35 ans après, Auto.mail.ru a pu prendre le volant du véhicule amphibie UAZ-3907, là où ses essais avaient été menés dans le plus grand secret.
« Une fois, par défi, j'ai ouvert la portière. L'eau s'est engouffrée dans l'habitacle, mais la portière comme je m'y attendais, s'est immédiatement refermé dans le courant. J'ai également conduit dans la rivière avec les bouchons de vidange ouverts pour les besoins de l'expérience. Et les pompes de cale ont fonctionné ». Vladimir Dounaïev, légende de UAZ, pilote d'essai, multiple champion d'autocross d'URSS, participant à l'ascension automobile du mont Elbrouz, se souvient de la réserve de flottabilité du UAZ-3907 avec un enthousiasme juvénile.
Les ingénieurs croyaient tellement en leur voiture qu'ils osaient parfois faire des choses désespérées et aventureuses. Par exemple, ils l'ont mis à l’eau avec 21 (!) passagers à bord, au lieu du conducteur et 600 kg de marchandises. Mais Vladimir Dounaïev nie l'histoire chantée par les historiens d'un voyage au fil de l’eau entre Oulianovsk et Astrakhan : il n'a pas eu lieu. Lors des essais, le « Jaguar » est seulement resté à flot pendant 24 heures, naviguant le long de la Volga dans les deux sens, avec comme uniques pauses, les ravitaillements en carburant.
Au début, les prototypes de ce véhicule amphibie étaient cachés des regards indiscrets ici, sur la rivière Sviaga - le projet était considéré comme secret. En décembre 1976, UAZ a été chargé de développer un véhicule tout-terrain amphibie à la demande du Ministère de la défense. « Ce véhicule est destiné à équiper les unités d'assaut aéroportées, les unités d'infanterie de marine, les unités de reconnaissance et d'autres formations spéciales très mobiles, ainsi qu'à servir de véhicule de gestion et de communication » indique la « commande » officielle.
Alors pourquoi le projet a-t-il été baptisé « Jaguar » et non « Crocodile », par exemple ? C'est un trait d'humour de l'armée. Le mortier automoteur 2S4 « Tulipe » (Tioulpan) ou le lance-roquettes multiple TOS-1 « Pinocchio » (Bouratino) font partie de la même série. D'ailleurs, le jaguar est le seul des prédateurs félins à être naturellement enclin à se baigner. A la même époque, le véhicule amphibie apparaît dans les documents de l'usine sous l'indice anonyme de UAZ-3907.
Le UAZ-469 lui a servi de base. Sans prétention, le « Kozlik » était appréciée des militaires, et il fallait gagner du temps. Cependant, les concepteurs ont bénéficié d'une certaine liberté d'action et se sont déchaînés : le « Jaguar » a été assemblé à partir d'une mosaïque de solutions inhabituelles. En fait, seuls l’architecture générale, les suspensions à ressorts et les essieux avec réducteurs de roues, qui augmentent la garde au sol, ont été transférés du tout-terrain de série à l'amphibie.
L’empattement est resté identique - 2,380 mm, mais le châssis a été allongé à l'avant et à l'arrière pour assurer la flottabilité de la voiture. C'est pourquoi le « Jaguar » a l'air un peu maladroit, avec une carrosserie arrondie et de grands porte-à-faux.
Sous le capot se trouve le tout nouveau moteur à carburateur OuMZ-414 : 2,5 litres de cylindrée, 77 ch. Vladimir Dounaïev se souvient qu'au début, le UAZ-3907 ne pouvait parcourir pas plus de 500 mètres, car le moteur surchauffait dans son compartiment scellé. C'est alors qu’il a proposé une solution ingénieuse : le système de refroidissement est inversé à 180 degrés. L'air froid pénètre dans le compartiment moteur par l’habitacle et les grilles du pare-brise, passe par le radiateur et est projeté à l'extérieur par le brise-lames. Et le problème a disparu comme par enchantement ! Que ce soit dans l'eau, dans le désert ou dans les montagnes, la température était maintenue dans les limites fixées.
Pour la première fois, une boîte à quatre vitesses entièrement synchronisées avec les rapports de pont d'origine a été utilisée. La transmission intégrale permanente avec gamme courte et blocage du différentiel inter-pont (comme sur la Lada Niva classique) est toujours attendue sur les UAZ de série, alors que même les tous premiers prototypes du « Jaguar » au début des années 1980 ont reçu une transmission de ce type et l'ont utilisée avec succès. Les essayeurs de UAZ ne sont toutefois pas particulièrement avides de ce système. Selon eux, la transmission non-permanente classique est plus adaptée : la voiture roule plus facilement sur l'asphalte, et même en tout-terrain, vous aurez toujours le temps d’enclencher le pont avant du véhicule.
Mais maintenant, nous roulons sur la route, où le « Jaguar » est capable d'évoluer à environ 100 km/h. Si le conducteur ne s'évanouit pas. Car l'odeur âcre du carburant et des gaz d'échappement amuse d'abord (le parfum de l'histoire !), puis fatigue, et au bout d'une demi-heure, on cherche un masque à gaz. Les deux réservoirs d'essence se trouvent sous le plancher, le pot d'échappement est déplacé vers l'avant sous le pare-chocs, de sorte que les effluves automobiles irritent en permanence les narines.
