Dans le milieu des années cinquante, l'Union soviétique connait de grands changements. En plus des changements socio-politiques, le dégel de Khrouchtchev introduit dans le pays une nouvelle mode en matière de design industriel. "L'empire Stalinien" tombe sous la pression du rationalisme de Khrouchtchev. La fondamentale Pobeda cède sa place à la légère Volga GAZ-21, la brutale ZiS-110 va être remplacée par la longiligne ZiL-111. Ces changements pour les employés de ZiL, le constructeur de voitures de l'élite soviétique, ne présagent rien de bon. Car la ZiS-110 a été produite en quantités relativement importantes et a été même utilisée comme taxi et comme ambulance. Les volumes annuels prévus pour sa remplaçante - 10 à 15 exemplaires par an - sont modestes. Cela implique donc une réduction du personnel et des équipements de production moins coûteux.
En 1959, à l'initiative d'une jeune équipe du bureau d'études de ZiL, dirigée par Vladimir Grinchar, est lancée l'étude d'un voiture d'une toute nouvelle catégorie, basée sur la ZiL-111 et portant le nom enthousiaste de Iounost (Jeunesse en russe). La voiture est développée dans le plus grand secret : la direction n'a reçu ni instruction ni ordre pour concevoir ce modèle et le bureau d'études n'a ni soutien ni budget pour réaliser les prototypes roulants. La voiture est littéralement créée en partant d'une page blanche et on n'a pas le droit à l'erreur. Les "maladies de jeunesses" lui sont totalement interdites.
Le Iounost est basée sur la limousine ZiL-111 et reçoit le moteur du tout nouveau camion ZiL-130. Cette décision présente de nombreux avantages. Quelque soit le volume de production, cela va permettre de réduire significativement le coût de fabrication des limousines et d'augmenter leur disponibilité. Cependant à cette époque, peu de personnes l'ont compris, plus tard non plus d'ailleurs...
Lors de la création du Iounost, un accent particulier a été porté sur son style extérieur. Encore aujourd'hui, cette voiture impressionne. A l'époque, à côté d'un autocar ZiL ou d'un LAZ aux styles sans saveur, il ressemblait à un vaisseau spatial futuriste. Les immenses vitres panoramiques, les doubles optiques de phares, les "obus" rudimentaires de la partie arrière, la bouche chromée de la calandre, le tout associé à une inhabituelle peinture biton en faisant un véhicule très imposant. Le seuil de rentabilité de ce modèle était fixé à 1,000 exemplaires par an alors que la demande totale pour un véhicule de cette catégorie sur le marché intérieur et à l'étranger était estimé de 4 à 6 mille chaque année. En mars 1962, il passe avec succès ses tests routiers et après la correction des derniers défauts, la direction de l'usine approuve l'initiative du groupe d'ingénieurs. Lors des premiers essais, le directeur de ZiL, A. Krylov envoie une note d'information à la Commission pour l'automatisation et la construction automobile auprès du Conseil des Ministres de l'URSS pour justifier de la nécessité de financer le développement de la nouvelle limousine ZiL-114 et le lancement de la production de "l'autobus" ZiL-118 Iounost. Khrouchtchev fait alors l'éloge de la nouvelle voiture : "C'est une voiture du peuple !".
En 1963-64, les ingénieurs continuent à l'améliorer et développent de nouvelles versions. En collaboration avec le Ministère de la Santé, ils élaborent une version ambulance avec un toit relevable unique et un habitacle richement équipé, permettant d'entreprendre des opérations chirurgicales directement dans le véhicule. Ce genre de véhicule n'existait pas encore dans le pays. Pourtant seulement deux exemplaires vont être produits. L'un d'entre eux va être ensuite converti en "taxibus" et testé dans le parc de taxis de Moscou, où il recevra des réactions positives de la part des chauffeurs.
