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Cette voiture n'avait rien à voir avec les Volga précédentes et était capable de révolutionner l'industrie automobile russe. Mais à la fin, elle est devenue un triste monument des événements des années quatre-vingt-dix dans le pays. Retour sur l'histoire dramatique de la GAZ-3105.

Sans compter les prototypes d'essai, une cinquantaine de berlines de ce type ont été fabriquées. Moins encore ont survécu jusqu'à nos jours, et le nombre d'exemplaires bien conservés se compte littéralement sur les doigts. La GAZ-3105 est l'une des voitures russes les plus rares de l'histoire, et le nombre d'innovations dont elle a fait l'objet est stupéfiant. Par son contenu, elle devrait être considérée comme « la » perle de toute collection, mais même au sein d’un cercle restreint de passionnés, elle suscite encore des réactions, disons, mitigées. Pourquoi ?

Parce que c'est ainsi que fonctionne la mémoire humaine. Que voyez-vous sur ces photos ? Une étrange voiture des années 90, morte avant d'être née. Il y a eu tellement de projets de ce genre durant « les années sauvages » : chaque salon de l'automobile était l’occasion d’exposer des plans grandioses pour l'avenir, qui s'avéraient en fin de compte être des fantasmes vides de sens. C'était au mieux, pour ne pas dire au pire, un écran de fumée pour les criminels. Rappelez-vous les ridicules Moskvitch étirées avec des calandres de Rolls-Royce. Ainsi, pendant que nous écoutions des histoires sur la nouvelle orientation du segment du luxe, l'usine était impitoyablement démantelée.

L'Usine Automobile de Gorki (GAZ) n'avait rien à envier aux autres. Sans cesse, la presse automobile annonçait une nouvelle Volga flambant neuve, qui allait - tenez-vous bien - entrer en production, suivie d'un tout-terrain, d'un pick-up et d'un autre tout-terrain... Mais tout se terminait de la même manière : les développements prometteurs étaient envoyés à la poubelle et le cadavre en décomposition de la GAZ-24 était recouvert d'une nouvelle couche de maquillage et remis sur le marché.

Bref, il ne se passait rien de bon dans l’industrie automobile russe à cette époque, et la Volga-3105 semble être l'une de ces voitures insensées vouées par avance à l'échec. Mais en réalité, il s'agit d'un projet sérieux et de grande envergure qui, de nos jours, ne peut être comparé qu'au lancement de la Lada Vesta, lorsque Togliatti a créé un modèle véritablement nouveau, et non une énième variante de « Vosmerka ».

La chose la plus importante à comprendre est qu'il ne s'agit pas d'un enfant des « années sauvages ». La plupart des travaux de conception et d'ingénierie ont été réalisés en URSS, avec un financement normal. Et il en fallait de l’argent, car la nouvelle voiture n'a rien à voir avec les Volga précédentes ! Suspension indépendante McPherson sur tout le pourtour, direction à crémaillère avec direction assistée, freins à disque aux quatre roues, moteurs entièrement nouveaux et transmission fondamentalement différente.

Passer à de telles technologies après la suspension à pivots, le pont rigide et les ressorts à lames, c'est comme lancer la production de smartphones dans une usine de calculatrices. Il est donc logique que les concepteurs de GAZ aient d'abord décidé de découvrir comment ces « smartphones » sont faits. Vos yeux ne vous trompent pas : la voiture a vraiment été conçue en s'inspirant des voitures étrangères de ces années-là - principalement l'Audi 100, à laquelle de nombreuses solutions techniques et d'aménagement ont été empruntées. Mais il n'est pas correct de parler de copie directe. La GAZ-3105 est plutôt une reprise libre du thème étudié : car dans les détails, le projet était totalement original.

