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Dacia, la fierté retrouvée de la Roumanie.

Viorel Oprea frémit littéralement quand il se rappelle comment il travaillait à l’usine Dacia à l’époque de la Roumanie communiste. L’usine située dans la ville de Mioveni était une succession de bâtiments en béton gris tombant en ruines et entourés de barbelés rouillés. En été cela ressemblait à un atelier clandestin et l’hiver Viorel Oprea devait porter trois couches de vêtements pour rester au chaud.

« C’est comme si nous étions passés de l’enfer au paradis » ajoute l’opérateur en maintenance âgé de 52 ans en montrant d’un geste de la main le bâtiment blanc et étincelant situé derrière lui. L’usine est lumineuse et impeccable, dispose de l’air conditionné en été et est suffisamment chauffée l’hiver pour que les ouvriers travaillent en vêtements légers même les jours les plus froids. « A l’époque, nous travaillions dans le froid, la saleté, la poussière et la boue » indique-t-il en s’apprêtant à quitter l’usine en fin d’équipe du matin. « Maintenant c’est aussi propre qu’une pharmacie ».

Le rachat par Renault en 1999 et le lancement de la production des voitures les moins chères d’Europe a changé la donne. L’usine tourne à 95% de sa capacité et a fabriqué l’an passé 343,000 véhicules. Avant 1989, l’usine située au sommet d’une colline boisée le long des berges de la rivière Argesel employait deux fois plus de travailleurs pour produire moins d’un tiers de voitures qu’aujourd’hui.

« Les Roumains ont toujours eu des sentiments ambivalents envers Dacia » indique Bernard Jullien, économiste et directeur du GERPISA (Groupe d’Etudes et de Recherches Permanent sur l’Industrie et les Salariés de l’Automobile). « Ils étaient fiers d’avoir un constructeur national mais avaient honte que les voitures produites soient si mauvaises. Ils ont retrouvé leur fierté ».

Lors de la chute des régimes communistes à travers l’Europe il y a 25 ans – avec comme point culminant l’exécution de Nicolae Ceausescu le jour de Noël 1989 – l’Europe de l’Est comptait une demi-douzaine de constructeurs locaux... Ils ont tous disparu. Pourtant cette industrie n’a jamais été aussi forte depuis que les nouveaux consommateurs de la région se sont rués vers des voitures peu coûteuses comme celles produites à Mioveni.

Alors que les Trabant, Wartburg et Polonez ont disparu, la région fabrique plus de voitures, et des voitures de bien meilleure qualité que jamais ! Dans le giron de Volkswagen AG, le constructeur tchèque Skoda a prospéré grâce aux 3,8 milliards de dollars d’investissements consentis. Renault a injecté quelque 2,2 milliards d’euros dans Dacia. AvtoVAZ, le constructeur de la Lada, le plus grand producteur de Russie, prévoit de redevenir bénéficiaire l’année prochaine après être rentré dans l’Alliance Renault-Nissan. Avec Toyota, PSA et Hyundai, produisant sous leurs marques respectives, la République Tchèque et la Slovaquie dépasse l’Italie en nombre de voitures produites. L’industrie automobile qui a même eu parfois du mal à répondre à la demande locale est la première industrie exportatrice des pays d’Europe centrale et orientale selon le McKinsey Global Institute.

Dacia fait cependant face à une route de plus en plus difficile avec des tensions de plus en plus vives à sa frontière avec l’Ukraine et un marché de l’automobile en Europe occidentale qui peine à retrouver des couleurs après deux décennies de vaches maigres. En outre les bas salaires, clés de voute de la renaissance de Dacia, ont augmenté rapidement et les syndicats pourraient encore demander de fortes augmentation de salaires dans les négociation des mois à venir comme le craint Nicolas Maure, le directeur général de Dacia en Roumanie. « Nous devons penser à l’emploi à long terme et pas seulement à des augmentations de salaire à court terme » indique-t-il autour d’un café au siège de Dacia, dans une salle de conférence remplie de trophées et de prix délivrés par le gouvernement ou de la presse. « Renault-Dacia est un symbole pour le pays, le symbole d’une privatisation réussie ».

