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Les vitrines des concessionnaires sont pleines de voitures, les remises atteignent près de 80% mais nous pouvons encore difficilement nous permettre d’acheter une voiture neuve. Dans la situation actuelle, avec le renchérissement des taux de change, il n’y a plus assez d’argent pour en acheter. En URSS, c’était différent. Il y avait de l’argent mais il n’y avait pas de voitures !
Malgré une industrialisation à outrance où dans les usines travaillaient en trois huit, la situation de pénurie était devenue un véritable fléau pour l’économie soviétique. Tout était calculé correctement par l’économie planifiée administrativement mais les biens de consommation, y compris les voitures, étaient distribuées par des bases et des fonds qui décidaient qui, précisément parmi les ouvriers, pouvaient acheter ces biens. Dans cet Etat au fonctionnement stable il y avait beaucoup d’argent et il y avait aussi beaucoup de personnes souhaitant le dépenser. Et pourtant au milieu des années 70, même ce phénomène nouveau qu’était la voiture produite en masse et relativement abordable, a dû être retiré assez rapidement de la vente libre uniquement du fait que le pouvoir d’achat en URSS était très élevé.
La situation a aussi été aggravée par le fait qu'une strate sociale qui avait accès à l’achat par des « bons » ne répugnait pas à faire de l’argent avec ce privilège. Voilà pourquoi, dans de nombreuses régions, la pénurie a gonflé artificiellement à un point tel qu’elle a été l’objet de nombreuses légendes et satires. On se souvient ainsi de la réplique d’Arkadiï Raïkine sur le fameux « difsit ».
Pour acheter, par exemple, une très convoitée Jigouli, il ne suffisait pas seulement d’accumuler 6,000 à 7,000 roubles (jusqu’à la célèbre hausse du prix de la Kopeïka en 1979 de 5,500 roubles !) car il y avait toujours quelqu’un pour qui cette voiture était plus utile en raison de son statut. Par exemple un contremaître, un « stakhanoviste » du travail ou un vétéran de guerre...
Après avoir réussi à se faire inscrire sur liste d’attente (pas celle du « fond » de l’usine qui était toujours prioritaire) et avoir attendu pendant 5 à 6 ans on pouvait devenir propriétaire d’une Jigouli « surprise ». Pourquoi « surprise » ? Car on pouvait recevoir une voiture d’une couleur dont même les enfants se moquaient ! Mais qu’est-ce qu’on pouvait y faire ? Périodiquement on a tout de même pu acheter librement une Moskvitch, une Zaporojets ou une Niva. Enfin, uniquement, durant la période de relative prospérité des années soixante-dix.
Si vous vouliez devenir propriétaire d’une voiture de manière immédiate, il fallait regarder du côté des occasions qui coûtaient souvent plus cher qu’une neuve (!). « C’est vous qui voyez, mais c’est plus rapide ». Enfin, dans certains cas, il était possible d’acheter une voiture neuve en évitant tous ces problèmes, par exemple après un long séjour à l’étranger, au cours duquel il était possible de gagner et d’économiser le montant requis, non pas en roubles « en bois » mais en roubles « convertibles ».
Pourtant, acheter une voiture n’était que la moitié de la bataille. Après il fallait pouvoir l’utiliser ! Pour cela il fallait de l’essence, des lubrifiants, des consommables... Le plus simple c’était quand même l’essence. En faisant la queue à une station service, le citoyen soviétique pouvait mettre dans le réservoir les 10 / 20 litres qui lui suffirait pour une période plus longue qu’aujourd’hui... car on ne roulait pas beaucoup tous les jours.
Pour les consommables c’était bien pire. Dans les magasins, quand vous posiez innocemment la question « Il y a des bougies ? », on vous regardait comme un Martien. Il était tout simplement impossible de « venir pour acheter ». On ne trouvait quasiment rien. Il fallait faire appel à l’ami d’un ami qui contre un petit pot de vin pouvait vous trouver la pièce chez les « bonnes » personnes. Pour être honnête, il faut aussi noter que parfois on trouvait des pièces sur le marché libre, même si la durée était très courte. Cela en devenait amusant. Celui qui avait de la chance pouvait ainsi devenir l’heureux propriétaire de deux ou trois pneus. Enfin... ces pneus étaient souvent fabriqués dans les républiques du sud de l’URSS... et s’avéraient être en « pâte à modeler » s’effritant littéralement sur la route !