Ici, il serait préférable d'enlever la capote, de replier les encadrements de pare-brise - cette possibilité a été prévue dès le début, afin que le « Jaguar » puisse être transporté et parachuté plus facilement depuis un avion. Toutefois, à certains endroits, la capote est fixée par des bandes boulonnées - il n'est pas possible de la déposer complètement et de la remettre en une flambée d'allumette. Mais cela convenait aux militaires.
Sur un terrain cahoteux, le UAZ est dans son élément. Bien sûr, il n'y a pas d'isolation phonique - le moteur hurle, la transmission ronronne, la carrosserie fermée par la capote ne fait qu'intensifier les effets sonores. Mais le « Jaguar » passe facilement sur les nids-de-poule à la même vitesse que sur l’asphalte, sans que les suspensions ne s'affaissent. Bien sûr, il tremble beaucoup, et si les deux sièges avant sont relativement souples, on ne pourra se maintenir assis sur les strapontins longitudinaux à l’arrière que par la force.
Néanmoins, le « Jaguar » se distingue favorablement du UAZ-469 de base sur le plan de l'ergonomie. Pour le véhicule amphibie, on a créé un tableau de bord original avec un combiné d’instrumentation civil, un couvercle en plastique sur toute la largeur et même une main courante souple pour le passager avant - il n'est pas douloureux de s’y cogner les genoux et il est agréable de s'y agripper.
Les commandes sont un amalgame de différentes voitures soviétiques, qu'une nouvelle recrue maîtriserait en cinq minutes. Il n'y a même pas de clé de contact : le moteur est démarré en tournant un interrupteur. La seule chose inhabituelle est un ensemble de leviers qui sortent du sol comme les épines d'un hérisson. Sur la porte de gauche, un panneau indique comment gérer tout cela. Il vaut mieux mémoriser ces informations, car dans le « Jaguar », les leviers ne sont pas les seuls à le mettre en branle, différents systèmes tout-terrain sont également utilisés : treuil mécanique, hélices, blocage du différentiel entre les essieux et enclenchement du réducteur.
Cet arsenal tout-terrain doit être utilisé fréquemment. Car le principal problème du « Jaguar » est la faible puissance de son moteur, qui peut difficilement tirer un amphibie de deux tonnes des ornières et de la boue. « Si un diesel était là... », se plaint Vladimir Dounaïev. Mais à l'époque, les ingénieurs n'avaient pas le choix.
Le manque de couple est partiellement compensé par la gamme courte avec un rapport de 1,98 (c'est-à-dire que le couple est presque doublé), ainsi que par l'habileté et l’attaque du conducteur. Les suspensions, qui consomment beaucoup d'énergie, permettent de franchir les obstacles d'un mouvement, et l'énorme garde au sol de 30 cm est une assurance contre les chocs de la carrosserie avec le sol. Le fond, d'ailleurs, est plat et lisse, de sorte que dans les cas extrêmes, le UAZ glisse sur un obstacle, mais n'y reste pas coincé. En ce qui concerne l'économie des mouvements de mains, comme il n'y a pas d’assistance, il n'est pas possible de tourner le volant sur place.
En général, les capacités en tout-terrain du « Jaguar » suscitent le respect - grâce à sa capacité à rester à flot et à un treuil puissant, il faut faire de gros efforts pour coincer le UAZ-3907. N'oublions pas que nous avons eu entre les mains une pièce de musée vieille de 30 ans, conservée dans sa forme d'origine, sans restauration. C'est pourquoi le moteur a du mal à tourner au ralenti, ce qui oblige parfois à mettre le starter, les synchroniseurs craquent lors des changements de vitesse, les freins ont presque perdu leurs capacités.... Mais la voiture reste exceptionnelle. Même aujourd'hui, le « Jaguar » ne cherche aucun compromis. Il flotte comme un bateau et il offre aussi les capacités de n’importe quel tout-terrain.
Le UAZ-3907 est passé de la planche à dessins au prototype prêt pour la production en seulement trois ans. La voiture a passé avec succès les tests des différentes commissions et administrations. Le problème de sa mise en service semblait résolu. En 1983, Vladimir Dounaïev, parmi d'autres employés de UAZ ayant participé à la création du « Jaguar », a été récompensé d'une décoration officielle. La préparation de la chaîne de montage a commencé à l'usine et un nouveau lot de véhicules expérimentaux a été soumis à des tests épuisants.
Mais alors que les ingénieurs peaufinaient leur véhicule amphibie, le vent de la « perestroïka » a commencé à souffler sur l'URSS, vidant les poches du puissant Ministère de la défense. Les militaires ont dit, comme un couperet, « il n'y a pas d'argent ». Et UAZ n'a pas pu ou n'a pas voulu en faire un projet civil et a donc préféré se lancer dans la production du modèle 3160.
En 1990, l’une des dernières réalisations des concepteurs soviétiques a finalement été envoyée aux archives, ne laissant que quelques exemplaires survivants. A Oulianovsk, la voiture numéro 14 a été sauvée, la plaque sur la portière indique comme année de production 1989. Apparemment, il s'agit de l'un des derniers « Jaguar ». Chez UAZ, on ne se souvient même pas s'il y a eu des versions ultérieures....
Lu sur : https://auto.mail.ru/article/65017-sekretnyij-yaguar-test-unikalnogo-plavayuschego-ua/
Adaptation VG