La ZAZ-966V est comme un chanteur populaire. Il est facile de la reconnaître à la voix, même sans la voir. Il n’y a pas si longtemps on ne trouvait dans les cours d’immeubles que quelques voitures. Elles sont désormais encombrées par des marques étrangères, élégantes et bigarrées. Dans mon enfance, près de mon bloc, il n’y avait que deux voitures ! L’une d’elle était une Zaporojets. Bien sûr, si cette ZAZ-966 attirait moins les sarcasmes que sa devancière, la ZAZ-965 « Gorbaty », on se moquait pourtant de ses seulement deux portes et de son moteur dans le coffre dont les grognements pouvaient réveiller même un écolier plongé dans un profond sommeil !
D’ailleurs, les écoliers se vengeaient fréquemment en glissant quelque chose dans les « oreilles » (les prises d’air latérales) de la Zaporojets de leur voisin. En fait l’ironie des personnes « non motorisées » cachaient une profonde envie de posséder elles-aussi un véhicule. Surtout quand elles voyaient la famille de l’heureux propriétaire de la petite cylindrée ukrainienne, après s’être occupé minutieusement du chargement (la galerie sur le toit était quasiment obligatoire), disparaître dans le nuage de fumée s’échappant du pot d’échappement et franchir fièrement l’entrée de la cour de l’immeuble pour se rendre en week-end à la datcha familiale, voire même en vacances à la mer !
Pour de nombreuses personnes, la « Zazik » était le seul moyen de transport disponible. Les voitures avec un P dans un triangle (P comme commandes manuelles) collé sur la lunette arrière étaient même traitées avec respect par les enfants. Surtout lorsque, pour les commémorations du mois de mai, leurs propriétaires descendaient dans la cour avec des leur médailles et autres décorations épinglés sur leurs habits de fête.
Les prototypes de la nouvelle Zaporojets sont apparus dès 1961, alors que les automobilistes n’étaient même pas encore accoutumés à la ZAZ-965. Mais, comme c’était la règle sous l’ère soviétique, la nouveauté n’a pas été mise en production très rapidement... Le rythme auquel se développaient le pays et son industrie automobile au début dans les années 60 n’était pas si intense... Conceptuellement, la nouvelle ZAZ-966 ne se distinguait pas trop de la ZAZ-965. Le chef du bureau d’études et les ingénieurs s'étaient mis d’accord sur un point : le maximum de pièces devaient être réutilisés. Pourtant la suspension arrière avait été modernisée, en changeant les bras et les demi-trains ce qui permit de réduire le carrossage caractéristique de la ZAZ-965. On avait même amélioré et poussé le moteur à 40 chevaux. Mais cette évolution n'a été mise en œuvre, il est vrai, que beaucoup plus tard. Le modèle de série ne faisait que 3 chevaux de plus que la ZAZ-965. Le plus important était sa nouvelle carrosserie trois volumes faisant enfin de la Zaporojets une voiture « normale ».
Les « Gorbaty » arrondies, descendantes d’une vieille Fiat, étaient devenues archaïques - voire honteuses - dans un pays où la majorité des citoyens avaient la tête tournée vers l’espace, où l’on construisait plus de logements que partout ailleurs dans le monde, un pays qui souhaitait dépasser les USA. Pour les rendre plus sérieuses, les premiers modèles de série de ZAZ-966 avaient été affublées naïvement d’une énorme calandre chromée. Sur les ZAZ-968, on est ensuite revenu à quelque chose de plus logique et discret, d’ailleurs très proche de ce que l’on trouvait sur les premiers prototypes.
Le dessin de la ZAZ-966 est d'ailleurs le prétexte sans fin pour des discussions et des querelles d’experts. De manière générale on dit qu’elle copie la ligne de la NSU Prinz 4 allemande. Les deux voitures sont étonnamment semblables mais la NSU a été lancée en 1961 alors que les prototypes de la ZAZ roulaient déjà. La NSU n’avait pas encore été vue. Est-il possible que les Russes aient réussi à la copier ? Les créateurs de la ZAZ-966 évoquaient plutôt la Chevrolet Corvair à moteur arrière, qui avait été présentée à l’automne 1959 et qui est rapidement arrivée à l’Institut NAMI.
Les deux voitures - aussi bien l’Allemande que la Russe - ressemblent beaucoup à l’Américaine. D’ailleurs on s’est inspiré du système de refroidissement de la Chevrolet et les dessinateurs de la carrosserie et les motoristes se sont longtemps battus pour savoir lesquels d’entre eux étaient responsables du fait que le moteur fonctionnait avec une température d’huile beaucoup trop élevé !
Le prototype de la ZAZ-966 a été exposé au VDNKh dès novembre 1961, mais le modèle de série n’a été lancé qu’en 1967. Bien dans son époque, son intérieur rappelle les appartements de la seconde moitié des années 60. Ce ne sont déjà plus les Kroutchevki, mais c'est à peine plus grand. Comme la ZAZ-966 comparée à la ZAZ-965. Il est toujours aussi difficile d’y loger un meuble importé de Finlande ou un lustre, on se cogne toujours autant dans le couloir et la cuisine et on entend toujours les robinets fuir... Mais pour être honnête, même une personne de grande taille peut s’installer à l’aise aux places avant de la Zaporojets. On peut tendre les jambes (à gauche le passage de roue gène un peu), le volant et le levier de vitesse tombent bien sous la main. En revanche, on est assis exceptionnellement bas, ce qui peut provoquer tout d’abord un sentiment d’insécurité.
Bien sûr, à l’arrière, l’espace n’est pas royal et l’accès est difficile car les portières sont courtes. Au moins, cela fait faire un peu de culture physique ! Mais tout cela était tolérable, car c'était il y a 40 ans en arrière et toute la famille pouvait se rendre à la datcha dans sa propre voiture. Ce n’était peut-être pas la voiture la plus spacieuse, mais au moins elle était à nous !
