
En seulement six mois, l’usine Avtoframos située à Moscou est passée du stade N°1 au stade N°0 pour la fabrication. C'est-à-dire que dès aujourd’hui elle serait capable de fabriquer des voitures en série destinées à être commercialisées (l’accord de fabrication a été donné). Ce délai, les fabricants n’en rêvaient même pas et la fierté qu’ils éprouvent est tout à fait justifié. Les Français ont donc accueilli sous les toits de la nouvelle entreprise des journalistes russes.
J’observe les métamorphoses de l’assemblage de Renault en Russie, en prenant périodiquement le métro qui, entre les stations « Volgogradski Prospekt » et « Textilchikis », ressort à la surface et roule lentement le long des anciens bâtiments d’AZLK. L’atelier le plus proche de la voie est celui d’Avtoframos, comme en témoigne l’immense enseigne sur le toit. D’ailleurs ce ne sont pas de simples ateliers mais la partie investie par la Mairie de Moscou dans la société mixte en 1998 (elle est estimée à 70,4 millions de dollars). Formellement ce territoire est loué aux Français. En six ans je m’étais tellement habitué à ce paysage triste qu’une fois devant ces bâtiments, je me suis demandé si je n’étais pas trompé de métro. Ces changements se sont produits assez récemment. Et un de mes collègues, qui visita l’usine à l’été dernier (http://www.autoizvestia.ru/gazeta/?issue=59 ) dépeignait de manière éloquente les changements intérieurs. Maintenant nous sommes à la deuxième étape : selon les plans initiaux on met en place la chaîne de montage et les premiers prototypes de Logan ont été assemblés.
Pour aller jusqu’à Avtoframos sans voiture, il faut sortir du métro à la station « Textiltchikis » et parcourir environ 500m jusqu’au poste de garde de l’usine. Ces 500 mètres sont le symbole de notre époque … une chère évolution. Les bâtiments d’AZLK, usine prospère par le passé, rappellent maintenant les films catastrophe. La désolation qui règne ici fait peur, tout comme les chiens errants que vous ne manquerez pas de croiser. Ils vivent, d’ailleurs, dans le plus grand bâtiment, un immense palais à la verrière brisée au premier étage. Sur fond de ce paysage se dessinent les mesures de sécurité drastiques prises par les Français pour protéger l’usine. Il paraît que les gardiens, sévères, contrôlent même quand cela leur prend les chaussures de toutes les personnes qui veulent rentrer, comme lors de l’embarquement d’un avion de ligne. Il est probable qu’il est désormais impossible de « faire un business », sérieux et profitable, à l’intérieur de cette zone. Mais cela vaut la peine de passer ce contrôle car ensuite tout respire la culture européenne. Même les voitures qui stationnent près du bâtiment principal sont parfaitement alignées, chose qui serait difficile d’imaginer à un autre endroit de Moscou.
Naturellement, j’étais encore plus intéressé par ce qui se trouve à l’intérieur des bâtiments. Bien-sûr, je rappellerai ce que doit devenir Avtoframos. Ici on va organiser un cycle complet de production comprenant la soudure des carrosseries, la peinture et l’assemblage des voitures. En d’autres termes, une production intégrée localement à 50%. Et il faut rendre hommage aux Français. En six mois ils ont réussi à installer dans un local « vide » une chaîne de montage où travailleront plus de 2000 personnes organisées en deux équipes. Dans l’atelier de peinture et de soudure seront employées près de 300 personnes, et 150 personnes supplémentaires auront en charge les structures logistiques nécessaires au fonctionnement normal de l’entreprise.
A la conférence de presse on a annoncé le salaire que recevront les ouvriers employés sur la chaîne : près de 11000 roubles. Comme la précisé le représentant d’Avtoframos il s’agit du salaire de base, qui augmentera constamment en fonction des formations et de l’évolution de carrière. Cette précision n’est pas fortuite : les Français savent que le salaire moyen dans le secteur automobile russe est aujourd’hui de l’ordre de 14000 roubles. C’est donc 3000 roubles de moins. En plus, ces agents de production devront effectivement travailler beaucoup : l’usine ne compte pour l’instant que deux robots Eisenmann, qui plongent les carrosseries dans les bains de solutions anticorrosion. Toutes les autres opérations sont manuelles (je n’ai vu cela qu’une seule fois dans ma vie, à l’usine Rolls Royce de Goodwood). Les raisons à cela sont purement économiques : pour l’instant Renault n’a investi dans le projet que 250 millions de dollars. A vrai dire, Jean-Michel Jalinier, le directeur général d’Avtoframos a précisé qu’à mesure du développement de la production le pourcentage d’automatisation pourra être augmenté. Mais c’est avantageux également d’apprendre des tâches simples au personnel. Pour cela, Renault forme ses agents de maîtrise sur d’autres sites du groupe, lesquels formeront ensuite leurs équipes. De plus, il y a cinq ans en Russie, Renault a ouvert son centre de formation, lequel prépare aussi le personnel de l’usine.
