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 Le cadeau de Tito : essai de la Yugo Koral.

Il y a quelques années, lors d’un de mes précédents voyages en Serbie, j’avais cherché à louer une voiture. Sur le site d’une des entreprises de location que j'avais consulté, j’étais tombé sur une Yugo Koral. Comme on peut s’y attendre c’était l’offre la moins chère. Je ne sais pas pourquoi, mais au dernier moment j’ai changé d’avis et je suis allé sur la côte Adriatique en Megane. J’ai longtemps regretté cette occasion manquée car cela aurait été une belle expérience... Heureusement, une deuxième chance s’est présentée à moi.

- «Tu ne sais pas où on peut essayer une Yugo ? » demandais-je à mon voisin Milos, avec qui je prenais un café dans un bar de Belgrade, café que l’on boit ici soit dit en passant jour et nuit ! Mais on peut boire aussi un petit verre de slivovitsa à n'importe quel moment de la journée...

- « Une Yugo ? Pourquoi cela », a-t-il demandé. Ecoute. « J’en ai une garée sous mes fenêtres ».

- « La tienne ? »

- « La mienne. Tu la veux ? Je te la vends pour cent euros », a rigolé mon voisin qui aime comparer sa Yugo avec une autre « voiture du peuple » qu'il a possédé avant, une bonne vieille Coccinelle. Peut-être que la comparaison n’est pas vraiment en faveur du bébé de l’industrie automobile yougoslave mais il est impossible de sous-estimer son rôle dans la vie du pays.

- « Si tu veux, on peut aller faire un tour », me dit mon voisin. Il sort de la voiture deux caisses de rakija, presque fabriqué à une échelle industrielle et selon une vieille recette familiale dans son village natal à deux cents kilomètres de Belgrade. La Yugo ne lui sert qu’à livrer ces caisses à ses clients. En général, il préfère se déplacer dans la capitale en bus, Belgrade étant une ville très bien desservie sur ce point.

- « On peut partir sans papiers, la police ne nous arrêtera pas », explique Milos. Je ne partage pas son optimisme et je prends quand même mon permis de conduire avec moi.

Cette Yugo a déjà de la bouteille : elle a 27 ans. Son histoire a été difficile. Comme beaucoup d’autres voitures yougoslaves, elle a changé plusieurs fois de propriétaire, dans la famille ou entre connaissances. C’est un ami du père de Milos qui l’a achetée neuve, sortie tout droit de l’usine de Kragujevac. Après l’avoir conduite quelques années, il l’a revendue à celui-ci. Pendant quelque temps il l’a utilisée personnellement puis elle a servi dans sa petite usine de fabrication de fenêtres. Les ouvriers l’ont conduite pendant plusieurs années à l’intérieur de l’usine. Puis l’usine a fermé et c’est Milos qui a hérité de la voiture. Il en est propriétaire depuis presque huit ans.

Concrètement, le coffre de cette Yugo s’ouvre à l’aide d’une clé. N’importe laquelle. Il suffit de la mettre dans le trou de la serrure et de pousser un peu. Dans le coffre, il a juste assez d’espace pour mettre quelques sacs du supermarché le plus proche ou, comme nous l’avons vu avant, deux caisses de bouteilles de rakija.

L’habitacle de la Yugo est recouvert de tissu gris : les sièges avant ont même des petits appui-têtes. L’espace à l’intérieur est plus grand qu’il ne le paraît. Un homme de taille modeste, comme moi, s’y sent comme dans une voiture normale. Milos et son meilleur ami Goran, leurs petites amies et même leur chien ont réussi à y monter.

Les pédales se trouvent anormalement proches l’une de l’autre. Le tableau de bord est très simple. A part les commandes de chauffage, il n’y a rien d’autre. Il ne fait pas beau à Belgrade, les vitres sont embuées. Pour résoudre le problème, il faut utiliser le chiffon que l'on trouve dans ce réceptacle qu'on ose appeler boîte à gants. Au feu rouge, on peut essuyer rapidement les vitres et tout rentre dans l’ordre.

Les vitesses - il y en a cinq sur ce modèle - ne passent pas trop facilement, mais on s’habitue vite. On peut rouler jusqu’à 110 / 120 km/h mais ce n’est pas forcément souhaitable. Pour une petite voiture, la consommation est assez élevée : près de 10 litres en ville alors que le moteur 1,3 ne développe que 62 ch. A noter que c’était le moteur le puissant proposé sur la Yugo !

