Ni le progrès, ni l’amour ne sont éternels - la Trabant a vécu la dureté de cette vérité comme aucune autre. Après les hourras initiaux et des années d’intenses relations avec ses propriétaires, en 1991, elle n’était soudainement plus recherchée, plus nécessaire. 30 après l’arrêt de sa production, jetons un coup d’œil dans le rétroviseur.
Alors que le marteau frappe, un murmure circule parmi l’assistance. La question taraude ensuite tous les spectateurs : comment un petit morceau de plastique peut-il résister à un tel choc ? Avec du recul, comment une petite voiture comme la Trabant a-t-elle pu durer 25 ans sans aucun progrès ? Parce qu'elle n'a jamais abandonné. Tout comme ce morceau de Duroplast du stand d’exposition avait montré au monde entier, à Leipzig en 1954, que les voitures pouvaient être solidement habillées sans tôle. Mais personne n’était censé savoir le morceau de duroplast que le marteau frappait toute la journée était remplacé chaque soir…
La Trabant a dû se contenter toute sa vie d’une seule et magnifique innovation qui a fait d’elle un chef d’œuvre à sa naissance en 1957. Avec ses dix pièces en plastique posée sur un cadre en acier, elle est la pionnière de la construction légère en grande série. Et l’une de celles qui rouillent rarement. Enfin... Mes oncles voyaient les choses différemment. Ils conduisaient des Lada ou des Fiat et s’amusaient chaque week-end quand ils voyaient arriver dans leur garage une Trabant arriver avec la traverse rouillée, cette sorte de faux-châssis en acier sur lequel reposait le moteur. Sans protection contre la corrosion, elle survivait à deux hivers tout au plus. Stupidement, aucune protection anti-corrosion n’était appliquée en usine. Les propriétaires ignorants l’apprenaient avec des visages défaits dans le garage familial et ne cachaient pas leur relation avec la Trabi. Ils l’ont aimée et détestée, l’ont désirée jusqu’à ce qu’elle soit là et l’ont maudite quand elle l’a été. Mais il n’y aurait pas pu avoir de voiture plus appropriée pour la RDA. D’une certaine manière, la Trabant devait mourir avec la chute du Mur.
La Trabant a pour elle quelques records : aucune autre voiture n’a connu des temps d’attente plus longs, n’est passée du statut de pionnière à reine de la panne, n’a eu l’odeur qu’elle dégageait, n’a roulé avec plus de bonheur sur le Kurfürstendamm, à Berlin en 1989 et n’a transporté des milliers de personnes vers la liberté.
La production de la Trabant s’est achevée en 1991 de manière aussi spectaculaire qu’elle avait commencé. Dans le sud de la RDA encore jeune, la production automobile peinait à se redresser à la fin des années 1940. Le rétrécissement du tissu de fournisseurs avait eu un effet paralysant et on rejetait la politique de nationalisation de la RDA : les [Est-]Allemands fuyaient vers l'Ouest avec leurs capitaux et leurs cerveaux. L’épreuve de force de la Guerre Froide ne faisait que commencer. Avec difficulté, la production de la DKW F8 avait repris en Saxe en 1948, remplacée deux ans plus tard par la F9 - un carrosse en bois recouvert de cuir, toujours aussi rétrograde, et un moteur trois cylindres. La pénurie de métal bloquait les nouvelles idées. Il figurait sur la liste d’embargo de l’Occident et ne pouvait être obtenu qu’à grands frais. Le plastique pourrait le remplacer mais il fallait qu'il soit suffisament robuste. Le développement se poursuivait à plein régime mais prenait plus de temps que prévu. Le 14 janvier 1954, le gouvernement a mis officiellement la pression. Afin de remédier au manque de voitures de production nationale, il fixait comme suit le cahier des charges pour une petite voiture : quatre places, un poids de 600 kg, une consommation de 5,5 litres, une production annuelle de 12,000 exemplaires et un prix unitaire de 4,000 DDR-Marks sortie usine. La Trabi était née - même si ce n’était que sur le papier.
Quatre années supplémentaires se sont écoulées avant que le premier modèle de Trabant (la P50) n’atteigne le bon niveau de maturité. Mais en parallèle, les développeurs ont imaginé en secret le prototype de la P70, toujours basée sur le châssis en bois de la DKW F8 mais déjà dotée d’une carrosserie en plastique. Le matériau stable composé de résine de phénol et de fibres de coton pressées portait le nom de Duroplast et constituait la bonne pièce du puzzle. En octobre 1954, le gouvernement apprend l’existence du projet et accepte à contrecœur sa production en série. La même année, la berline et le coupé sont exposés à la foire de Leipzig. L’enthousiasme dépasse les frontières de l’Est. L’année suivante, la RDA obtient sa première voiture légère : la P70 qui se vendra à environ 38,000 exemplaires jusqu’en 1959.