D'ailleurs le projet ne comportait pas qu’une voiture. En effet, la nouvelle gamme devait comprendre trois berlines à la fois : la 3103 à traction avant, la 3104 à propulsion arrière et la 3105 de luxe avec traction intégrale et moteur V8. À la jonction des années 1985 et 1986, le travail entre dans une phase active : un nouveau moteur à quatre cylindres est développé (il sera finalement connu sous le nom de ZMZ-406), le prototypage de la carrosserie se poursuit et, en 1987, les premiers prototypes roulants font leur apparition. Une solution exotique, même pour les voitures étrangères, consistera en une ligne de vitrage très basse et des fenêtres divisées en deux, dont seules les ouvertures inférieures s’ouvraient. Cette solution était élégante, mais douteuse du point de vue de la commodité, et sera donc abandonnée par la suite. Mais l'événement qui allait prédéterminer le triste sort de la nouvelle Volga allait avoir lieu.

1988. Dans le cadre de la lutte contre les privilèges, Mikhaïl Gorbatchev ordonne l'arrêt de la production de la Tchaïka GAZ-14 et la destruction de l’appareil de production. Il est également conseillé à la direction de l'usine de reporter les travaux sur les modèles 3103/3104, dont le côté populaire reste à prouver, et de se concentrer sur le modèle 3105, car les hauts fonctionnaires ont toujours besoin de nouvelles voitures.

C'est le premier coup dur. Au lieu d'optimiser la Volga pour la production de masse et de préparer de nouveaux outils pour la chaîne de montage, les travaux sur la production à petite échelle vont commencer - il est prévu de la mettre en place dans les installations libérées par la Tchaïka. Cependant, cela ne ralentit pas le développement de la voiture elle-même. Des dizaines de prototypes GAZ-3105 accumulent les kilomètres et subissent des crash-tests, les ingénieurs imaginent de toutes pièces le nouveau moteur V8 et la transmission intégrale farfelue à l'image du système Quattro des Audi - un seul carter contient les pignons de la boîte cinq vitesses, le rapport de pont principal et le différentiel central, dont le couple est transmis à l'essieu avant par l'intermédiaire d'un arbre secondaire creux.

C'est alors que survient le second coup dur, qui sera fatal. Avec le pays que l’on appelait URSS, le financement public de l’usine disparaît. Il n'est pas question d'achever le cycle des travaux et, en fait, le projet s'arrête à ce stade. Mais même sous cette forme, la 3105 semble suffisamment intéressante pour que les nouvelles autorités, en la personne de Boris Eltsine et de Boris Nemtsov, donnent leur feu vert : en 1994, le président de la Russie signe un décret selon lequel, dans un délai de deux ans, GAZ doit en produire 250 exemplaires annuels.

La voiture que l'on voit sur ces photos a été produite deux ans plus tard, en 1996, et devrait logiquement porter un numéro de série situé aux alentours de cinq cents. Mais la plaque sous le capot indique qu'il ne s'agit que du 86ème exemplaire : la demande d'Eltsine n'était pas garantie par de l'argent, et toutes ces Volga ont été assemblées littéralement à partir de ce qu'on avait, à la main, autant qu'on le pouvait et comme on le pouvait. Un spectacle franchement traumatisant.

À en juger par les marquages, le verre du phare droit a été fabriqué en URSS et celui du phare gauche en Russie. La console centrale est faite de morceaux de plastique de formes différentes, comme s'ils avaient été trouvés dans une décharge. L'un des boutons à l'utilité incompréhensible est littéralement rogné à la lime, le couvercle de la colonne de direction est de travers, à sa gauche est délibérément collée une fausse poignée de correcteur de phare, sous le panneau se trouve un interrupteur à bascule coupe-circuit en cas d'urgence - c'est souvent le cas sur les prototypes d'essai, mais pas dans les véhicules de série !

Le réservoir de lave-glace, le bouchon du réservoir d'essence et la clé de contact portent l'inscription Lada, le bloc de commandes de la climatisation et l'ensemble du système sont empruntés à la Lancia Thema, les commodos à la Ford Scorpio, et les luxueux sièges avant avec chauffage, commandes électriques et mémoire - à la Volvo 940. Enfin, les ingénieurs n'ont pas eu le temps de s'occuper du développement de leur propre crémaillère de direction et joints homocinétiques, de sorte que toutes ces Volga ont utilisé des pièces d’Audi 100.

