La Tatra 613 était aimée et détestée. Appréciée par les amateurs de voitures tchèques et de Tatra, surtont comme l’une de ses dernières voitures particulières, et détestée par ceux dont la vie a été ruinée par le régime précédent. Ce sont les représentants de régime qui y montaient le plus souvent, mais ils ne la conduisait pas. Que proposait-t-elle vraiment à leur chauffeur ?
En 1974, Tatra a présenté une nouvelle berline de luxe à quatre portes (dont le développement était en cours depuis 1967) et qui allait radicalement changer le style du constructeur tchécoslovaque. Il s’agissait du modèle 613, conçu par le studio de carrosserie italien Vignale et qui ne ressemblait en rien au modèle précédent, la célèbre Tatra 603. Elle n’avait peut-être en commun que leur lieu de production, l'usine de Pribor à quelques kilomètres de Koprivnice. La proportion élevée de travail manuel dans sa production signifiait que la Tatra était chère et rare en raison d'une production limitée et nécessitant du temps.
Malgré tout, la Tatra 613 a changé d’apparence et a été modernisée plusieurs fois au cours de sa longue période de production. Déjà en 1980, une version plus économique 613-2 avait été introduite suivie en 1985 de cette version 613-3 dont le dessin originel avait été modifié par Ladislav Vyborny. Vous pouvez la reconnaître à son masque avant, ses phares et ses pare-chocs différents (on utilisait désormais plus de plastique que de chrome, d’où son surnom de « Plastak ») et ses enjoliveurs de roues également en plastique et au dessin caractéristique.
Il y a aussi eu d’autres versions : une berline à empattement rallongé, une version ambulance et un prototype de coupé. On peut être désolé que ce dernier ne soit jamais entré en production parce qu’il était tout simplement magnifique. Mais la berline ordinaire est aussi appréciée car elle est tout simplement très élégante et son dessin ne vieillit pas tellement. Elle peut aussi se vanter de zones de déformation modernes.
Mais vous ne pouviez tout simplement pas acheter une Tatra 613 ! Toutes les voitures étaient destinées aux politiciens, aux directeurs d’usine et parfois aux secours ou aux forces armées. L'exemplaire qui illustre cet article a commencé sa vie au Ministère de l’Intérieur où il était affecté à Vratislav Vajnar qui l'a finalement rarement utilisée ce qui fait que son kilométrage était peu élevé lorsqu’elle a pris sa retraite. En 1995, son moteur a toutefois été remplacé. Elle n’en avait probablement pas besoin mais selon les préconisations d’entretien, elle y avait droit.
Par la suite, la voiture a rejoint les rangs de la police et a effectué une mission de surveillance de la circulation avec son radar de vitesse intégré. On peut d’ailleurs se demander dans quelle mesure une voiture de ce type pouvait rester discrète au bord de la route !
En 2002, le ministère a revendu en lot plusieurs voitures (l’un comprenait plusieurs Tatra 613 dont cette version spéciale). Avant d'être revendue de nouveau, la voiture a été retransformée en Tatra 613-3 « normale » (sans son équipement spécifique OTS EU). Son propriétaire actuel, Michal, l’a achetée alors qu’il n’avait que 18 ans. C’était l’un des meilleurs exemplaires disponibles à ce moment-là sur le marché de l’occasion. Au fil du temps, il a compris à quel point cette voiture était unique et a entamé une restauration exigeante, qui n’est pas encore totalement terminée à ce jour.
L’intérieur cinq places est confortable et royalement spacieux s’il y a moins de passagers à l’intérieur. La partie médiane de la banquette arrière est surélevée. Il n’était pas prévu d'y installer quelqu’un fréquemment. Après tout, il n’y avait qu’une seule personne qui était censée s’installer ici, un ministre ! Et ce dernier avait vraiment beaucoup de place car la Tatra mesure cinq mètres de long et son empattement fait près de trois mètres.
A l’avant, les sièges sont un peu plus durs que ce à quoi on peut s’attendre mais ils sont confortables et rappellent des fauteuils. Cependant, la position est plus semblable à celle d’une fourgonnette et le volant ne peut en aucun cas être réglé. Néanmoins grâce au matériau employé et au rembourrage moelleux, vous ne descendrez jamais « brisé » d’une Tatra, même après un long voyage. Sous le capot avant se trouve le coffre à bagages. Il fait 430 litres mais est très peu profond.
L'équipement des versions habituelles était relativement spartiate. Le modèle OTS EU de 1986 était un peu mieux équipé et se rapproche un peu de celui de la luxueuse version allongée Special. Seule une centaine d’exemplaires ont été fabriqués. Alors que les Tatra habituelles ne pouvaient se vanter que d’un chauffage indépendant (qui consommait 1,4 litres de carburant par heure de fonctionnement) et de seuils de portes en aluminium poli, on trouvait dans ce modèle une climatisation d’origine américaine, des vitres électriques italiennes (en Tchécoslovaquie personne n’était capable d’en produire) et teintées (les vitres venaient également d’Italie), des rétroviseurs Bosch de Mercedes W116 et W123, un radiotéléphone Tesla et des ceintures de sécurité arrière.
Dans le même temps, vous pouviez toujours trouver des plastiques d'une qualité quelque peu embarrassante, des interrupteurs identiques à ceux des Skoda, des autocars Karosa ou des tracteurs Zetor (mais pourtant spécifiques à la Tatra), des aérateurs de Skoda 100 et un cendrier avant de Trabant. La ventilation ne pouvait pas assurer une bonne circulation de l’air de sorte que les Tatra étaient souvent embuées à l’intérieur. L’ergonomie et l’emplacement de certains interrupteurs pouvaient sembler inhabituels mais les tissus intérieurs en velours côtelé, d’une belle couleur kérosène, étaient appréciables.
