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A l'époque de l'URSS chaque citoyen rêvait de la "Jigouli". Posséder une voiture de ce type était une question de prestige et un indicateur de son pouvoir "d'achat" (les guillemets sont bien là pour exprimer la nuance) : tout le monde ne pouvait pas se permettre de rouler, par exemple, en Kopeïka. La situation n'a pas beaucoup changé avec l’effondrement de l'Union Soviétique. L'usine a pu garder la tête hors de l'eau, seulement parce qu'elle fabriquait le seul produit russe que l'on était prêt à acheter.
La demande pour les voitures russes est restée à un niveau record pour encore au moins une décennie. Mais au début des années 2000, les investisseurs étrangers ont commencé à envahir le pays : plusieurs compagnies ont annoncé qu'elles allaient ouvrir leurs propres usines en Russie et, par conséquent, le marché a vu apparaître un certain nombre de voiture étrangères pas chères, qui offrait une bien meilleure qualité que la Jigouli.
A partir de là, AvtoVAZ a commencé à écrire les pages noires de son histoire. Sa position de géant de l'automobile a été profondément chahutée en 2008, année de la crise financière mondiale. L'entreprise était au bord de la faillite et a été obligé de demander à l'Etat de lui venir en aide. Après avoir traversé ces années difficiles de crise, AvtoVAZ a enfin renoué avec les bénéfices, mais il est encore difficile de savoir si la croissance des ventes a été naturelle ou si elle est à mettre au compte du programme gouvernemental de prime à la casse, voire même d'aides cachées de l'Etat. Les experts, qui ont réfléchi à l'avenir d'AvtoVAZ, arrivent à la conclusion que le constructeur de Togliatti est tout à fait capable de regagner ses positions perdues mais aussi de conquérir de nouveaux clients. La seule question est de savoir si le management aura encore assez de courage et si l'Etat aura encore de la patience.
L'histoire d'AvtoVAZ est déjà vieille de 45 ans. A l'époque soviétique, ce constructeur automobile était la fierté de tous les habitants du pays. La gamme assez conséquente pour l'époque et les prix relativement bas, conjugués à une quasi absence de concurrence, l'ont aidé à devenir en quelques années l'un des plus grands constructeurs de l'Europe de l'Est. C'est pour cela que ces voitures, bien que conçues principalement pour le marché intérieur de l'URSS, se vendaient si bien à l'étranger. Un pic a même été atteint en 1979 quand environ 40% de la production de Togliatti a été exportée !
L'entreprise a réussi à survivre à la période difficile de la pérestroïka : à la fin des années 80 - début des années 90, dans le contexte de l'effondrement de l'économie russe, VAZ est resté à flot. La demande pour les voitures produites par le géant russe était constamment supérieure à l'offre. De plus, les constructeurs étrangers ne pouvaient pas rivaliser avec la Russie en raison de la trop grande différence de prix. Mais comme les matières premières et la main d'œuvre ne coûtaient pratiquement rien, les revendeurs se avaient la possibilité de faire d'immenses profits.
AvtoVAZ a écrit à l'époque quelques pages de l'histoire criminelle de la Russie naissante. De nombreux intermédiaires qui revendaient à des prix exorbitants des Lada normalement bon marché se faisaient des bénéfices sur le dos de la maison-mère et ne voulaient pas offrir une part du gâteau à leurs concurrents. Dans les années 90, des véritables gangs ont commencer à véroler l'entreprise de l'intérieur, car c'était un bon moyen de contrôler la ville tout entière. Pour le contrôle d'AvtoVAZ, au cours des dix dernières années, s'est déclarée la plus sanglante guerre de l'histoire criminelle récente du pays. Elle a fait, selon les estimations les plus prudentes, au moins 500 morts !
Le brusque changement pour les forces en présence sur le marché intérieur russe n'est intervenu que dans les années 2000. D'une part, les consommateurs russes ont commencé à se plaindre de la faible qualité des voitures produites à Togliatti. D'autre part, les constructeurs étrangers ont commencé à s'implanter dans le pays et les prix de leur voitures ont commencé à se rapprocher dangereusement du prix en dollars d'une Lada 110 neuve. AvtoVAZ a essayé de faire tourner la situation à son avantage en créant avec General Motors une société mixte. La production de la Chevrolet Niva a débuté mais elle n'a pas réussi à faire pencher la balance en faveur du constructeur russe.
