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À l'époque soviétique, il ne suffisait pas d'entrer dans un showroom pour acheter la voiture qui vous plaisait. Avant l'ouverture des frontières et l'essor des importations, on était encore bien loin de cela... Mais il y avait des artisans qui n'attendaient pas, et concevaient de leurs propres mains la voiture de leurs rêves. Ce hobby complexe et divertissant a alors pris des proportions considérables. Les journaux, la radio et la télévision parlaient de ces samodelkas. Des expositions et des courses avaient lieu ; à la fin des années 1980, le livre « Je construis une voiture » a été publié. Il existait même des clubs de construction automobile amateur ; à Moscou, par exemple, près de quatre cents personnes en faisaient partie.

L'un des plus légendaires constructeurs « amateurs » soviétiques, Guennadi Khainov, vit aujourd'hui dans la banlieue de Saint-Pétersbourg. Son garage ressemble à la fois à un musée et à un laboratoire. Les voitures, recouvertes de housses, attendent de prendre vie ; à leurs côtés, des moules où l'on applique couche après couche de la fibre de verre avec de la résine époxy, qui deviendra bientôt un élément de carrosserie.

Il a construit la légendaire Laura, celle-là même qui a fait dire à Mikhaïl Gorbatchev que les Russes pouvaient créer les meilleures voitures du monde, et au célèbre designer italien Nuccio Bertone qu'il était stupéfait d'apprendre qu'une telle voiture avait été construite par deux passionnés dans un hangar délabré de la banlieue de Leningrad.

Tout avait commencé lorsque deux camarades de classe, Guennadi Khainov et Dimitri Parfenov, avaient lors d'une soirée de retrouvailles refait le monde et décidé de construire une voiture de leurs propres mains. Ou plutôt, deux voitures. À ce moment-là, ils avaient déjà des dessins, des idées et le même un hangar où ils pourraient entamer la construction au plus vite.

« Nous vivions de la manière suivante : nous nous levions à l'aube, partions à huit heures, nous traversions la ville pour nous rendre dans ce hangar, nous y travaillions jusqu'à onze heures du soir, puis nous rentrions rapidement à la maison, nous mangions quelque chose et nous nous mettions au lit. Et ainsi de suite pendant trois ans. Mais nous avons construit les voitures très rapidement, de manière intensive, et presque rien n'a été refait. Cela a été rapide, alors que beaucoup de constructeurs de samodelka mettent 8, 12, voire 18 ans pour aller jusqu’au bout. Nous n'avions pas de pièces, et à l'époque la pénurie était terrible, nous ne pouvions rien trouver. Par exemple, nous avions « choppé » des moteurs chez un prêteur sur gage. Nous avons eu de la chance, car c'est à cette époque qu'est apparue la VAZ-2105 avec une courroie de distribution en caoutchouc. Tout le monde pensait que c'était un cauchemar et une horreur, et à la première occasion, ils changeaient leur moteur pour quelque chose de familier avec une transmission par chaîne, et c'est ainsi que des moteurs « neufs » sont apparus sur le marché. C'est aussi en partie à cause de la pénurie que beaucoup choses ont été fabriquées pour la « Laura » : serrures de portes, charnières de capot et de coffre. Les matériaux ont également été collectés au petit bonheur la chance : les tubes métalliques - chez le ferrailleur, tout comme le polystyrène, la fibre de verre et la résine époxy - à « Iouni Technik ». Il n'y avait pas de mastic, nous le fabriquions nous-mêmes en mélangeant de la peinture nitro synthétique avec du talc ou de la poudre pour bébé. Voilà une anecdote : deux jeunes gens entrent dans une pharmacie et disent : « Nous voudrions 50 boîtes de talc ou de poudre pour bébé, s'il vous plaît ». Le pharmacien regarde et dit : « Les garçons, combien d'enfants avez-vous ? ». - « Aucun. » Parfois, on nous refusait en disant : « Vous allez tout acheter, et qu'allons-nous vendre aux mamans ? » se souvient Guennadi Khainov.

Le mouvement populaire et intellectuel du « sam-avto » a mis en exergue des dizaines de noms et de développements remarquables. Par exemple, en 1963, une équipe d'amateurs moscovites a commencé à concevoir six voitures monotypes, appelées KD. Curieusement, il s'agissait de la première production en mini-série d'une samodelka. Elles étaient équipées de moteurs ZAZ-965 et pouvaient rouler jusqu'à 120 kilomètres par heure. Les voitures s’avéraient très originales - il s’agissait de coupés sportifs avec une capacité de 2+2 - deux sièges adultes, deux sièges enfants.

Beaucoup de gens ont probablement entendu parler des jumeaux Anatoli et Vladimir Tcherbinine qui, à la fin des années 60, se sont fixés pour objectif de construire leur propre voiture de sport. Leur première réalisation a reçu une carrosserie deux places de type Gran-Turismo, d'où le nom difficile à prononcer du modèle - GTTch, la dernière lettre représentant leur nom de famille.

