On ne l’appelait jamais VAZ-2101 : elle était la Kopeïka, la « jeune » (« Stiliaga »), l’unité (« Edinitchka »), la boîte (« Korobotchka ») et la bassine (« Tazik » d’où le terme souvent utilisé de TAZ pour désigner VAZ). Pourtant nombreux sont ceux qui reconnaissaient que, par son design moderne pour l’époque et ses solutions techniques, elle dépassait largement la plupart de ses concurrentes soviétiques. Au milieu des années 1960, la production totale de IZH et de Moskvitch avoisinait les 350 mille exemplaires par an. Mais les besoins en cette catégorie de véhicules étaient trois à quatre fois plus élevés. Voilà pourquoi en 1966 la décision d’acheter un voiture et l’usine pour la fabriquer auprès des capitalistes a été prise au plus haut du gouvernement et du Parti.
Bien sûr, il aurait été possible de mettre tout cet argent dans le développement d’une nouvelle voiture de production nationale. Mais on prévoyait aussi d’exporter la future « Jigouli ». Vendre à l’étranger la copie d’un modèle déjà connu serait plus facile que de commercialiser une nouvelle voiture. De plus, le développement d’un nouveau modèle ne pouvait pas se faire en seulement un an et les consommateurs en avaient besoin tout de suite.
Ce sont les ingénieurs de l’Institut de recherche en automobile et en moteurs (NAMI) qui ont donc été chargés de choisir la nouvelle voiture du peuple. Ils ont considéré plusieurs modèles des grands constructeurs mondiaux parmi lesquels des Peugeot et Renault françaises et une Ford américaine (au total ils ont examiné sept voitures). Mais une circulaire émise en haut-lieu a finalement exhorté les ingénieurs à porter leur choix sur la Fiat italienne. Cela n’a rien d'étonnant : La Fiat 124 avait reçu en 1967 le titre de voiture de l’année. Imaginez l’étonnement des spécialistes de NAMI quand ils ont vu les résultats de leurs tests : la Fiat testée sur les pistes du polygone d’essais de Dimitrov était littéralement en miettes. Les parties roulantes et le moteur étaient délabrés, des boulons et des pièces du châssis s'étaient cassées en deux comme des allumettes, la carrosserie était couverte de fissures. La voiture qu'il ont renvoyé en Italie a dû servir pour la pièce de rechange ! Mais les tentatives des ingénieurs pour attirer l’attention des responsables du Comité Central du PCUS n’ont eu aucun effet : « trouver et comprendre ce qui ne va pas, voilà pourquoi on vous paie ! » a dû être la réponse.
On a donc commencé à améliorer cette Fiat en faisant travailler les cerveaux russes et les ressources techniques de l’Institut NAMI. En fait ce sont des essais qui auraient coûté à Fiat énormément d’argent dans des conditions capitalistiques. Mais le socialisme prévalait en URSS, de sorte que les Italiens ont pu volontiers profiter des conseils, utiles et « gratuits », des ingénieurs soviétiques. Dans les faits, les Russes leur ont donc fourni une toute nouvelle voiture, en remplaçant quasiment toutes les pièces, y compris le moteur. « Avec nos mains et nos cerveaux, les Italiens ont créé une nouvelle voiture. Mais il n’y avait pas de contrat pour cela. Il lui ont donné ensuite un nouveau nom, Fiat 125, et ils en ont vendu un demi-million en Pologne » explique Kirill Sitine, qui dans les années 60 occupait le poste de chef du département essais de l’Institut NAMI. A noter qu’après avoir profité des conseils utiles des ingénieurs soviétiques, les Italiens ont « oublié » d’apporter des modifications dans la VAZ. En qualité, les produits de Renault étaient meilleurs que ceux de Fiat. Mais une nouvelle fois c’est la politique qui a primé sur l’économie. A l’époque le PCUS entretenait des relations très amicales avec le Parti Communiste italien et c’est comme cela que Fiat l’a emporté.
Pourtant, en raisons du prix exorbitant demandé, la signature de l’accord avec les Italiens prenait du temps. Le KGB a commencé à faire courir la rumeur d’entretiens fructueux entre les représentants commerciaux de l’URSS et la direction de Renault pour l’achat d’une usine. Les Italiens refroidis dans leurs ambitions ont donc proposé des nouvelles conditions, plus favorables pour les Russes, et ont même baissé les intérêt annuels à un taux plus raisonnable de 5,6%.
Après la signature du contrat, la construction de l’usine a commencé à un rythme effréné que l’on avait plus connu depuis la fin de la Grande Guerre Patriotique : alors que les bâtiments n’étaient pas encore achevées ont installait déjà l’appareil productif en travaillant 24/24h. Un bureau d’étude temporaire a même été ouvert dans tout ce bruit. Cette course s’expliquait très simplement : on avait demandé à la direction de l’usine de lancer la production le 22 avril 1970, une date qui n’était pas choisie par hasard, puisqu’elle correspondant précisément au centenaire de la naissance de Vladimir Ilitch Lénine. On voulait même appeler la voiture « VIL-100 ». Mais çà, on n’a pas réussi...