Pourtant, Dacia n’est pas le plus grand constructeur automobile de la région. C’est Skoda qui détient ce titre. C’est de loin le fabricant en Europe ayant la croissance la plus forte. Son chiffre d’affaire du premier trimestre a bondi de 35% avec 195,069 ventes selon l’Association Européenne des Constructeurs Automobiles.

Dacia a été fondée en 1966 - un après l’accession au pouvoir de Ceausescu - pour offrir des voitures abordables au travailleur roumain. Conçue par le régime nationaliste de Ceausescu comme le symbole de la hausse de la puissance industrielle du pays, elle porte ce nom en hommage aux Daces, les premiers habitants de ce qu’est aujourd’hui la Roumanie. Son premier modèle, la 1100, était une berline quatre portes carrée basée sur la Renault 8. En 1969, Dacia lance la 1300, une version sous licence de Renault 12. Plus élégante que son prédécesseur, cette berline a été pour des décennies le modèle de base des routes défoncées de la Roumanie.

Dacia a fabriqué quelques 2 millions de 1300 jusqu’à ce qu’elle prenne finalement sa retraite en 2004. A l’époque communiste, il fallait soit avoir des relations ou attendre des années sur liste d’attente. La voiture avait la réputation d’être si peu fiable qu’on disait que tous les Roumains étaient devenus mécaniciens par nécessité. « Le coffre était rempli de pièces de rechange et très vite j’ai découvert que j’avais besoin de chacune d’entre elles » raconte de sa première Dacia, Costica Neagu, un retraité de 61 ans – une voiture qu’il avait hérité de son beau-père en 1979. « Vous ne pouviez pas faire plus de 50 kilomètres sans avoir à changer quelque chose ou faire refroidir le moteur ».

Le redressement de Dacia est dû en grande partie à la stratégie de Renault de la voiture ultra-low-cost. Quand le constructeur français est arrivé, la société roumaine avait du mal à rester à flot avec ses équipements obsolètes et une production en chute libre. Le PDG de l’époque, Louis Schweitzer a imaginé utiliser l’usine pour produire une voiture qui pourrait être vendue seulement 5,000 euros pour répondre à la demande croissante dans les pays d’Europe de l’Est fraîchement passés au capitalisme.

Bien que Renault n’ait jamais atteint cet objectif – le premier modèle low-cost de Dacia, la Logan, a été commercialisée en 2004 avec un prix de départ de 6,400 euros – ce fut un succès retentissant. Cette année –là, de septembre à décembre, Dacia a vendu 40,000 Logan. Et en 2005, ce chiffre a été multiplié par quatre. Renault a alors remarqué que beaucoup de Logan circulait en Europe occidentale même si elle n’y était pas vendue. En 2005, la compagnie a donc lancé la voiture à travers tout le continent et depuis les ventes ont augmenté en moyenne de 10% chaque année.

Aujourd’hui, la Logan la moins chère débute à 7,700 euros et la gamme Dacia a été étendue à cinq modèles, incluant une hatchback appelée Sandero et le Duster, un petit SUV. Et en 2012, Renault a commencé à fabriquer des Dacia au Maroc. Au cours des six premiers mois de 2014, la société française a vendu 571,846 voitures de la gamme Entry, sous le badge Dacia ou Renault. La société affirme que la gamme low-cost est responsable d’une part démesurée de ses bénéfices, même si elle ne rentre pas dans les détails.

« Sans leur programme d’entrée de gamme, ils perdraient de l’argent » déclare Philippe Houchois, un analyste automobile chez UBS. Il estime que la marge opérationnelle brute moyenne des Renault d’entrée de gamme est d’environ 8%, soit le double de celle obtenue sur ses véhicules les plus coûteux.

Pour maintenir les prix de la Logan au plus bas – et les profits qui en découlent – Renault a travaillé dur pour maîtriser les coûts. Sur la dernière Logan, sortie fin 2012, la société a par exemple réduit le prix des armatures de sièges de 15% en limitant le nombre de composants. Le petit plateau qui se trouve sous la batterie pour recueillir les fuites a été repensé pour réduire son prix de 30%. Il coûte désormais moins de 90 centimes d’euros. « Notre principal concurrent est le marché de l’occasion avec les véhicules de deux à trois ans » indique Arnaud Deboeuf, directeur du programme Entry chez Renault. « Nous sommes constamment à la recherche d’économies supplémentaires sur les pièces, y compris celles qui ne coûtent déjà que 1 euro ».