Et qu'en est-il de l'originalité de la conception, me direz-vous ? L’affirmation est toujours vraie ! Ce n'est qu'en désespoir de cause que des pièces d’emprunt ont été installées sur les GAZ-3105, pour remplacer celles qui, en Union Soviétique, ne pouvaient pas être achevées et fabriquées à temps, et qui, en Russie, ne pouvaient pas l'être tout court. Le plus remarquable sur cette voiture est que la frontière entre les deux époques est visible à l'œil nu. Et ce que les ingénieurs de GAZ ont réussi à faire comme prévu ne mérite que des éloges.

Voulez-vous critiquer le design ? D'accord, il manque peut-être d'expression, mais pour la fin des années 1980 et même le début des années 1990, il était tout à fait pertinent, et l'intérieur n'était pas du tout inférieur à celui des voitures étrangères ! Les contours souples de la planche de bord, les déflecteurs d'aération directement intégrés dans les panneaux de porte, la combinaison originale de couleurs et de textures, les inserts en bois appropriés - regardez les voitures étrangères de ces années-là et vous comprendrez que tout n'y était pas plus moderne.

Et selon les normes de l'industrie automobile russe, coincée dans les années soixante-dix, c'était tout simplement un vaisseau spatial, qui plus est tout électrique. Les sièges, les rétroviseurs, les vitres, et même l'antenne, tout cela était commandé par des servomoteurs ! La banquette arrière, étonnamment spacieuse et confortable, disposait de chauffage et d'une niche pour le téléphone, et certains exemplaires de la 3105 étaient même équipés de réglages à commande électrique. Dans notre voiture, cependant, il ne reste que les interrupteurs. Mais que pensez-vous de la console pour les passagers arrière, n'est-elle pas cool ? Et si vous regardez bien, vous verrez que son angle d'inclinaison est exactement le même que celui de l'avant, et que l'ensemble du tunnel central a la même identité visuelle. Ça c’était du design !

Mais le plus important n'est même pas l'aspect de l’habitacle, mais son agencement : il n'y a aucune trace de l’inclinaison marquée des dossiers de sièges de la Volga classique ! Le siège du conducteur est assez bas, la colonne de direction est réglable à la fois en inclinaison et en profondeur (!), de sorte qu'un homme de taille moyenne pourra trouver une position correcte. Il n'est pas possible de s'asseoir aussi confortablement dans toutes les voitures modernes.

D’ailleurs arrêtons-nous là. Tout ce que vous avez lu jusqu'à présent, vous pourriez l'écrire sur n'importe quel concept de cette époque troublée - un tas d'idées géniales, parfois gâchées par une mise en œuvre à la hache, et qui n'ont aucun sens réel sans une base technique normale. Je dois admettre que je m'étais préparé à un tel scénario, à savoir que la GAZ-3105 ne serait qu'une maquette roulante tordue, avec laquelle on ne pourrait rouler pas plus de trois mètres, secouer la tête et l'oublier. Mais c'est dans ses prestations dynamiques que cette Volga créé la plus grande surprise.

Reprenons. Une carrosserie entièrement nouvelle, un châssis fondamentalement différent, une transmission inspirée du système Quattro avec blocage du différentiel inter-pont et un V8 de 3,4 litres créé de toutes pièces. Tout cela a été développé spécifiquement pour la GAZ-3105, n'a été monté que sur cette voiture et n'a été produit qu'à quelques centaines d'exemplaires. Mais ça marche !

Quelques tours de démarreur - et le moteur unique se réveille, exigeant d'abord de mettre les gaz et forçant à chercher la poignée inexistante du starter. Les concepteurs n'ont pas eu le temps de perfectionner le système d'injection de carburant à gestion numérique - seuls quelques moteurs de ce type ont été fabriqués, et le nôtre est alimenté par un carburateur quadruple corps Pierburg. Après quelques minutes, le régime se stabilise et la voiture est prête à partir.

