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AvtoVAZ arrête la production de la Lada Priora - le cheval préféré du djigit moderne. Eto Kavkaz publie un reportage depuis la capitale caucasienne du tuning où la passion pour les voitures surbaissées reste forte.
« Primo, les Lada modernes ne se font plus en couleur aubergine. Il y a bien des Priora violettes, comme dans le clip de Timati, j’en ai une dans mon garage, mais ce n’est pas la vraie teinte aubergine des ‘Sermerka’ et ‘Deviatka’ des années 1990. Et puis les Caucasiens sont conservateurs, ils aiment les voitures blanches ou noires.
Secundo : pour rabaisser la voiture, on ne coupe plus des ressorts à lames, mais des ressorts hélicoïdaux.
Tertio : Timati ’fait jaillir des étincelles’ d’une Lada ordinaire, même pas rabaissée ».
C’est ainsi que Roman Lissianski, l’un des plus grands experts du tuning à la caucasienne, énumère les erreurs du célèbre clip « Lada Sedan Baklazhan » (*). Des centaines de voitures sont passées entre ses mains ; il dirige à Piatigorsk l’atelier VIP Style Customs (sachant qu’aucune enseigne caucasienne ne saurait se passer du mot VIP).
Le Caucase du Nord est la Mecque des voitures rabaissées. Les ateliers de tuning de Piatigorsk en sont le berceau : c’est ici qu’est née la mode de « poser la voiture sur les bas de caisse ». Il existe même un club local d’amateurs de voitures rabaissées — BPAN (Bez posadki avto net, « sans rabaissement, pas de voiture »). L’été, dans la zone touristique, près du carrefour Lermontov, des dizaines de bolides modifiés se garent presque chaque soir. Une vraie communauté : les propriétaires discutent, comparent leurs modifications.
Les automobilistes viennent à Piatigorsk de tout le Caucase, le plus souvent du Daghestan, parfois même de Moscou, de Krasnodar ou de Rostov - où cela coûte plus cher. Le rabaissement est l’affaire de plusieurs ateliers spécialisés et d’une multitude d’artisans indépendants prêts à couper les ressorts directement dans leur garage pour une somme modique ou une bouteille.
La garde au sol standard d’une voiture de série est de 15 cm. Mais pour les jeunes du Caucase, l’idéal est 7 à 8 cm, soit la hauteur moyenne d’un talon féminin. Évidemment, plus c’est bas, plus c’est stylé mais si c’est trop bas il devient compliqué de conduire la voiture.
Il y a trois manières de « poser » une voiture raconte Roman Lissianski :
« La première, la plus simple et la moins chère, consiste à couper les ressorts d’origine. On ne fait pas ça ici. C’est le domaine des bricoleurs : ils prennent une meuleuse et coupent. Plus on enlève, plus la voiture est basse. Il faut juste bien calculer la hauteur, pour ne pas fracasser la carrosserie sur les ralentisseurs. Un artisan peut demander pour cela environ 1,000 roubles. Mais la garde au sol n’est alors plus réglable : ce que tu roules sur ce que tu as coupé. Si tu veux revenir à l’origine, tu dois racheter des ressorts neufs.
Deuxième option : installer à la place des amortisseurs d’origine une suspension filetée, qui permet de régler manuellement la hauteur de caisse en fonction de la route. Cela coûté environ 15,000 roubles. C’est une variante peu populaire, car cela coûte en temps et en main-d’œuvre. Celui qui vient dans un atelier de tuning choisit directement une suspension pneumatique : c’est plus cher, mais plus « cool ».
La suspension pneumatique, explique-t-il, remplace les ressorts et amortisseurs d’origine par des coussins d’air. L’avantage est qu’on peut régler la hauteur depuis un boîtier dans l’habitacle sans sortir de la voiture. Débattement : 12 à 18 cm. En ville, on peut rouler avec une garde au sol basse et s’il faut franchir un obstacle ou aller dans les montagnes, on relève la voiture à la garde au sol d’usine ».
Il faut compter à partir de 55,000 roubles et cela peut monter à beaucoup plus. On peut parfois en trouver à la moitié de ce prix en occasion. On peut même l’acheter à crédit - les banques collaborent avec les ateliers.
Les prix ont d’ailleurs augmenté, la crise a aussi touché le marché des voitures rabaissées. Ses suspensions viennent d’Europe et des États-Unis, et on paie en dollars et en euros. Le dollar et l’euro ont sensiblement augmenté. La technologie de fabrication de ces suspensions n’est, en principe, pas compliquée, mais en Russie, on ne produit des suspensions pneumatiques que pour les bus et les camions. Même les usines automobiles du Caucase ne se sont pas encore décidées à lancer la production de ces dispositifs pourtant si populaires ici.