Tous les agents de maîtrise ont été formés en France ou dans d’autres pays. Parallèlement on a sélectionné le personnel de chaîne, ou comme on les appelle ici, les opérateurs du processus de fabrication. En ce moment ils fabriquent des prototypes dont le sort est déjà écrit : après analyse des paramètres de l’assemblage ils seront détruits. Voilà à quoi cela ressemble : au poste de soudure, en peinture et à l’assemblage, le personnel assemble lentement avec 358 pièces métalliques assemblées à l’aide de 3656 points de soudure, de la peinture, et 1000 autres pièces, une voiture qui subira ensuite une batterie de tests. Ils ont lieu dans un local particulier où la température et l’hygrométrie sont constantes : les instruments de mesure ne peuvent être précis que dans ces conditions. Après cela, la Logan est détruite : la voiture est littéralement découpée en morceaux, en contrôlant chaque point de soudure et les autres éléments de la carrosserie.
La montée en cadence devrait avoir lieu au printemps prochain après l’inauguration officielle de l’usine. Mais cela ne signifie pas que la production en série de la Logan devrait débuter précisément à cette occasion. On construira des pré-séries sur une seule équipe. Puis lorsque le personnel sera totalement formé, on formera une deuxième équipe ce qui permettra d’augmenter le rythme de production et d’augmenter graduellement la productivité. Lorsque le niveau de qualité demandé sera atteint, l’accord de commercialisation sera donné. Ce jalon est prévu pour la fin de l’été 2005. En sortie de chaîne la Logan subira un double roulage : sur rouleaux et sur la piste d’essai. Le prix de la voiture n’a pour l’instant pas évolué : de 7000 à 10000 euros.
En 2005, Avtoframos prévoit d’embaucher mille personnes supplémentaires. Ils passeront dans des centres de formation où leur seront enseignés les pratiques industrielles conformément au Système de Production Renault. Puis ils seront formés directement sur le poste de travail. Quant à l’évolution de carrière, chacun pourra évoluer selon ses capacités et devenir ouvriers spécialisé ou chef d’équipe. Le recrutement se poursuivra également l’an prochain, et lorsqu’elle aura atteint son plein rendement (c’est prévu pour 2006 avec une production annuelle de 60000 voitures) l’usine comptera plus de 2000 personnes.
Hormis les impressions personnelles sur l’usine, il est important de souligner certains aspects économiques de son développement. Reprenons les évènements par ordre chronologiques : à l’automne dernier Renault a porté sa part dans le capital d’Avtoframos à 76%. Les actions (pour 26%) ont été rachetées à la Mairie de Moscou pour 1,215 milliard de roubles (33 millions d’euros). Selon les deux parties, cette cession était planifiée. En 1998, dans les accords signés à la création de la joint-venture il était prévu que Renault augmente sa part de capital dans la société. De sorte que maintenant les Français sont libres de faire ce qu’ils veulent.
Parallèlement à la construction de l’usine on a formé un groupe de spécialistes des achats qui ont sélectionnés les fournisseurs des composants de la Logan. A ce jour, 5 contrats d’approvisionnement ont été conclus, ce qui représentera au moment de la commercialisation 20% de pièces locales. Le contrat le plus important a été signé avec ZIL, qui frappera 12 pièces de tôlerie, ainsi que la protection des conduites de freinage et la traverse de plancher. Dans le futur ils espèrent développer cette collaboration pour que ZIL s’occupe de la production de toutes les pièces de tôlerie. C’est une société de Saint-Petersbourg, « Interkos – IV » qui fournira à ZIL tout l’équipement nécessaire.
En 2005, la « Verrerie de Borski » située à Nijni Novgorod livrera les vitrages teintés ou non. « Elast Technologie » se chargera des passages de roues avant et arrière. « Sotex » commencera à livrer mi 2005 les tissus de sièges. Quant aux pneus, ceux-ci seront probablement achetés selon les représentants de Renault à l’usine russe de Michelin. Des négociations sont actuellement en cours avec « Severstal » pour la livraison de matière première.
Peu à peu se règle la question des droits de douane. Mais Renault ne jouit pas des avantages dont ont pu profiter Ford ou GM grâce au décret N°135 sur les « mesures supplémentaires pour la poursuite des investissements pour le développement de l’industrie automobile du pays » signé en janvier 1998 et à d’autres décisions ultérieures de la Fédération de Russie. Nous rappellerons que ce décret prévoit un régime douanier avantageux pour les entreprises qui investiront sur le territoire russe plus de 250 millions de dollars en cinq ans. Un des autres conditions est l’intégration locale de la production : de 15% à la fin de la première année à 50% au bout de cinq ans. Selon Jean-Michel Jalinier « pour respecter ces conditions il faut lever beaucoup de barrières administratives ». De sorte que Renault préfèrerait une simple réduction des droits de douanes sur ses composants à 0% à 3%. L’ancien directeur d’Avtoframos, Guy Bara, a longtemps essayé de négocier avec l’administration, sans jamais rien obtenir. Mais les Français pourront bientôt mettre sur pied un entrepôt libre de droits de douane.
Parallèlement les spécialistes de Renault mènent des consultations constantes avec des fournisseurs étrangers. Le but : organiser en Russie la production de composants à haute technologie par des joint-ventures avec des compagnies russes.
Le projet Logan aura une influence sérieuse sur les forces en présence sur le marché automobile russe. Ces dernières années la part de voitures produites en Russie par des marques étrangères a augmenté de manière exponentielle. L’an passé on a produit 120 000 voitures « étrangères » , et selon Pricewaterhouse Coopers, société de consulting, l’investissement à représenté 1,7 milliard de $. Selon certaines estimations en 2010, cela représentera 50% des voitures produites en Russie.
Lu sur : http://www.autoizvestia.ru/gazeta/?id=1839
Adaptation VG