Dans les données techniques, il est écrit 170 chevaux et 11 secondes au cent, et subjectivement, cela semble être vrai. La grande et lourde berline (cinq mètres et 1,8 tonne) accélère avec assurance, même si je n'ose pas faire monter le moteur en régime jusqu'au rupteur- il n'en est pas question. Je passe les vitesses à l'aide d'un levier à la clarté inattendue et j'arrive à la cinquième : le compteur affiche 120, le compte-tours environ trois mille, il y a encore une solide réserve de puissance sous la pédale, et dans mes oreilles... le silence. Hé, c'est bien une Volga ? Où est le hurlement inexorable de la transmission, où sont les à-coups et les raclements - et pourquoi cette voiture garde-t-elle la ligne droite avec autant d'assurance ?

Elle ne tire d’aucun côté, le volant a un point-zéro clair et compréhensible, et dans ses virages, la 3105 réagit presque sans délai. Une légère pause, purement symbolique, suivie d'une réponse claire, linéaire et sans ambiguïté. D'accord, cela peut s'expliquer par la crémaillère Audi, mais le châssis lui-même est également bien réglé : la Volga trace sa trajectoire en toute confiance, reste fermement à la corde et se comporte exactement comme on l'on attend d'une berline de 30 ans de catégorie supérieure. Enfin presque.

Il semble que la suspension manque un peu de confiance :  la GAZ-3105 transmet fidèlement les irrégularités de la route et les raccords de chaussée. Mais ce qui est déjà inhabituel pour une voiture russe est que cette grande berline absorbe déjà élastiquement et noblement, comme il est censé pour cette catégorie, les plaques d’égouts, les bosses et les nids-de-poule. Certes, des détails paraissent inachevés. Par exemple, si les freins sont efficaces, ils ne commencent à agir qu'à la toute fin de la course de la pédale, et le moteur n’est pas isolé de la carrosserie de sorte que les vibrations font trembler le volant constamment entre les mains.

Mais ce ne sont que des broutilles si l'on tient compte du fait que, dans l'ensemble, la Volga est vraiment au niveau des voitures étrangères de ces années-là. Il y a quelque temps, j'ai eu une Audi 100 de 1991, et je ne peux pas dire qu'il y ait un écart de sensations entre ces deux voitures. Dans sa manière d’être, la 3105 est racée, statutaire, ce que les nombreux défauts ne peuvent cacher.

Malheureusement, il faut reconnaître que même au milieu des années quatre-vingt-dix, cette voiture n'avait aucune chance, car l'assemblage en série à petite échelle entraînait des prix fous - environ 80,000 dollars ! Que pouvait faire cette Volga « non dégrossie » et, de surcroît, peu fiable, face à la horde de voitures étrangères qui se déversaient à travers la frontière ? Son potentiel ? Un argument peu convaincant face à la possibilité réelle d'acheter une Mercedes-Benz, une BMW ou même une vraie Audi au lieu de sa « libre interprétation ».

Comme on a coutume de le dire au football, le score est sur le tableau d'affichage - et personne ne se soucie plus des arguments du type « si seulement ». Mais je dois quand même dire quelques mots pour défendre la voiture et les personnes qui l'ont créée. L'idée et (jusqu'à un certain point) la réalisation étaient toutes deux formidables : si tout s'était déroulé comme prévu, le pays aurait reçu, au début des années 90, la voiture la plus moderne et la plus technologiquement avancée de son histoire. Elle aurait été amenée à la perfection, avec une production à la chaîne normale et, par conséquent, un prix adéquat.

Oui, c'est à cette époque que l'industrie automobile occidentale a fait un nouveau bond technologique en passant à la conception assistée par ordinateur, et en quelques années seulement, la Volga serait devenue obsolète face à la BMW Série 5 E39, à la Mercedes-Benz Classe-E W210 ou à l’Audi A6 C5. Mais avant elles, elle était vraiment très proche, et si l'Union était restée l'Union, elle n’aurait pas à rougir. Et cette première impulsion aurait été suivie par une suivante, et une suivante, et une suivante... Vous avez raison, il ne sert à rien de parler d'un futur qui n'a pas eu lieu. Mais nous savons maintenant qu'il aurait pu se produire.

Lu sur : https://www.autonews.ru/news/609a96939a79473e593296bf
Adaptation VG

Tag(s) : #Histoire, #GAZ, #3105, #Essai, #Vidéo