Quand la Tatra reste stationnée pendant une longue période, les deux batteries situées sous le capot avant doivent être débranchées car elles se déchargent facilement (certains propriétaires n’en débranchent qu’une). Pour un départ fiable, certains propriétaires se garent en descente. Mais Michal n’a pas encore rencontré ce genre de problème. Sous le capot arrière on trouve une pompe manuelle pour amorcer l’arrivée de carburant dans le carburateur.
Typiquement Tatra, et cela ne changeait pas avec la Tatra 613, était le concept du moteur situé longitudinalement à l’arrière et la propulsion arrière. Tout aussi traditionnel était le 8 cylindres en V DOHC à refroidissement par air. Dans le cas du modèle 613, la cylindrée est de 3,5 litres. Cependant il s’agissait d’un nouveau moteur développé spécialement pour lui, seuls les prototypes utilisaient encore le huit cylindres de l’ancienne 603. Il développait à l’origine 168 chevaux à 5,200 tr/min avec deux doubles carburateurs et 270 Nm à 3,300 tr/min (comme pour l’exemplaire de cet article). Après le passage à l’injection, il faisait 200 chevaux et 300 Nm.
Le son bouillonnant provenant des deux sorties d’échappement à l’arrière est une merveille. A vitesse plus élevée, le concert de la mécanique est clairement magnifique et rappelle les vieux V8 américain. Et même s‘il se fait beaucoup entendre à l’intérieur, cela ne dérange pas. Le moteur réagit à peine la pédale d’accélérateur enfoncée (qui est d’ailleurs un peu raide), soulève l’avant de la voiture qui accélère rapidement. Les Skoda et la Lada ordinaires sur les routes d'alors, n’avaient aucune chance contre les Tatra.
La Tatra n’avait qu’une transmission manuelle à quatre rapports entièrement synchronisés, mais ses utilisateurs ne s’en souciaient probablement puisque la plupart d’entre eux avaient leur chauffeur personnel, qui devait souvent se passer de la direction assistée et s’habituer à la longue course de la pédale d’embrayage et le débattement du levier de vitesses. Mais, il pouvait aussi compter sur de puissants freins à disques à double circuit sur les quatre roues, quasiment infatigables. En matière de consommation, il était pratiquement impossible de descendre en dessous de 10 litres et en ville elle pouvait même monter à 18 litres.
Le poids total était de 1,690 kilogrammes, ce qui n’est pas mal pour une grande limousine. La vitesse maximale était de 190 km/h et elle passait de 0 à 100 km/h en 11,4 secondes. Le châssis modernisé (jambe de force McPherson à l’avant, essieu coudé à l’arrière) avait déjà été testé avec le prototype 603X et était parfaitement adapté à la Tatra 613. La voiture se comporte magnifiquement dans les virages et ne dérape pas du tout comme on pourrait le craindre. Le concept du tout à l’arrière n’est pas aussi effrayant, la voiture étant même sous-vireuse à la limite.
Le moteur lourd donne de l’appui à l’essieu arrière car il est directement positionné au-dessus et les roues avant sont légères. Ce n’est qu’à vitesse plus élevée, en ligne droite, que la voiture peut flotter un peu. La facilité de manœuvre est étonnamment très bonne, grâce à l’énorme volant et n’est contrariée que par l’absence d’assistance. Cependant la Tatra est très douce et confortable, ce qui est le plus important pour une limousine !
Environ 3,000 exemplaires de Tatra 613-3 ont été construits (mais Tatra numérotait également les caisses nues) et en 1991, elle a été remplacée par le modèle 613-4 également dessinée par Ladislav Vyborny, à partir duquel a également été dérivée l’ambulance RZP. Le modèle 613-5 n’était qu’un prototytpe, tout comme la Tatra Prezident parfois appelée 613-6. Le type 613 a définitivement été arrêté en 1996, bien que cela ne soit pas tout à fait vrai puisque son successeur, la Tatra 700, a beaucoup de choses en commun avec elle et dans certains documents elle est même désignée sous le type 613-7.
La Tatra 613 classique est décemment puissante et rapide, mais surtout spacieuse et confortable, mais elle souffre souvent de problèmes de corrosion - après tout, chez Tatra, on s’attendait à ce que les institutions fassent remplacer leur carrosserie tous les 6-7 ans - son chauffage additionnel est capricieux et les pièces de rechanges de plus en plus difficiles à trouver. Les critiques de l’époque sur la qualité de fabrication inégale et l’utilisation de certaines pièces et matériaux bon marché sont parfois justifiées avec des infiltrations d’eau dans l’habitacle ou dans les phares. On parle aussi souvent de son frein à main non fonctionnel, mais le moteur serait increvable.
Dans les années 1990, de nombreuses personnes se sont détournées des Tatra en tant que symbole du socialisme et du parti communiste au pouvoir. Peu modernisée, sa production était déjà en déclin et il s’agit presque de voitures fabriquées sur commande individuelle adaptée au client. Aujourd’hui, elle est appréciée des collectionneurs alors que durant la période post-révolutionnaire, elle avait rapidement perdu de l’intérêt, la plupart des gens étant attiré par les voitures occidentales. Les voitures survivantes apparaissent souvent dans des films ou des séries qui vous replongent dans l’atmosphère de l’époque, comme cet exemplaire.
Cependant, vous devrez préparer plusieurs centaines de milliers de couronnes tchèque pour un exemplaire décent, et même un demi-million, en fonction de la version. Mais une fois à son volant, vous en tremblerez car cette limousine a une étrange aura que vous ne ressentirez pas dans une autre voiture.
Lu sur : https://www.garaz.cz/clanek/tatra-613-3-ots-eu-zahrat-si-na-ministerskeho-sofera-21004381
Adaptation VG