Milos n’aime pas le bruit de son moteur : « C’est comme une Formule 1 » plaisante-t-il. Pour moi, l’isolation phonique est normale et on remarque seulement une sorte de claquement, quelque part dans les profondeurs du compartiment moteur, lors des démarrages en côte. Les supports moteur ont peut-être déjà rendu l’âme ? L’embrayage est vraiment à bout de souffle. Il ne devrait pas tarder à faire de même.

Pourtant à côté de la plupart de ses « compatriotes », l’état technique de cette Yugo est vraiment très bon. Tout cela parce depuis son enfance Milos a traîné dans le garage de son père et a appris beaucoup de choses et que pour quelques dizaine d’euros on peut acheter des pièces détachés à en remplir la moitié de l’habitacle ! On voit d’ailleurs que Milos aime sa vieille Yugo et est même assez fier d’elle.

A Belgrade, en général, on croise encore beaucoup de vieilles voitures : Renault 4, Citroën 2CV. Elles sont propres et en bon état. Même les simples Yugo dont le prix ne dépasse pas les 500 euros sont souvent équipées de dispositifs antivol, sont soigneusement repeintes avec des intérieurs remis au goût du jour. Belgrade, comme toutes les grandes capitales, a des problèmes de circulation et de parking, surtout dans le centre, et c’est pourquoi les voitures comme cela sont très populaires. Elles sont faciles à garer, peu coûteuses à entretenir et le prix de l’essence est dans la moyenne européenne.

Techniquement parlant, la « voiture du peuple » yougoslave n’avait rien de particulier, mais la Yugo (ou Zastava Koral) a joué un grand rôle dans l’histoire. Tout a commencé avec le développement de Fiat. En URSS, le géant automobile de Togliatti s’était basé sur la Fiat 124. Dans les Balkans on a décidé de prendre un autre modèle italien très populaire, la Fiat 128 qui en 1970 avait été désigné Voiture Européenne de l’Année. Un accord a été conclu pour construire ce modèle dans l’usine Zastava de Kragujevac.

La première Yugo a été fabriquée à l’automne 1978. Dans la plus grande tradition de l’époque, cette voiture a été offert à Josip Broz Tito. Deux ans plus tard commence la production en série. Au début des années 80, la Yugo était devenue une vraie « voiture du peuple ». Pratiquement tout le monde pouvait se l’acheter, on pouvait partir à la campagne avec ou s'en servir pour régler les affaires courantes en ville. Les 60 chevaux sous le capot étaient largement suffisants.

De façon inattendue, il a été décidé d’exporter cette voiture bon marché aux USA où elle a reçu le nom de Yugo America. Plus de 140 mille exemplaires ont été vendus là-bas où elle était équipée d’une lunette arrière chauffante et pouvait même recevoir une boîte automatique à trois rapports ! Mais le moins que l’on puisse dire c’est que les Américains n’ont pas été impressionnés par la voiture. Les forums aiment reprendre cette citation traduite de l'américain : « Quand vous rouliez en Yugo, vous aviez le sentiment de conduire quelque chose construit sous la menace d’un pistolet. Fait intéressant, la voiture avait une lunette arrière chauffante dont la fonction principale était de vous réchauffer les mains quand vous la poussiez ! ».

En 1985, la Yugo a fait partie de la liste des pires voitures vendues aux USA selon le New York Times. Plus tard, en 2007, elle est entrée dans le top 50 des pires voitures de tous les temps. La dernière Zastava a quitté la chaîne de montage en 2009 et est partie directement au musée. En tout, la marque a produit 4,2 millions de voitures, 700 mille ont été exportées, pas seulement en Amérique mais aussi, par exemple, en Afrique du Nord et en particulier en Egypte.

Depuis longtemps aux USA, même le nom de la voiture est tombé dans l’oubli alors que dans d’autres pays elle est considérée comme une rareté. En ex-Yougoslavie, le chef d'oeuvre de l’usine de Kragujevac reste une amie et une assistante fidèle. On peut trouver une Yugo pour 100 à 500 euros en fonction de son état. Les étudiants et les retraités peuvent donc se permettre de se l’acheter. Il y a plus de place à l’intérieur qu’on ne le pense mais il y a plus important : sa valeur affective. Presque toutes les Yugo se transmettent de père en fils (ou de grand-père à petit-fils). Ce n’est pas seulement une question de souvenirs mais aussi parce qu'on peut la réparer dans la rue pour trois francs six sous et prolonger ainsi sa vie de quelques années encore.

Lu sur : http://www.kolesa.ru/test-drive/podarok-broz-tito-testdrajv-yugo-koral-2016-01-23
Adaptation VG

Tag(s) : #Zastava, #Yugo, #Rencontre