La mode des voitures rabaissées vient des États-Unis. Dans les quartiers étudiants américains, la moitié des voitures sont modifiées, raconte Roman Lissianski. Il y est allé deux fois pour six mois dans le cadre d’un programme d’échange, lorsqu’il faisait ses études d’ingénieur en maintenance automobile à l’Université technologique de Piatigorsk. Il s’est fait embaucher comme apprenti dans un atelier : de Ford à Lamborghini, tout y passait et c’est là qu’il a appris à installer des suspensions pneumatiques. En Russie, un seul hit célèbre célèbre cette culture - « Lada Sedan Baklazhan » - alors qu’en Amérique, de nombreux rappeurs évoquent les voitures rabaissées dans leurs chansons.
« Là-bas, dit Roman Lissianski, il y a a un culte de l’automobile. Dans les mégapoles russes, c’est un moyen de transport. Aux États-Unis, c’est un symbole de statut, un moyen de se démarquer - comme au Caucase, mais à plus grande échelle. Tout le monde veut rouler dans une belle voiture ».
Il y a quelques styles principaux. « Hellaflash » c’est style typiquement américain. Une suspension pneumatique et grandes roues à jantes saillantes. « Bippu », un style japonais : des grosses berlines de luxe avec de grandes roues et une suspension pneumatique. « Stance » avec une suspension pneumatique et des roues inclinées, comme dans les jeux vidéo de course.
Au Caucase, on ne distingue pas encore les styles : on veut juste « poser la voiture sur un suspension pneumatique », pour que ce soit beau. On ajoute parfois de grandes roues - comme sur les tout-terrains. On expérimente aussi les systèmes audio, l’intérieur cuir, voire un moteur plus puissant. Souvent, le tuning coûte plus cher que la voiture elle-même.
« J’ai monté une suspension pneumatique sur une ‘semerka’ qui valait à peine 40,000 roubles et la suspension seule coûtait 80,000 roubles. On rabaisse souvent les Priora - elles sont populaires parce qu’elles ne valent pas cher. 70 % des voitures sur lesquelles je travaille sont russes, mais sur demande je peux rabaisser n’importe quelle voiture. J’ai installé une suspension pneumatique sur des Mercedes, Audi, Toyota, BMW, Lexus… » explique Roman Lissianski.
« Mes clients ont entre 18 et 30 ans, raconte-t-il. Peu de filles, mais il y a en a. J’ai installé une suspension pneumatique sur l’Audi A5 d’une cliente. La plupart des amateurs de voitures rabaissées sont des étudiants aisés, mais aussi des employés de bureau ou des ouvriers agricoles. Parfois, c’est un cadeau : actuellement, on restaure un Jeep Wrangler 1993 avec un nouveau moteur, une suspension pneumatique, une puissante sono. C’est le cadeau d’un père à son fils pour ses 18 ans ».
Au Caucase, il y a aussi un culte des belles voitures, même si cela n’est pas comme aux USA. Ici, on a une relation particulière avec la voiture. « Comme avec la femme de sa vie », plaisante Roman Lissianski.
« Vous avez vu combien il y a de stations de lavage ! Même ceux qui ne font pas de tuning ne supportent pas avoir une voiture sale. Tout doit briller. Les voitures rabaissées, c’est du fun ! C’est comme un hobby créatif - c’est mieux que de boire de la bière dehors ! Dans les petites villes, tout le monde se connaît. Une voiture originale, c’est une façon d’exprimer sa personnalité, d’impressionner. Et les filles aiment ça. Et si,on ajoute quelques chevaux sous le capot pour rouler vite sur les routes bien plates, alors là, c’est le top ».
Une fois, dans l’atelier de Roman Lissianski, on a modifié une Priora noire pour un jeune Ingouche. Il venait tous les jours surveiller les travaux.
« Maintenant, tout le monde connaît cette Priora noire immatriculée 009 dans la république ! Ces voitures attirent l’attention. Si tu rabaisses ta suspension au minimum en ville, les gens viennent te voir et demandent : ‘Mais comment t’as fait pour arriver jusque-là ?’. Une fois, raconte-t-il en riant, j’ai garé ma voiture sur un trottoir et je l’ai ‘posée sur les bas de caisse’. Quand je suis revenu, il y avait déjà des gens rassemblés autour - ils regardaient, discutaient de comment j’avais bien pu faire ça ».