C'est dans ce contexte que les ventes ont commencé à baisser fortement en 2008. La crise financière s'est transformée en véritable malédiction pour l'entreprise. A la fin de 2009, les ventes s'étaient effondrées de moitié et la dette totale dépassait les 40 milliards de roubles, dont 10 milliards de roubles de factures impayées aux fournisseurs. La société était au bord de la faillite : AvtoVAZ ne pouvait pas honorer sa dette en raison de la chute de la production. Craignant des troubles sociaux face à des licenciements massifs au sein d'AvtoVAZ et dans le tissu économique de la ville, l'Etat lui a octroyé un prêt de 25 milliards de roubles sans intérêt qui a permis de servir les créances.
De plus, l'achat d'un modèle de la gamme Lada pouvait bénéficier d'un programme gouvernemental de crédit-auto subventionné. Et pour redresser les ventes, l'Etat a fait adopter de nouvelles taxes à l'importation très élevées et il a lancé en mars 2010 une prime à la casse. Les experts soulignent que ce programme a exclusivement bénéficié à AvtoVAZ : 80% des 600,000 véhicules vendus dans ce cadre étaient produits par AvtoVAZ !
On peut se demander pourquoi l'Etat pendant la crise a apporté un soutien aussi massif, précisément à AvtoVAZ et pourquoi pour créer les conditions à la poursuite de son développement, les autorités ont-elles même pris la décision très impopulaire d'augmenter fortement les droits de douane sur les voitures importées de l'étranger ? Il est pourtant facile de répondre à ces questions. Il faut tout d'abord rappeler que la Russie a besoin d'un fonctionnement stable d'AvtovAZ, puisque de sa santé dépend le bien-être de quatre millions d'habitants vivant dans la région de Togliatti. Le fait qu'en 40 ans, depuis la création de l'usine, la population a augmenté pratiquement par 10, passant de 80,000 personnes en 1967 à 700,000 à la fin de 2008, explique à elle seule les motivations du gouvernement.
AvtoVAZ joue un rôle important dans l'économie de la région. Ce n'est pas surprenant. Selon Avtostat, en 2009, 40% du budget de Togliatti provenait des prélèvements fiscaux effectués sur AvtoVAZ et environ 25 à 30% provenait d'entreprises dépendant directement du géant automobile ! Il ne faut pas oublier non plus qu'AvtoVAZ est l'une des rares (sinon la seule) société russe qui ne s'occupe pas de l'exploitation de ressources naturelles mais d'une production industrielle. En cas de faillite, il faudrait oublier toute production nationale d'automobiles et laisser le marché russe à la merci des producteurs étrangers.
C'est sans doute la raison pour laquelle le gouvernement a continué à soutenir AvtoVAZ alors que l'entreprise est restée déficitaire pendant les années de crise... soit pour lui-même, par le biais de "Rostechnologii" ou pour son actionnaire étranger. Il faut se souvenir qu'AvtoVAZ ne rapporte des bénéfices aux français que depuis le premier semestre 2011 avec environ 37 millions d'euros. Une goutte d'eau par rapport à ce que Renault a déjà perdu depuis qu'il a pris une participation dans le Russe. Au total depuis trois ans, la somme dépasse les 500 millions d'euros, dont 370 millions pour la seule année de crise de 2009.
Alors qu'est-ce qui attend AvtoVAZ dans le futur ? La direction de l'entreprise, qui en a terminé avec la crise et qui renoue avec les bénéfices, a récemment décidé de s'occuper sérieusement de la gamme Lada. Le premier pas a été la présentation de la stratégie jusqu'en 2020 qui prévoit le lancement d'un grand nombre de nouveaux modèles. La première phase (2011/2013) verra le lancement de la production de la Granta (berline 4 portes en 2011 et berline 5 portes en 2013), des modèles R90 et F90 (en 2012) et des Priora e Kalina restylées. Les "Classiques" et Samara disparaîtront. La deuxième phase débutera en 2014 avec le lancement des modèles C, B-Cross et C-Cross.