Il y avait aussi un coupé portant le nom épatant de Satana. La voiture avait été assemblée dans un atelier d'art situé dans l'un des demi-sous-sols du centre de Moscou. Les frères Stanislav et Iouri Algebraistov, disciples des Tcherbinine, ont utilisé un appartement moscovite ordinaire pour leur première expérience de construction automobile, et les voisins émerveillés ont pu voir la carrosserie inachevée descendre à l'aide de cordes depuis les étages supérieurs.

La Iouna de Iouri Algebraistov est aussi devenue célèbre. Elle roule toujours, bien qu'elle ait déjà parcouru plus d'un demi-million de kilomètres. Un autre exemple remarquable de samodelka soviétique est la Pangolina , la voiture d'Alexandre Koulyguine. Ce dernier a conçu sa voiture dans sa ville natale d'Oukhta, au Palais de la jeunesse, et des pionniers l'ont aidé autant qu'ils le pouvaient. La voiture ressemblait à une Lamborghini de l'époque : une voiture de sport anguleuse, trapue et large. Bien sûr, elle a attisé l'imagination. En 1981, la Pangolina a fait parler d’elle : Koulyguine l'a emmenée en train à Moscou. La voiture présentait de nombreuses solutions originales. Par exemple, à la place des portes, il y avait un élégant cockpit qui basculait vers le haut grâce à un système hydraulique.

Les samodelka effectuaient de longs trajets et se rendaient à des expositions. Il s'agissait à chaque fois d'un événement à l'échelle de l’URSS.

« Les expositions des voitures de fabrication artisanale de l'époque étaient tout simplement incroyables. Des pionniers portant des fleurs se tenaient au bord des routes entre les villages, les agents de la circulation nous accompagnaient du début à la fin, et changeaient aux limites des régions administratives. Et vous auriez dû voir les visages et les yeux des gens qui nous rencontrions, ceux qui nous avaient vu à la télévision ! » raconte Iouri Algebraistov.

« Les samodelka attiraient l'attention également parce que les rues étaient monotones : Moskvitch, Jigouli, Zaporojets, Volga... Il n'y avait rien d'autre. C'est pourquoi toute voiture de fabrication artisanale était perçue comme quelque chose d'étrange. S'il s'agissait d'une voiture de haut niveau, elle faisait fureur : tout le monde s'arrêtait, regardait, la foule se rassemblait. Aujourd'hui, bien sûr, cela n'existe plus, il y a une abondance de voitures et personne ne se rendra compte que la vôtre est faite maison. La Laura était une traction avant. À l'époque, au milieu des années 80, ce type de voiture n'existait pratiquement pas. Les voitures étaient équipées d'ordinateurs de bord et la consommation instantanée de carburant était mesurée. En m'engageant dans le mouvement des constructeurs amateurs, je ne voulais pas être le dernier, je voulais être parmi les meilleurs, c'était une sorte de compétition. Meilleur non seulement sur le plan du design, mais aussi sur le plan technique » explique Guennadi Khainov.

L'électronique embarquée de la Laura était très spectaculaire et, en ligne droite, la voiture pouvait rouler à 170 kilomètres à l'heure. À l'époque, la police de la route avait déjà établi des exigences techniques pour les voitures de fabrication artisanale et des règles pour leur immatriculation, ce qui leur permettait de circuler sur les voies publiques. Par la suite, ces règles ont été renforcées à plusieurs reprises. Aujourd'hui, il est pratiquement impossible de faire immatriculer une voiture construite par ses soins !

Quant à la « Laura », elle a été vue par Mikhaïl Gorbatchev dans l'émission « EVM - Eto Vy Mozhete ». Plus précisément, ce n'est pas lui qui l'a vue, mais sa femme. La légende raconte que c'était un jour de congé et que Raissa Gorbatcheva était en train de cuisiner tout en regardant l'émission. Lorsqu'elle vit à l'écran des voitures de fabrication artisanale et ces jeunes artisans, elle a appelé son mari, et Mikhaïl Gorbatchev décida que de tels talents devaient travailler au profit de l'industrie automobile du pays.

C'est ainsi qu'une branche de l’Institut NAMI a été créée à Leningrad, le « Laboratoire de modélisation automobile avancée », où Guennadi Khainov a été nommé responsable. Le laboratoire a existé pendant quatre ans. Le développement le plus important de cette période est la maquette roulante de l’Okhta, un « break aux capacités de franchissement accrues », que l'on appellerait plutôt aujourd'hui un crossover. Lors du salon de l’automobile de Genève, la maquette de l’Okhta a été accueillie avec enthousiasme, mais elle n'était pas destinée à être produite en série et cet exemplaire unique est aujourd'hui conservé dans le garage de Guennadi Khainov.