En septembre 1958, la première Trabant dotée d’un châssis en tôle et d’une carrosserie en Duroplast rivetée et collée était prête. Son moteur bicylindre refroidi par air développait initialement 18 ch (puis plus tard 26 ch) et permettait à cette voiture de 620 kilos des performances honorables - tant que le levier de vitesse en forme de canne restait sous contrôle. Au début des années 60, une situation absurde s'est produite : alors que les rumeurs de construction du Mur de Berlin se multiplient, la Trabi apporte un sentiment de liberté au pays. Les familles peuvent spontanément se rendre à la mer Baltique ou au Fichtelberg. A condition, bien sûr, que le silencieux avant ne soit pas défectueux et ne laisse pas passer les gaz d'échappement dans l'habitacle via le système de chauffage ! Les délais de livraison et les prix au marché noir de cette berline à deux portes qui roule à 90 km/h (plus tard 125 km/h) explosent. A un moment donné, la livraison prenait jusqu’à 15 ans ! Pour cette raison, il était tout à fait normal de commander à chaque enfant une nouvelle voiture. « Aujourd’hui je conduis cette Trabant de luxe et je la vends samedi prochain sur l’un des marchés populaires du samedi ». Maintenant on se faufile avec dévotion autour de ces Oldtimers rutilantes. Les jeter n’était pas une option. La Trabant n’était jamais mise à la casse et même si son nez avait embrassé un char russe, des esprits malins transformaient l’arrière en remorque. Autre exemple de bricolage, agrandir soi-même le réservoir d’essence était très à la mode. De série, il ne pouvait contenir que 24 litres...
L’avenir de la Trabant aurait du se décider en 1968 : les concepteurs présentent au gouvernement la P603, une voiture compacte similaire à la VW Golf - six ans avant sa sortie. Les ministres rejettent cependant le projet car les dépenses sociales et les subventions pour les produits alimentaires sont plus importantes. On en restera donc au lifting anguleux de la Trabant type 601 de 1961, qui les années suivantes ne connaîtra que le strict minimum en matière d’évolution. Lorsque la RDA est dissoute en 1990, les émissions des moteurs deux temps ne peuvent plus être ignorées. La vieille Trabant est équipée d’un moteur Polo, ce qui fait grimper son prix à 20,000 Deutsche Marks, réduit la demande à zéro et entraîne l’arrêt de sa production en 1991.
En 1997, ma relation avec la Trabi n’a duré qu’un an. Après avoir sauvé cet exemplaire gris dauphin de la presse à ferraille, il a fini contre une pile de pont. On aurait dit qu’il avait été frappé par une boule de démolition. Pourquoi la carrosserie n’a pas résisté comme sur le stand de Leipzig en 1954 ? Mystère.
4,000 pièces composent une Trabant complète. Les pièces en duroplast, qui doivent être découpées sur mesure après le pressage, sont uniques. La peinture a d'abord été réalisée à la main, puis par un robot. De 1962 à 1964, la Trabant P60 était d'ailleurs disponible dans un choix de 14 couleurs, mais plus tard, il n'y en avait que six pour la 601. En plus de 30 ans, la production n'a pas vraiment changé, l'assemblage est resté pratiquement le même. Des modifications ont été apportées en 1965 avec le break Universal, en 1967 avec la Tramp (un cabriolet sans portes), en 1970 avec un nouveau tableau de bord rembourré, en 1983 avec le système électrique 12 volts et l'utilisation de feux H4, et en 1986 avec des ressorts hélicoïdaux arrière.
Stress-test est un mot que la Trabant ne pouvait plus entendre. Lorsque ses développeurs ont assemblé la première carrosserie en duroplast de la P70 au milieu des années cinquante, ils se sont tenus debout sur celle-ci pour démontrer qu'aucune fissure ne se formait. Après cela, la voiture a parcouru des milliers de kilomètres - elle est même allée jusqu'en Égypte et a transpiré devant des chameaux. L’expérience de la foire de Leipzig a également marqué les esprits. Les kilomètres d'essai avec une version diesel à trois cylindres, qui ne nécessitait pas plus de quatre litres aux 100 kilomètres, devaient également rester secrets. Et le gouvernement a arrêté le développement de modèle pour des raisons de coûts.
La publicité pour la jeune Trabant était comme la voiture elle-même - géniale. Les dessins montraient ce que le Trabant pouvait faire. Ils renvoyaient aussi une image de la société Est-allemande et sa [soit-disant] joie de vivre. Malheureusement, la publicité s'adaptait à l'immobilisme technique de la Trabant. Les citoyens de la RDA réagissaient avec un humour. Une des blagues les plus courues était : « Quelle est la différence entre une Trabant et un préservatif ? Il n'y en a pas. Tous deux entravent la circulation ».
Lu sur : https://www.auto-motor-und-sport.de/reise/trabant-historie-der-papp-kamerad-aus-dem-osten/
Adaptation VG