Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

... Le chef de l'intendance de la Présidence de la Fédération de Russie, Vladimir Kozhine, parle de la possible renaissance de la production de limousines ZiL pour les dirigeants russes. L’usine moscovite ne montre pas de signes d’impatience : elle se dit prête à le faire, mais sous condition de financement. A y bien regarder, cela rappelle ce qui s’était déjà passé il y 7 ou 8 ans.

Ce précédent avec les limousines ZiL date de 2002-2003 lorsqu’une jeune équipe de l’Institut MAMI et MADI, dirigée par Lev Samokhine, étaient venue à l’usine. Leur premier, et comme il s’est avéré plus tard, dernier travail portait précisément sur une limousine. Plusieurs maquettes à l’échelle 1:5 ont été réalisées. Celle de Sviatoslav Sajakhiane a été choisie pour voir le jour à l’échelle 1. Mais l’équipe n’a pas été plus loin. Les travaux ont été interrompus...

Pourquoi ? Parce que fin 2002, la direction a été remplacée. MAK (Compagnie Automobile Moscovite), une société dirigée par le magnat de l’ombre, Grigoriï Loutchanski, ami du maire de Moscou Iouri Louzhkov, a pris le pouvoir. Konstantin Laptev, issu des structures dirigeantes de GAZ, a été nommé directeur. Les actionnaires, lire la mairie de Moscou, avaient choisi MAK. Ce qui était alors prévu était que MAK gérerait tous les actifs automobiles de la ville, y compris l’Usine de construction mécanique de Touchino et AZLK, mais ce plan ne fut pas mené à son terme. La nouvelle équipe dirigeante n’a pas pu remettre en production les prestigieuses limousines, non pas à cause du manque de perspectives mais en raison de la faisabilité économique. C’est pourquoi en 2003, tous les travaux sur la nouvelle limousine ont été suspendus. L’équipe de jeunes designers a du quitter l’usine, et le centre de design est repassé de 30 à 3 personnes et c’est ainsi que s’est achevée la dernière tentative de relancer la production de voitures chez ZiL.

Lev Samokhine n’aime pas se rappeler de cet épisode car beaucoup de choses ont été écrites à l’époque, beaucoup des fausses vérités. Pour mener à bien ce projet, il fallait beaucoup d’argent et, même à long terme on ne voyait pas où l’on allait pouvoir trouver ces fonds. En 2004, le directeur de ZiL, Konstantin Laptev a déclaré dans une interview au journal « Avtoizvestia » que la production de limousines ne serait jamais remise en route car économiquement parlant, il s’agit d’une impasse. Il précisait par contre que le budget nécessaire pour réparer et entretenir les voitures utilisées par le Kremlin serait maintenu jusqu’à ce que les ZiL disparaissent totalement de la circulation.

Les deux dernières voitures ont été fabriquées pour le président du Kazakhstan, Nursultan Nazarbaev, en 2005. Depuis, aucune nouvelle voiture n’a été produite. Avec le financement nécessaire, l’usine serait capable aujourd’hui de produire 1 à 2 voitures au maximum, le dernier modèle 41047. Elles seront bien entendu fabriquées avec des techniques qui remontent au milieu des années 60. Le moteur à carburateur de ZiL-130 ne répond à aucune norme écologique ou économique actuelle. La transmission automatique à 3 rapports est également un véritable anachronisme.

Ce qui est sûr que la direction de l’usine ne veut pas attirer l’attention. D’ailleurs, ceux qui ont rédigé au Ministère de l’Industrie Automobile, la « Stratégie de développement de l’industrie automobile jusqu’en 2020 » ne mentionnent pratiquement pas ZiL dans leur document. Aucune aide pour l’usine n’y est évoquée alors que ZiL mériterait plus de soutien que l’industrie automobile.  Après tout, ZiL fabrique du matériel agricole et de matériel militaire. Il n’est pas seulement question du prestige du pays mais aussi d’indépendance et de défense. ZiL plus que beaucoup d’autres pourrait compter sur le soutien de l’Etat. Pourtant, personne n’a demandé d’aides au nom de l’usine. Il est pourtant fort probable que ZiL aurait pu obtenir ces aides. La direction de l’usine n’a pas cette intention. ZiL, comme les Nord-Coréens, ne veut compter que sur elle-même. Elle ne souhaite pas s’endetter et comme AZLK en son temps elle ne veut reposer que sur le soutien de la Mairie de Moscou.

MAK et ZiL ont leurs propres objectifs. S’ils ne sont pas clairement énoncés, ils sont relativement transparents. On les trouvait dans l’interview de Konstantin Laptev évoquée plus haut : « Tout ce qui n’est pas utilisé doit être remanié et rapporter de l’argent ». ZiL tire des bénéfices de la location de ses surfaces. MAK n’affiche pas clairement ses plans sur l’usine. On connait pourtant le projet de la construction du centre d’affaire « Nagatino-iLand », officiellement désigné comme un parc industriel de 32 hectares. On prévoit déjà la construction d’une route sur tout le territoire de l’usine, entre le pont Avtozavodski jusqu’à Nagatino pour faciliter l’accès à ce futur complexe. L’un des principaux problèmes liés à la reconversion de ZiL est lié au fait que l’usine est une véritable ville souterraine, avec plusieurs étages en profondeur. Comment diviser et répartir tout cela ? Personne ne sait vraiment. Pas même les plans. On dit d’ailleurs que les plans sont conservés par le FSB (l’ex-KGB) et qu’ils ne veulent pas les partager.

On refait donc des plans. On cherche à compacter la production au maximum pour libérer de la place pour les investissements. Si cette version des faits est bien la bonne, on comprend que ZiL n’a ni besoin de soutien gouvernemental, ni envie que l’on fasse beaucoup de bruit autour d’elle. Voilà pourquoi elle n’a pas besoin d’un projet de voiture présidentielle qui attirera à priori beaucoup de journalistes.

Vraisemblablement, on pourrait relancer la production de limousines ZiL en créant une société anonyme distincte. Avec une direction différente, un autre propriétaire et en donnant les droits d’utiliser la marque ZiL pour produire ces limousines. Mais même en faisant cela sur le territoire de la vraie usine ZiL, il s’agit d’un projet extrêmement coûteux.

En 1993 j’ai discuté avec l’adjoint du directeur du design de ZiL, Alexandre Gortchakov, qui dirigeait alors le département voitures particulières. Il m’avait fait part d’une observation intéressante : les limousines (c'est à-dire à carrosseries rallongées) sont fabriquées à travers le monde par des petites sociétés sur la base de modèles de série. Même Rolls-Royce conçoit ses voitures de luxe comme de « simple » berline qui sont transformées ensuite en limousines. Produire de voitures, conçue au départ comme des limousines est une activité réputée comme étant non rentable et seuls ceux qui font passer le prestige avant la rentabilité peuvent se permettre une telle activité. Les régimes totalitaires, l’URSS et la Chine avaient ou ont cette possibilité : ils ne regardent pas à la dépense face à la démonstration de leur grandeur.

Voilà pourquoi, je suis très préoccupé par l’actuel débat sur le retour de la fabrication de limousine en Russie...

Lu sur : http://slon.ru/blogs/tsyganov/post/387267/
Adaptation VG

Tag(s) : #ZiL, #Limousine, #Analyse