Entre temps, deux ans avant la fabrication de la première VAZ, un magazine automobile soviétique avait lancé auprès de ses lecteurs un concours pour trouver le nom de la future voiture. 55 mille lettres furent reçues. Près de 4,000 personnes, comme une seule, proposèrent le nom de « Volzhanka (« habitante de la Volga »), près de 3,000 le nom de « Druzhba » (« Amitié »), 3,000 autres avaient simultanément imaginé le nom de « Mechta » (« Rêve »). Les noms de « Lada » et « Jigouli » avaient, elles, été proposées par respectivement 1,700 et 2,200 lecteurs. Il faut reconnaître qu’il s’agissait là d’une rare unité de pensées et d’idées. Soit dit en passant, le premier modèle avait un moteur 1200 cm3 qui développait la puissance de 64 chevaux et permettait de rouler à plus de 140 km/h, une vitesse sans précédent pour l’époque. Cependant, il s’agissait là d’une vitesse quasi impossible à atteindre sur les routes soviétiques.
Le lancement de la Jigouli sur les marchés étrangers a été cause de scandale et d’embarras. Parce que ce nom était proche de « gigolo », un mot désignant en français et en anglais, un homme qui se vend pour de l’argent ou un souteneur. Le problème fut rapidement résolu et la version export rebaptisée « Lada », un nom qui ensuite sera également utilisé pour le marché intérieur.
Malgré ce succès, comme avant, des milliers de personnes étaient toujours en attente de leur « Jigouli ». Voyant l’intérêt que provoquait la voiture, l’Etat avait lui-même mis en place dans les usines, dans les kolkhozes et autres organisations des listes d’attente spécifiques, qui permettaient à d’heureux bénéficiaires de toucher la leur plus rapidement. Il arrivait parfois, que pour une raison ou une autre, une personne refuse d’acheter la voiture qu'on lui avait accordé. C’était rare mais cela eu rapidement une conséquence : la revente du droit à recevoir une auto. Enfin, la méthode à suivre était un peu particulière : il fallait d’abord faire acheter la voiture par la personne à qui elle était initialement destinée puis faire modifier les papiers avec le nom de celui qui voulait « recevoir la belle ». Mais parfois, la Jigouli après l’achat était tout simplement revendue à un prix plus élevé.
Il y avait une autre façon d’obtenir une voiture sans attendre. Il était possible de la gagner à la loterie. Dans ce cas, le détenteur d’un ticket gagnant pouvait le revendre en en tirant un très grand profit. Et si le propriétaire d’une VAZ neuve voulait maximiser ses gains, il pouvait aussi se rendre dans le sud où il pourrait revendre sa voiture à plusieurs fois son prix.
Les Jigoulis étaient aussi vendues en Grande Bretagne. Pour compenser la perte d’équilibre dans les masses sur les voitures « anglaises » en raison du transfert de la direction à droite et du fait que le conducteur était passé sur l'autre siège, on avait tout simplement renforcé le ressort avant droit. Le marché canadien exigeait aussi de nombreuses modifications. Les dockers londoniens et la bourgeoisie allemande aimaient vraiment la Lada. Elle a été vendue dans des dizaines de pays où elle était appréciée pour ses prix incroyablement bas (pour gagner des parts de marché, l’URSS n’hésitait pas à faire du dumping) et pour sa fiabilité (d'autant plus que les voitures destinées à l’export avaient un niveau de qualité plus élevé que celles destinées au marché domestique).
Etonnamment et comme en URSS, les acheteurs attendaient plusieurs années leur voiture ans les pays du Pacte de Varsovie. Les Cubains appréciaient eux aussi les Lada et les ont même rallongées de manière artisanale pour en faire des taxis. Elles ont également été vendues en Corée du Nord mais à très peu d’exemplaires en raison de la pauvreté de la population : même à l’époque où l’URSS injectait dans l’économie du pays des millions de dollars, les gens vivaient comme les soviétiques dans les années 30.
L’histoire de la « Jigoulenka » est pleines d’anecdotes. Près de 7 millions de Lada « classiques » sont encore immatriculées en Russie, soit 20% des voitures en circulation. L’histoire est donc loin d’être terminée. Une Lada bien entretenue dans les ateliers de réparations qui existaient en URSS peut encore être réparée aujourd’hui dans la station-service la plus proche. Et si on l’aime encore autant aujourd’hui c’est sans doute plus que pour une simple question de nostalgie.
Lu sur : http://svpressa.ru/post/article/132045/
Adaptation VG