Dans les années 70, les propriétaires de Jigouli ont connu de gros problèmes avec les arbres à cames. C’était une pièce en totale pénurie et de nombreux ingénieurs soviétiques ont cherché un moyen de réparer eux-mêmes ces arbres à cames défectueux. Autre exemple, par manque d’antigel ou de liquide de frein, de nombreux conducteurs ont été contraints de reculer les cycles de remplacement ce qui a conduit à des pannes prématurées de cylindres de freins, de pompes à eau ou d’autres pièces. Voilà pourquoi, quand il trouvait un pneu, une batterie ou même de l’huile, le conducteur soviétique était vraiment heureux ! Bien entendu, cette joie ne concernait pas ceux qui avaient un accès direct à ces « bases et fonds » où tout était réparti et revendu à des prix exorbitants.
Avoir un accident était une véritable catastrophe. Acheter un élément de carrosserie, un optique ou un pare-brise était pratiquement impossible et sans eux il était impossible de réparer une voiture et rouler avec. Il est arrivé quand raison d’une « déficit » de face avant ou de capot, une voiture reste immobilisée pendant plusieurs mois.
Il est clair qu’une telle situation a donné lieu à des vols de pièces. On piquait tout ce qui pouvait l’être ! Les rétroviseurs, les clignotants, les phares, les vitres, les roues. On siphonnait même l’essence. C’est pourquoi les propriétaires de voitures faisaient preuve d’imagination contre les voleurs : rétroviseurs à fixation rapide, antivols de roues, bouchons de réservoir d’essence avec serrure, crochets sur les phares et le pare-brise... Aujourd’hui, l’histoire se répète avec les vols à répétition de phares de Cayenne et de Touareg.
Pour lutter non seulement contre le vol de pièces mais aussi de la voiture complète, on montait tout une variété de mécanismes ou de systèmes électroniques. Il n’était pas uniquement question de commutateurs coupe-circuit mais aussi d’immobilisateurs permettant de couper l’allumage moteur en cas de vol.
Les automobilistes soviétiques faisaient aussi preuve d’ingéniosité et essayaient de prolonger la vie des pièces de toutes les manières possibles. Par exemple de nombreux filtres à huile étaient rénovés en remplaçant les éléments avec des pièces de rebut. On pouvait refaire une batterie en récupérant des éléments en plus ou moins bon état de batteries pourtant déjà considérées comme mortes et découpées à la scie ! Les « conseils expérimentés » étaient partagés entre conducteurs. Le Pays des Soviets (littéralement : conseil) ne pouvait pas mieux porter son nom ! Pourtant, si aujourd’hui on peut se moquer et faire preuve d’ironie, il faut comprendre qu’à l’époque, si un automobiliste ne pouvait trouver nulle part une pièce neuve, il fallait bien qu’il s’en sorte autrement !
En dépit de ces difficultés, on avait en URSS beaucoup de respect pour l’automobile. Elle était considérée comme le bien le plus précieux, puisqu’on pouvait obtenir un appartement gratuitement. Détail caractéristique : l’automobiliste soviétique (quoique souvent inconsciemment) était un véritable passionné de voitures. Pour lui ce n’était pas un banal moyen de transport mais un bien familial et un phénomène social qui pouvait à jamais changer son quotidien.
Les Russes qui parcourent toute l’Europe aujourd’hui en voiture sont les descendants directs de ceux qui, il y a 30 ou 40 ans, ont conquis l’immensité de l’Union Soviétique, devenant des automobilistes chevronnés, à bord de voitures « chèrement » acquises.
En complément :
Boris Polazhinets, ingénieur : « J’ai acheté ma première voiture en 1983. C’était une VAZ-21013 que j’avais réussi à payer en roubles convertibles après mon retour d’une mission de longue durée à Cuba. Les premières années j’ai essayé de m’en servir le moins possible parce que les pièces détachées et les consommables étaient quasiment impossibles à trouver. Il fallait « économiser » au maximum la voiture. Heureusement, les Jigoulis ne tombaient pratiquement jamais en panne. Toutefois en raison d’un antigel « vieillissant », la pompe à eau s’est grippée. J’ai eu aussi des problèmes avec les pneus et la batterie que je n’ai pu acheter librement qu’en 1989 en Hongrie, quand on nous a un peu ouvert le « Rideau de Fer ». A l’époque, on essayait de compenser la pénurie de pièces de rechange en prenant le plus grand soin de sa voiture. On achetait une voiture « pour la vie »... Et pour beaucoup c'était d’ailleurs le cas ».
Lu sur : http://www.kolesa.ru/article/sovetskij-avtodeficit-kak-jeto-bylo-2015-12-06
Adaptation VG