Tout le sud de la Russie s’est pris de passion pour le tuning, raconte Roman Lissianski. Rostov, Krasnodar, la région des stations thermales du Caucase… Parmi les républiques, il distingue surtout la Tchétchénie et le Daghestan- là-bas, ils ont aussi leurs propres artisans, même si on vient souvent beaucoup jusqu’à Piatigorsk. Après tout, c’est là-bas qu’est née la mode des voitures rabaissées, et c’est aussi là que le tuning est le plus développé.
« Les Daghestanais adorent transformer leurs voitures, poursuit-il. Parfois, le résultat est plutôt drôle : il y a quelques années, deux voitures sont apparues là-bas - une coûteuse Mercedes et une autre voiture étrangère - recouvertes de fourrure ! Les photos ont circulé sur les réseaux sociaux. Difficile d’imaginer que ce revêtement ait tenu bien longtemps… ».
À la question de savoir si des personnalités caucasiennes amènent leurs voitures pour les faire tuner, Roman Lissianski se trouble un peu. « Oh, la politique n’a rien à voir là-dedans. Je ne sais pas. On a bien préparé des voitures pour quelques sportifs et artistes. Mais la suspension pneumatique, en général, c’est surtout la jeunesse qui l’aime ».
Dans le Caucase, on rabaisse les voitures, mais on les rehausse aussi. Le tourisme est populaire en montagne, les routes sont difficiles, et tout atelier de tuning peut préparer un 4x4 pour les expéditions tout-terrain. Dans le sien, Roman Lissianski a trois projets : sa Toyota camouflage, une Niva et une Toyota Tundra. Les plus de trente ans préfèrent ce genre de modifications.
« La Niva, on la relève un peu pour aller à la chasse ou la pêche. La Tundra, on va la passer de 25 à 40–50 cm de garde au sol : elle pourra franchir rivières et bourbiers. Il y a deux variantes : kit de rehausse ou suspension pneumatique réglable. Le coût est similaire à celui d’un rabaissement. D’ailleurs la mode de rehausser la garde au sol existait déjà dans les années 1990, on relevait souvent l’arrière des ‘Vosmerka’ et ‘Deviatka’»..
Si la mode des tout-terrain à suspension surélevée est revenue, en revanche, celle des années 2000 avec ses strass, ses peintures brillantes et l’aérographe n’est pas revenue. « À l’époque, c’était pareil dans la mode vestimentaire. Vous vous souvenez de ces strass sur les pantalons et les chemises ? Aujourd’hui, heureusement, ce n’est plus à la mode », dit-il en riant. Ce genre de tuning, Roman n’y prend visiblement aucun plaisir.
« Aujourd’hui la demande est soutenue. On a 5-6 projets par mois, toute l’année. En hiver, on prépare les voitures pour le printemps. L’été sont organisés des festivals tuning : l’an dernier à Piatigorsk, 150 voitures sont venues du Sud et du Caucase. On recommencera cette année. La mode ne faiblit pas au contraire. De plus en plus de commandes concernent maintenant les 4x4 rehaussés ».
Roman Lissianski roule dans une Priora ordinaire, sa voiture de travail, qu’il compte vendre. Avant, il avait une Nissan 350Z style Hellaflush avec suspension pneumatique et jantes argentées à large rebord — sa carte de visite. Il l’a vendue à Vladikavkaz il n’y a pas longtemps. Maintenant, il s’est attelé à un autre projet. Il restaure une Volga GAZ-24 de 1979. Pour l’instant, elle est à moitié démontée dans son atelier.
« Le tuning sied aux voitures classiques, dit-il . Comme les ‘Kopeïka’, les ‘Vosmerka’, les ‘Volga’. Fabriquer de telles voitures est assez intéressant, c’est toujours un projet long et ambitieux. Notre Volga deviendra un showcar, avec suspension pneumatique, grandes jantes, boîte automatique. On installera un moteur de Toyota Supra de 300 ch et aussi la climatisation, une bonne sono et un bel intérieur ».
« Le tuning est un art. L’essentiel dans notre métier, c’est de ne pas perdre l’enthousiasme ni l’envie de créer des choses originales ».
Lu sur : https://etokavkaz.ru/redkii-spetcialist/zachem-priory-sazhayut-na-porogi
Adaptation VG
(*) Cet article a été publié sur le site Eto Kavkaz (C’est le Caucase) en mai 2018.
(*) Voir : https://www.sovietauto.fr/2024/06/lada-sedan-le-super-hit-du-groupe-record-orchestr.html