particulier de ces véhicules avec des numéros commençant par RA ou RB. Mais c'est tout. Jack Elwood des Blues Brother n’aurait eu aucune chance de trouver dans ces voitures un moteur gonflé, des pneus spéciaux, une suspension travaillée ou des pare-chocs renforcés... car ces Lada étaient entièrement d’origine.

La talkie-walkie VHF, aussi gros qu’une brique, l’uniforme, la casquette... faisaient partie de l’équipement personnel de l’officier mais les voitures de patrouille étaient également équipées de la radio. Les dernières avaient même le téléphone mais celle que nous avons utilisé pour le film avait un micro conventionnel et un haut-parleur séparé. On imagine que les officiers qui ont utilisé ces premiers téléphones noir ou gris devaient être regardés bizarrement !

Les Taxis avaient également une radio VHF qui est désormais vraiment difficile à trouver. Mais l’élément le plus convoité est aussi l’équipement le plus important de n’importe quel taxi : le taximètre. Cet appareil mécanique est assez bon pour être exposé sur une étagère mais il n’y a rien de mieux que de le voir fonctionner en vrai dans un taxi ! Comme il contient à l'intérieur une véritable horloge, on peut l’entendre faire tic-tac quand la voiture est arrêtée à un feu rouge et les chiffres défilent avec un fort claquement au fur et à mesure que les kilomètres passent. Tous ceux qui ont pris un taxi à cette époque se souviennent de l’atmosphère procurée par une Lada bien chauffée et du tic-tac de son taximètre.

Ces taxis ont d’autres choses typiques. Ils ont tous un autocollant sur le tableau de bord rappelant aux passagers de boucler leur ceinture. Les voitures des deux compagnies de Budapest, « Fotaxi » et « Volantaxi » n’avaient pas d’autoradio. Les chauffeurs qui voulaient écouter de la musique ramenaient leur propre radio portative Sokol d'origine soviétique. Et pour fonctionner deux grosses piles de 4,5 volts étaient attachées à la radio par des élastiques. Il y avait une autre raison à cela : cette radio était conçue pour marcher avec une pile 9 volt prouvant que cette marque n’était à l’origine pas disponible en Hongrie ou que si elle l’était, elle était hors de prix. Outre le tic-tac du taximètre et le crépitement de l’autoradio, ces voitures avaient une autre particularité : une odeur particulière. L’odeur du vinyle soviétique mélangée à celle du Wunderbaum (un sapin sent-bon) accroché à l’intérieur de la voiture depuis des années...

Les voitures de la compagnie « Fotaxi » pouvaient être facilement identifiées par leur damiers rouges et blancs sur les côtés et sur le capot, alors que celles de « Volantaxi » avaient un logo ovale sur les portières et sur le capot. Les vrais experts feront même attention en montant le lumignon sur le toit : celui de « Fotaxi » est ovale quand celui de « Volantaxi » est rectangulaire, remplacé ensuite par une grosse boîte rendant l’identification facile même à des centaines de mètres.

Aujourd'hui encore, une Lada immaculée n’attire pas nécessairement l’attention dans les rues de Budapest, mais ces deux taxis étaient assez spéciaux pour donner envie à tout le monde de les prendre en photo ! La voiture de police a également joui d’une bonne popularité mais les vieilles habitudes ont la dent dure... Les gens s’en sont approchés avec prudence comme s'il est encore préférable de ne rien avoir à faire avec la police. Une version manquait pourtant vraiment à l’appel : le break rouge et blanc du chef des pompiers. Une voiture pour qui le public aurait un véritable coup de cœur mais qui n’existe encore que sur de vieilles photographies défraîchies.

Il ne faut pas non plus oublier un autre break symbole de cette ère révolue. Si la police et les compagnies de taxis existent encore, il n’y a plus de compagnie aérienne nationale. Ce break blanc avec le célèbre logo Malev a été initialement conçu pour la publicité de la compagnie qui a fait finalement faillite au début de 2012. La réplique de la Lada des controleurs aériens de l’aéroport Ferihegy (aujord’hui Liszt Ferenc) existe encore. Il n’y a pas que la peinture qui évoque le passé mais aussi ces plaques d’immatriculation spéciales seulement valides sur l’aéroport et son gyrophare identique à celui utilisé sur les voitures de police mais avec un globe jaune.

Préserver ou construire des répliques de ces voitures est plus qu’un loisir. Ces voitures font partie de l’histoire. Elles aident à se rappeler des temps depuis longtemps révolus et permettent de comprendre plus facilement les différences entre hier et aujourd’hui. C’est un moyen attrayant de raconter l’histoire aux futures générations. C’est pour cela qu'il est vraiment important de conserver ces vieilles voitures et ces vieux camions en ordre de marche (en particulier quand ils ont appartenu à d’anciennes sociétés ou à des organisations gouvernementales) afin de préserver quelque chose du passé. Les gens qui ne regardent pas à la dépense et qui sacrifient leur temps et leur énergie pour les sauver méritent toute notre reconnaissance...

Lu sur :
http://totalcarmagazine.com/eastofeden/2013/05/10/official_ladas_in_the_communist_era/
Adaptation VG

Tag(s) : #Hongrie, #Témoignage, #Lada, #Jigouli, #Police, #Taxi