L'année 1967 est triomphale pour le Iounost. Il fait partie de la délégation soviétique à la Semaine Internationale des Transports Urbains de Nice. Lors des concours et des épreuves techniques participent 129 véhicules présentés par 50 entreprises différentes. Le Iounost prouve qu'il peut se battre à armes égales avec de nombreux concurrents et reçoit des récompenses significatives. Par exemple la Coupe du Comité d'organisation - le Grand-Prix du concours - pour ses capacités de traction, son silence intérieur et sa douceur de conduite. Dans le concours des carrosseries, le ZiL-118 avec d'autres autobus soviétiques reçoit la Médaille d'Or de la Fédération Française de Carrosserie. En tout le Iounost a ramené à la maison 12 prix, ce que n'avait jamais fait aucun véhicule soviétique jusqu'alors et qui ne se reproduira pas ensuite. Il commence à intéresser les revendeurs étrangers et les compagnies touristiques. Pourtant, jusqu'à présent, il n'a été produit qu'à seulement 7 exemplaires et son avenir reste incertain : la décision de le produire en masse n'a pas encore été prise.
A la fin des années 60, le voyage d'affaires en URSS d'Henry Ford II, le petit-fils du fondateur de l'entreprise éponyme, a bien failli précipiter son avenir. Durant les négociations, on a entre autres examiné la possibilité de produire sous licence sous la marque Ford du ZiL-118 ou même de le produire en commun. Le maître du géant automobile américain avait apprécié les qualités du Iounost. Il avait été tellement séduit qu'il avait refusé d'utiliser la ZiL-114 mise à sa disposition et s'en était expliqué de la manière suivante : "Comme ma fille utilise la limousine, je prendrai le Iounost, qui n'est pas moins bon".
Ainsi l'industrie automobile soviétique, qui a ses débuts avait produit une Ford chez GAZ, aurait pu prendre sa revanche face aux USA ! Mais les pourparlers n'ont pas pu aboutir et Henry Ford II est reparti déçu d'URSS. Cet ingénieur compétent, l'un des plus grands "requin du capitalisme", avait parfaitement compris quels profits aurait pu tirer son entreprise avec cet accord et ce qu'il venait de rater. L'une des raisons de cet échec est sans doute le fait que ZiL a toujours caressé l'espoir de produire en masse le Iounost dans ses propres installations et de le livrer à d'autres pays par le biais d'Avtoexport. Il n'est pas non plus exclu que l'utilisation de pièces de limousines dans cet autobus aurait pu aussi causer un problème d'éthico-politique.
En 1971, le Iounost est modernisé et devient ZiL-118K. Mais plus personne ne pense à sa production en grande série. Durant quelques années il n'est même plus fabriqué du tout, mais en 1980 l'usine reçoit une commande gouvernementale de 6 exemplaires par an. On continue donc à développer diverses versions sur la base du Iounost : nouvelle génération d'ambulance, station de télévision mobile et même "mallette nucléaire" avec équipement radio pour les besoins du KGB. Une version pick-up bachée en est même dérivé dans le cadre d'un appel d'offre pour un camion de ville (c'est le ZiL Bitchok qui remportera la mise).
En 1993, sour l'indice ZiL-3207 est construit le plus grand nombre de Iounost en une seule année : 12 au total. Et en 1994, il reçoit des optiques VAZ-2105/2107 et une calandre en plastique. C'est sur cette dernière touche qui le défigure que s'achève l'histoire du Iounost. Entre 1961 et 1994 il n'aura été produit qu'à 93 exemplaires.
Le Iounost a été un phénomène unique dans l'industrie automobile soviétique : ce véhicule original et confortable a provoqué l'intérêt ou l'inquiétude des constructeurs automobiles et des opérateurs touristiques étrangers, aurait pu rapporter beaucoup d'argent à l'URSS et devenir un vecteur indispensable de son économie. Cependant, alors qu'il aurait pu connaître le succès commercial, il a été mal compris et rejeté par les dirigeants du secteur ! Les économistes du Ministère de l'Industrie Automobile et le Conseil des Ministres de l'URSS ont-ils réalisé que la production du Iounost aurait pu rendre les ZiL-111 et les ZiL-114 plus accessibles ? Ils y ont probablement pensé... Mais peut-être ce n'est pas ce qu'ils voulaient. Par une étrange et amère coïncidence, l'idée originale des designers de ZiL est devenue l'une des réalisations les plus importantes de la construction soviétique mais aussi l'un de ses plus grands fiasco...
Lu sur : http://pos1t1ve.livejournal.com/11683.html
Adaptation VG