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Il y a 40 ans en RDA, Gerhard Müller a installé la première tente de toit sur une Trabant. Les nombreux reportages de télévision de l’Allemagne de l’Est l’attestent. Durant leurs vacances les citoyens de la RDA rêvaient, plus que quiconque, de s’ébattre sur les plages de la mer Baltique, de passer une nuit au cap Arkona ou d’aller faire bronzette sur la mer Noire. La fameuse « Dachzelt » - la tente de toit de voiture - a été fabriquée pour la première fois à Limbach-Oberfrohna en 1979, près de Karl-Marx-Stadt - aujourd'hui Chemnitz - et peut être considérée comme une spécialité de la RDA.

Ce n’est pas Gerhard Müller qui a inventé la tente de toit en tant que tel. Non, dès les années 1930, les globe-trotters utilisaient cette forme de campement dans les zones inhabités, comme les déserts. Dans les années 1950, des sociétés de République Fédérale Allemande et d’Italie ont lancé la production en petite série de tentes de ce type, et l’on pouvait en voir dans les zones touristiques habituelles. Le mérite de Gerhard Müller a été de reprendre cette idée et de la mettre en œuvre dans les conditions économiques très particulières de la RDA.

Lorsque le mur de Berlin et, bientôt aussi, les frontières intérieures de l’Allemagne sont tombées le 9 novembre 1989, le désir des habitants de la RDA de voyager hors des frontières de l’ancien bloc de l’Est ont sonné le glas de la « Dachzelt ». Et si Gerhard Müller et sa petite entreprise, déjà faible sur le plan économique, ont aussi raté le saut vers l’économie de marché, c'est parce qu’il n’était pas un homme d’affaires sérieux, malgré ses talents d’inventeur.

Né en 1930, à Kaufungen, aujourd'hui quartier de Limbach-Oberfrohna, Gerhard Müller a suivi une formation de machiniste et a travaillé dans la ferme de ses parents. Un parcours classique dans l’Allemagne d’après-guerre. Mais Gerhard Müller pensait différemment et ne voulait pas se soumettre à un curriculum-vitae normal. Il voulait s’ouvrir au monde.

En 1948, il était encore relativement facile et sûr de franchir les frontières de l’Allemagne occupée. Ceux qui fuyaient la zone soviétique cherchaient généralement le salut dans l’une des trois zones occupées par les puissances victorieuses occidentales. Gerhard Müller aspire à une autre vie : différente des standards allemands de vie bien organisée, axée sur le succès et prudente avec l’argent. Il veut être complètement libre et profiter de la vie. La France lui semble être le bon endroit pour cela.

Ce qu’il va faire durant les dix années qui suivent n’est pas connu dans le détail. Mais dans les archives familiales conservées par sa fille Sylvia, il y a une pièce d’identité qui l’identifie comme habitant Fontanil- Cornillon près de Grenoble où il est « Mécanicien » (en français dans le texte) de profession. Cela correspond à peu près à ce dont sa fille se souvient. Aujourd’hui, elle pense que son père a travaillé en France dans son métier, c’est-à-dire comme mécanicien en agriculture.

A la fin des année 1950, Gerhard Müller revient comme il était parti quelques années plus tôt. Ses parents sont malades et l’on appelé à l’aide pour s’occuper de la ferme familiale. Un tel retour, sans être inquiété, est inhabituel en RDA. Quiconque se déplaçait d’ouest en est, surtout les « rapatriés », étaient fondamentalement suspect. En règle générale, ces personnes se retrouvaient dans des camps d’accueil, où elles étaient contrôlées et idéologiquement formatées à la RDA... En plus de soutenir ses parents, le « Français », comme on l'appelle désormais, va suivre une formation de chauffeur professionnel avant de travailler pour l’entreprise VEB ORSTA-Hydraulik à Karl-Marx-Stadt.

Le qualificatif dont on l’a affublé après ses dix ans d’absence n’était en aucun cas un surnom. Au contraire. Il continue à cultiver un style de vie et un environnement rappelant la France. Il a des regards et des chuchotements de travers. Sa fille souffre ce cette réputation, elle est harcelée voire même évitée par les autres enfants. Les pensées « absurdes » de Gerhard Müller tournent rapidement autour d’un projet dont la mise en œuvre n’est pas certaine. Il s’agit de cette fameuse tente de toit de voiture qu’il a vue ou dont il a entendu parler en France.