C’est par contre plus difficile de faire des économies sur les salaires. Le salaire mensuel moyen de l’usine de Mioveni, qui comprend des avantages comme les bus, le repas à la cafétéria de l’usine et des primes subventionnées, est de 4228 lei, soit environ 950 euros.

Alors que c’est environ le tiers du salaire des ouvriers des usines Renault situées en France, les 17,000 ouvriers de Dacia en Roumanie sont parmi les mieux payés du pays. La société affirme que les salaires ont augmenté de 170% depuis 2008 alors que l’inflation n’a été que de 30% sur la même période. « Tout le monde veut travailler pour Dacia » selon Simona Toma, 45 ans, qui a rejoint Dacia en 1988 et qui supervise maintenant 28 personnes sur la ligne d’assemblage moteur. Et elle sait de quoi elle parle : depuis qu’elle a commencé, son mari et son fils ont également été engagés par Dacia ! « C’est presque une tradition : si ma mère travaille là-bas, je travaille là-bas » déclare-t-elle dans une petite pièce située à côté de la ligne de production où les équipes reçoivent une formation sur les différentes procédures à appliquer.

La hausse des salaires a suscité des tensions entre la direction et le Sindicatul Autoturisme Dacia, le syndicat qui représente les employés de Dacia. En mars 2008, les travailleurs qui réclamait une hausse des salaires de 50% se sont mis en grève. La direction a jugé le chiffre « irréaliste » et a persuadé un juge de déclarer la grève illégale. Après 20 jours d’arrêts, les deux parties ont trouvé un accord pour une hausse de 28%. Un nouveau cycle de négociations se déroulera en octobre et le directeur général de Dacia a averti le syndicat qu’il doit être « plus raisonnable » dans ses revendications salariales.

« Ce que nous essayons de faire est de maintenir la compétitivité de la Roumanie » indique Nicolas Maure. « Notre relation avec le syndicat reste très controversée ». Il ajoute que Renault pourrait augmenter l’automatisation – ce qui signifie moins d’emplois – ou réorienter la production vers le Maroc, s’il n’arrive pas à freiner les hausses salariales. Délocaliser la production de Mioveni « est une menace constante » déclare Ion Iordache, un dirigeant syndical qui travaille pour Dacia depuis 1975. « La direction met constamment cet argument en avant pour faire pression sur nous ».

Le gouvernement roumain reconnaît la contribution de Dacia pour l’économie du pays. Les 4,5 milliards d’euros de recettes représentaient 2,9% du produit intérieur brut de la Roumanie l’an dernier et lorsqu’on ajoute les fournisseurs, la compagnie représente environ 200,000 emplois estime le Ministre de l’Economie. Le pays a offert à Renault des allégements fiscaux et d’autres mesures incitatives représentant quelques 200 millions d’euros. Il a aussi exempté Dacia et d’autres grands producteurs industriels de l’obligation d’utiliser une part non négligeable d’énergie renouvelables. Actuellement Dacia milite pour la construction d’une nouvelle autoroute de 120 kilomètres à travers les Carpates au nord-ouest de Mioveni ce qui lui permettrait de réduire le prix de chacune de ses voitures de 20 à 30 euros.

Dacia « est une société que nous devons aider » indique le Ministre de l’Economie, Constantin Nita depuis son ministère de Bucarest, situé à l’endroit même où l’industrie automobile de la Roumanie a été imaginée il y a un demi-siècle. « C’est un grand succès qui illustre la transformation d’un style de management peu performant vers celui capitaliste, plus efficace ».

Lu sur : http://www.bloomberg.com/news/2014-09-11/europe-s-cheapest-cars-reviving-romania-as-dacia-thrives.html
Adaptation VG

Tag(s) : #Dacia, #Analyse, #Roumanie, #Ambiance