« Dans les années 1990, le mouvement des constructeurs amateurs s'est essoufflé. Ce n'est pas tant une affaire politique, mais simplement parce que les voitures en général et les voitures étrangères sont devenues disponibles, de sorte qu’il n’y avait plus intérêt à fabriquer sa voiture soi-même. Les années 1990 ont donc été une période de survie, pas une période de prospérité. Moi, par exemple, j'ai dû conduire un taxi. Bref, les samodelka c’était fini. Et puis il y a eu des obstacles juridiques... Aujourd'hui, peu de gens fabriquent des voitures. Certains créent des véhicules à des fins spécifiques, par exemple pour le sport automobile, où l'on trouve beaucoup d'œuvres de grande qualité. Dans le domaine des véhicules tout-terrain, il existe également des concepteurs et des modèles de qualité, mais il s'agit d'un domaine très spécialisé. Avec une approche appropriée, les voitures faites maison pourraient facilement rapporter de l'argent. Dans le monde entier on parle de personnalisation, de tuning. En Angleterre, il y a beaucoup de petites entreprises qui font des voitures uniques. Dans notre pays, c'est une question d'organisation et d'économie. C'est assez cher, il faut de la place, bref, ce n'est pas rentable. Et comment obtenir une commande pour construire une voiture si on ne peut pas l'immatriculer ? » explique Guennadi Khainov.

Depuis une dizaine d'années, il se consacre à la construction de prototypes sportifs pour les rallyes-raids et, il faut le souligner, avec beaucoup de succès : sa première voiture a remporté le rallye « Ladoga », puis il a remporté plusieurs victoires dans le cadre du championnat de Russie. Son fils aîné Daniil l'a toujours aidé dans son travail. « Il est avec moi dans le garage depuis la maternelle et il travaille à plein temps depuis l'âge de 14 ans. J'ai donc exploité un enfant et je lui ai même payé un salaire » s'amuse-t-il. Aujourd'hui, après quelques années de formation théorique, les Khainov se sont recyclés et se sont lancés dans la fabrication de petits véhicules tout-terrain. Pour cette famille, les voitures sont à la fois un travail et un passe-temps. Après tout, il y a tellement de choses à faire pendant les loisirs ! Par exemple, restaurer la Laura, qui a été gravement endommagée par une manoeuvre imprudente dans un musée automobile, où elle est restée pendant un certain temps.

« C'est une partie de ma vie, de l'histoire. Pour certains, une voiture n'est qu'une coquille de noix, cela peut l’être pour moi aussi, s'il s'agit d'une voiture de série. Mais la Laura a été fabriquée de mes propres mains et je ne peux pas l'abandonner. Je ne la donnerai plus à personne. Elle a été abîmée, mais je vais la remettre en état, et il y a quelques autres voitures qui attendent de l'être. Quant aux voitures ordinaires, quand on a passé toute sa vie dedans, on les traite comme des chaussures. Dans la vie de tous les jours, j'ai les mêmes exigences que pour des chaussures confortables, pas bonnes, de marque, chères, mais confortables. J'ai besoin qu'elle roule et qu'elle ne tombe pas en panne. J'aime construire des voitures, mais je n'aime pas beaucoup les réparer » s’amuse Guennadi Khainov.

Dans le mouvement populaire spontané des « sam-avto », il y a aussi eu des modèles beaucoup plus simples, mais pas moins intéressants. Par exemple, le Muraveï conçu par Edouard Molchanov en 1966. Son moteur provenait d'une moto Java, sa carrosserie était faite de contreplaqué et de tôle d'acier, et il n'y avait aucune porte. Son apparence s'est avérée très inhabituelle, notamment en raison de ses phares « encastrés » caractéristiques. Le Muraveï a joué dans des films et a participé à des compétitions de samodelka, et a même été utilisé comme camionnette pour transporter des gâteaux et des sucreries.

En général, les militants de la construction automobile amateur ont trouvé des dizaines de solutions inattendues. Il n'était pas facile de se procurer des matériaux et des pièces, mais comme on le sait, le système D est une autre chose. Des carrosseries ont été soudées à partir de panneaux de cuisinières à gaz ou de bassines en métal. Les noms des samodelka soviétiques étaient variés : Gnom, Muraveï, Troud, Zvezdotchka, Guepard, Proton, Chmel, Murena…

Il ne fait aucun doute qu'une bonne voiture, conçue de ses propres mains, devenait une baguette magique et un excellent substitut à une voiture produite en série difficile à obtenir. Mais ce n'était pas seulement une question de pénurie, c'était aussi le désir de concrétiser ses propres idées et de conduire quelque chose d'inhabituel, qui ne ressemble pas à celle des autres. La mode des samodelka est passée, laissant place à un choix riche et à un confort abordable, mais il existe encore aujourd'hui des personnes étonnantes aux mains d'or, qui aiment tellement les voitures qu'elles sont prêtes à les construire elles-mêmes !

Lu sur : https://dzen.ru/a/Yp9yFn9F9FoqLL6o
Adaptation VG

Tag(s) : #Histoire, #Samodelka, #URSS, #Laura, #Rencontre