Au début des années 1970, après son divorce, Gerhard Müller se rend en Roumanie avec sa petite amie Inge avec leur Trabant et leur tente. Lors de ce voyage, le soir, il aurait eu du mal à installer la tente et c’est comme cela que lui revient l’idée d’un lit sous une tente montée sur le toit de sa voiture.

La première apparition publique de cette « extension » de toit est visible dans le numéro 9/1976 du magazine « Der Deutsche Straßenverkehr ». Il faudra attendre ensuite 1979 pour qu’elle soit protégée légalement et qu'il soit prêt pour une production en série. L’office des brevets de la RDA lui a délivré le brevet 143 578 qui décrit une « galerie de toit avec une structure de tente pour voiture ». Ce brevet aurait pu se limiter à la Trabant car les supports pour la galerie de toit n’était nécessaire que pour cette voiture. Mais Gerhard Müller a également produit sa tente de toit pour d’autres voitures, sans ces entretoises additionnelles brevetées.

En tant que petite entreprise, on lui avait attribué la tant convoitée « Bilanzanteile » c’est-à-dire la permission d’acheter des matériaux. Mais cela ne suffisait pas toujours pour garantir l'activité : parfois il manquait de tissu de tente, parfois il n’y avait pas assez de boutons-pression ou pénurie de fermetures Eclair. Seules les petites entreprises privées qui savaient « s’organiser », pouvaient survivre.

Gerhard Müller était un maître dans ce domaine : vif, sournois, agile. Dans Berlin mieux approvisionné, il trouvait ce dont il avait besoin contre la promesse d’acheter d’autres matériaux grâce à la fameuse « Bilanzanteile ». Rétrospectivement, cette organisation est sans doute sa plus grande réalisation. Une réalisation qui ne peut être appréciée qu'en connaissant les conditions de l’époque dans lesquelles ses petites sociétés privées étaient autorisées à exister.

La demande pour les tentes de toit augmentait rapidement. Gerhard Müller en fabriquait deux, parfois trois par semaine. Il était satisfait de ce qu’il produisait avec l’aide de son associé et d’un employé permanent, ainsi qu’un ou deux intérimaires. Cependant, l’organisation de la production n’était pas son truc. Lui qui aimait bouger, vivre avec un grand train de vie et dépenser plus d’argent qu’il ne pouvait se permettre ! Et il continuait toujours la vente directe de ses « Dachzelt » le samedi. Initialement au prix de 1,340 marks, puis 1,610 marks. Rapidement, il organise des petites rencontres puis des réunions annuelles pour la communauté des utilisateurs de tentes de toit. D’abord dans les environs, puis dans des endroits plus éloignés. A partir de 1984, la communauté se réunit régulièrement à la Pentecôte.

La facilité avec laquelle il manipule l’argent fait de Gerhard Müller un débiteur permanent dans la seconde moitié des années 1980. Il ne peut plus payer ses fournisseurs, perd ses partenaires commerciaux et ses amis. Il refuse de suivre le conseil de sa fille d’acheter à un prix avantageux le local qu’il loue pour sa production.

Puis arrive le moment où ses clients potentiels s’ouvrent soudainement à d’autres formes de voyage. Du jour au lendemain, il perd son local mais rêve encore d’une production à grande échelle avec l’accès à un plus grand marché offert par la chute du Mur. Mais pour cela, il a besoin de l’argent des banques, mais celles-ci ne le voient pas comme un emprunteur de confiance.

Il finit par mettre sa maison et ses terres en gage pour obtenir de l’argent. Mais le dernier contrat qu’il passe contient une clause qu’il ne prend pas en compte ou dont il ne comprend pas la portée. Et il perd donc tragiquement ses affaires, finissant quasi ruiné et la mort dans l'âme. Il décèdera lors d'une voyage en Pologne en 1999, alors qu'il attendait à la frontière.

Depuis 2009, une nouvelle génération d'amateurs de « Dachzelt » se retrouvent chaque année pour la « Treffen der Neuzeit ». Montées en majorité sur des Trabant, les tentes brillent des couleurs vives de leurs toiles fraichement restaurées. Et comme par le passé, ces tentes sont l'expression d'un art de vivre.

Lu sur : https://www.volksstimme.de/mauerfall-dachzelt-fuer-den-trabant
Adaptation VG

Tag(s) : #Histoire, #Trabant, #Camping, #Dachzelt, #Personnalités