La “Zazik” n’aurait pas gagné le concours de la voiture la plus silencieuse. Le moteur laisse entendre qu’il est en marche aux personnes extérieures et aux passagers, surtout ceux installés à l’arrière. Ce n’était pourtant pas si problématique pour la plus petite voiture à moteur à refroidissement par air de son temps.
La Zaporojets dispose aussi d’un chauffage autonome particulièrement efficace, capable de réchauffer rapidement l’habitacle. Il est toutefois très capricieux. De toute manière, l’hiver, on croisait très peu de ZAZ sur les routes. Et ceux qui osaient la conduire durant cette saison débattaient pendant des heures dans les couloirs des bureaux de la température minimale à laquelle le moteur est encore capable de démarrer ! Cela n'empêchait pas de rigoler aussi les mois d’été : « En descente – 100, en montée – 120 ! ». Il était question ici de la température d’huile. Les propriétaires expérimentés réglait en partie ce problème en réglant aux petits oignons la carburation et en nettoyant les ailettes de refroidissement. Et les oreilles par lesquelles de l’air vivifiant venait alimenter le moteur, avaient aussi une autre particularité... Sur la route, elles avalaient souvent les mégots de cigarettes jetés par la fenêtre des autres véhicules.
Le moteur de 30 chevaux n’était bien entendu pas prévu pour faire la course. Mais, si la voiture n’est pas trop chargée, il s’en sort assez bien. Par contre, il est assez difficile de savoir ce qui se passe après 60km /h... tant il est hypothétique de pouvoir encore accélérer après avoir atteint cette vitesse ! Les freins s’apparentent à l’accélération. Il est préférable d’anticiper et d’agir en douceur, sinon vous aurez besoin de compétences en pilotage pour que la voiture conserve sa trajectoire... Ce n’est toutefois pas un défaut propre à la Zaporojets, mais aussi d’une majorité de voitures de l’époque.
La suspension entièrement indépendante (barres de torsion à l’avant et ressorts à la VW Coccinelle à l’arrière) et les pneus à profil élevé offraient un confort très convenable. La tenue de route n’était pas pire que la plupart de ses concurrentes de l’époque, mais à haute vitesse la voiture est extrêmement pataude. Mais conduire la « Zazik » tous les jours, même aujourd’hui, n’a rien d’ennuyeux. A noter que pour le conducteur de l’époque, le plus important c'était la capacité... de franchissement (!). Avec un essieu moteur bien chargé, un soubassement presque plat et une garde au sol homologuée à 190mm, la ZAZ-966 est un véritable SUV !
En 1967, les premiers et chanceux acheteurs ont enfin pu toucher leur toute nouvelle Zaporojets. Il s’agit d’une année importante : le 50ème anniversaire de la Révolution Russe. Sur l’avenue Kalinine (désormais Noviï Arbat) a été érigé un miracle technologique sans précédent : un écran géant sur lequel on diffuse le soir des chants festifs et patriotiques. On a aussi ramené de l’Expo-67 de Montreal, le pavillon soviétique à l'architecture ultra-moderne. Il a été remonté dans les environs du VDNKh et dédié aux « Ouvriers et Kolkhoziens ». La foule faisait la queue pour avoir des billets pour le film culte «Les Justiciers insaisissables » d'Edmond Keosayan et sympathisait pour Iouri Detochkine, qui avait volé la Volga de spéculateurs. Tous avaient aussi apprécié unanimement l’introduction de la semaine de travail de cinq jours. Une belle occasion pour faire des sorties supplémentaires ou de prolonger les sorties dans la nature, par exemple au volant d'une Zaporojets. Lorsque Madame s’occupait du jardin, Monsieur prenait soin de sa favorite. Au minimum pour la laver et la faire briller. Mais il pouvait aussi régler l'allumage, le jeu aux soupapes, nettoyer le carburateur ou regarder les plaquettes de freins...
La production en série de la ZAZ-966 a débutée en 1967. La version 966V disposait du même moteur 0,9 litre que la ZAZ-965 dont la puissance était portée de 27 à 30 chevaux. En 1968 a commencé la fabrication de la ZAZ-966 avec un moteur 1,2 litre de 40 chevaux. Le modèle ZAZ-966 a été produit jusqu'en 1972 pour être remplacé par la ZAZ-968. Diverses variantes destinées aux handicapés ont également été réalisées.
La ZAZ grise qui illustre cet article a survécu jusqu'à nos jours. Elle est dans son jus et n'a jamais été restaurée.
Légende des photos :
- L'ascétisme est une caractéristique de beaucoup de voitures populaires des années 60. Malheureusement cette ZAZ a perdu le cercle chromé du klaxon sur le volant, un attribut des toutes premières ZAZ-966.
- A gauche du compteur de vitesse, l’indicateur de niveau de carburant. A droite le dispositif favori des conducteurs de Zaporojets, la jauge de température d’huile !
- Entre le levier de vitesse et le frein à main, le levier d'ouverture des volets d'aération.
- On pouvait aussi survivre sur la banquette arrière. Bien entendu, il valait mieux avoir une bonne raison d’y monter. Sur le fauteuil passager, un siège enfant produit en 1980 par AZLK.
- Dans le coffre, la roue de secours et le fameux chauffage autonome, connu pour les maux de têtes qu'il donnait constamment à son propriétaire.
- La plaque constructeur est dans le même état de conservation que la voiture elle-même.
Lu sur : https://www.zr.ru/content/articles/349454-zaporozhec_zaz-966v_svoimi_ushami/
Adaptation VG