Mais de nombreux experts s'élèvent contre la disparition des "Classiques". A leur yeux, ces voitures sont parmi les plus vendues en Russie depuis longtemps et AvtoVAZ risque tout simplement de perdre une partie de sa clientèle. On suppose que la Granta, dont la commercialisation est prévue en décembre, remplacera la Classique. Mais ces experts estiment aussi que la nouvelle venue risque d'attirer les acheteurs potentiels d'autres modèles de la gamme, comme la Kalina, la Priora ou la Samara, que Togliatti ne prévoit pas encore de remplacer.
Le président d'AvtoVAZ, Igor Komarov, admet que l'entreprise "s'est dépêchée de lancer la production de ce modèle (la Granta) car il pourrait résoudre une partie des problèmes d'AvtoVAZ". Selon lui, en décembre, les ventes devraient baisser à 40,000 voitures par mois, contre 55,000 en juin, mais il précise que c'était prévu, puisque la baisse du volume en fin d'année est indiquée dans le business-plan établi en 2010.
Parallèlement à la Lada Granta, un autre nouveau modèle devrait permettre de soutenir les ventes du géant de Togliatti : la Lada Largus. Cette voiture sera proposée en deux configurations : une fourgonnette deux places et un break 5 ou 7 places... Les analystes prédisent déjà à ce modèle un brillant avenir. "A ce prix, la voiture sera extrêmement populaire puisqu'elle coûtera sensiblement moins cher que ses concurrentes étrangères" explique le directeur général d'Avtostat, Sergueï Tselikov.
Enfin, AvtoVAZ a décidé d'apporter une touche européenne à ses modèles : au début du mois, elle a engagé le designer britannique Steve Mattin, l'homme qui a dessiné la Mercedes Classe A et les Volvo S60, V60 et XC60. Il prendra officiellement ses fonctions de responsable du design Lada le 1er octobre. S'il ne pourra plus changer la Lada Granta dont la commercialisation est imminente, il a encore ses chances pour interférer au restyling de la Kalina et de la Lada 4x4.
Dans tous les cas, il faudra attendre 3 ans pour voir une voiture créée par ses soins. Pourtant, les experts s'accordent sur le fait qu'on ne lui donnera pas les pleins pouvoirs pour changer radicalement le style de la marque. Le directeur général d'Auto-Dealer.ru, Oleg Datskiv, indique : "AvtoVAZ a toujours été un exemple pour le design tout à fait inadéquat de ses voitures et si je pense que le nouveau designer les rendra plus sympathiques, il ne faut pas s'attendre à quelque chose de révolutionnaire".
Encore selon ces experts, le segment de prix dans lequel la majorité des modèles d'AvtoVAZ se trouvent ne permet pas de faire quelque chose de particulier en matière de design. Oleg Datskiv ajoute : "Il est difficile de faire de belles voitures pour 220 à 300,000 roubles. Les Ford, Renault, Sandero ou Logan à ce prix ne sont pas très belles, mais elles ne coûtent pas cher et ne tombent pas en panne". Il précise que les acheteurs ne veulent d'AvtoVAZ que fiabilité et qualité.
Tous s'accordent à dire qu'un gros travail attend le designer britannique. Il n'est pas seulement question de design mais surtout du montage de composants de haute qualité sur les voitures. "Je pense que le consommateur est encore prêt à pardonner des erreurs en matière de style. Mais je n'aurai pas choisi un bon designer, mais des fournisseurs normaux, qui permettraient de changer la qualité et augmenter la fiabilité de mes voitures. Peu de gens veulent acheter une nouvelle voiture et faire des retouches de peinture, mettre de l'anticorrosion ou retourner au bout d'une semaine au garage parce que quelque chose a lâché. Là est le principal problème" conclut Oleg Datskiv.
L'année 2012 devrait donc être cruciale pour AvtoVAZ. Il n'y aura plus de prime à la casse ou de soutien de l'Etat. C'est à ce moment que l'entreprise devra montrer quelle place au soleil elle est capable de se faire.
Lu sur : http://www.autostat.ru/news/view/1753
Adaptation VG