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Une exposition intitulée « Design sous le sceau du secret » se tient actuellement et jusqu’au 16 avril au VDNKh Moscou et présente plusieurs prototypes de limousines officielles dont les maquettes grandeur nature réalisées par Marussia dans le cadre du projet Cortège en 2013.

Il s’agit premièrement de la Marussia L2 qui montre ce qu’aurait pu être la limousine présidentielle. Ses concepteurs se sont inspirés de l’extérieur de la Volga GAZ-21 de 1956. L’autre voiture est le SUV Marussia Fb voulant imiter la GAZ M-72 de 1955.

Peu de détails dans l’article évoquant l’exposition (et sur d’autres articles publiés ces jours-ci sur internet) mais, début 2014 des maquettes à l’échelle 1/4 avaient été dévoilées sur les réseaux sociaux (*), et j’ai pu aussi mettre la main sur un article de 2021 évoquant ces projets L2 et Fb et aussi les déboires de Marussia. En voici la traduction !

« Nous n'avions plus d'argent. C'était dû à la crise et à un certain nombre de questions et problèmes au sein de l'entreprise. En gros, c'est ça. (...) On a manqué d’argent de manière inattendue. Personne ne s'y attendait, ni l'investisseur ni nous ». C'est ainsi que Nikolaï Fomenko, qui fut un temps président de la société Marussia Motors, a expliqué la fin du projet de développement et de production en série de voitures de sport russes sous la marque Marussia dans une interview datant de 2018. Pourtant, Nikolaï Fomenko aurait pu trouver une autre source de fonds, inépuisable qui plus est… non pas pour construire une voiture de sport pour sa bien-aimée, mais une berline pour un autre président, portant le même patronyme que lui...

L'histoire de la genèse de l’Aurus - une famille de de voitures basées sur une plateforme modulaire unique - compte divers épisodes remarquables ponctué de bizarreries et d’incohérences. Prenons, par exemple, l'avance d'un demi-million de roubles versée par l’Institut NAMI sur le compte de la société TeDiCon, prétendument pour mener « un ensemble travaux sur le thème : ‘Développement d'une conception stylistique de voitures de type limousine, minibus, tout-terrain, qui font partie du groupe de véhicules réunis par le terme ROOuT’ ». Selon nos informations, cet argent a en réalité servi à l'organisation d'un concours sur le site internet Cardesign.ru, aux termes duquel les participants cédaient tous les droits d'auteur sur les dessins envoyés. Ce concours n'a servi à rien, à l'exception de la large couverture médiatique du projet. Mais ce n'est pas le sujet de l'article d'aujourd'hui. Nous allons parler de Marussia Motors, qui, bien que déclarée en faillite, a eu l'honneur d’être mentionné par Vladimir Poutine lors de l'inauguration du démarrage industriel d’Aurus. Avant d'entrer dans le cœur du récit, établissons quelques corrélations dont nous aurons besoin pour comprendre ce qui s'est passé.

Le 13 septembre 2013, le Premier ministre de l'époque, Dmitri Medvedev, signe l'ordonnance n° 1642-r « Sur la détermination de l'unique exécutant de la commande d'État pour le projet pilote visant à développer et à mettre en production en Russie des véhicules conçus pour le transport et l'escorte des hautes personnalités, ainsi que d'autres personnes soumises à la protection de l'État ». Selon le document, l' « exécutant unique » de la création du véhicule basé sur la plate-forme modulaire unifiée (EMP) est l’Institut NAMI. Le 23 octobre 2013 Le Ministère russe de l'industrie et du commerce signe un contrat d'État avec l'Institut NAMI, et le même jour, l'institut signe plusieurs contrats, non plus en tant qu'exécutant, mais en tant que client. Les co-contractants sont Marussia Motors et EMM. Les deux entités sont juridiquement liées : Marussia Motors a été créée par EMM en mars 2009, mais à la fin de 2013, 99% de Marussia Motors était détenu par Marussia Lux SA, une société enregistrée au Luxembourg. À propos de la participation de Nikolaï Fomenko dans cette Société Anonyme, il convient de préciser que cette forme juridique n’est pas prévue par la loi russe, et en ce sens, la fonction de président de Nikolaï Fomenko est donc fictive.

En octobre 2013, le choix par l’Institut NAMI d’EMM et Marusia Motors, pour le développement de la future Aurus Senat a été un moment très important pour Nikolaï Fomenko : les finances de Marussia Motors étaient au plus mal et le contrat avec l’Institut NAMI était effectivement la dernière chance de gagner de l’argent pour poursuivre le projet de voiture de sport Marussia. Il semble que c’est précisément la raison pour laquelle la société Marussia Engineering a été constituée le 10 septembre 2013, avec Marussia Motors comme fondateur. Le fait que Dmitri Medvedev ait confié à l’Institut NAMI la responsabilité d'Aurus le 13 septembre 2013, alors que Marussia Engineering était né un peu plus tôt, le 10 septembre, ne devrait dérouter personne : les parties prenantes connaissent la signature de tels documents bien à l'avance. Il ne fait aucun doute que l’Institut NAMI avait promis un contrat à Marussia Motors, et c'est ainsi qu'est née Marussia Engineering. Cette société n'a d'ailleurs pas fait long feu : ses seuls revenus ont été enregistrés en 2013, et le 10 octobre 2014, le tribunal la déclarait déjà en faillite !

Revenons maintenant à 2009. Trois mois après son immatriculation, Marussia Motors a contracté un prêt important de 40 millions de roubles (plus de 950,000 euros au taux de change de l'époque) auprès d’une société appelée Cardinal et enregistrée entre autres dans la « construction de bâtiments et d’installation ». Serait-ce l'investisseur « amené par Nikolaï Fomenko », comme l'ont écrit certains médias ? Pas vraiment, car cet investisseur était un banal prêteur de fonds qui prêtait au taux de... 14,0 % par an ! Ceux qui, de temps en temps, doivent emprunter de l'argent à une banque ordinaire, savent que ce taux d'intérêt est le plus élevé qui soit car tous les crédits à la consommation sont à un taux inférieur. Il n'y avait donc pas d'investisseur ?

Le montant du prêt a été transféré sur le compte de Marussia Motors en quatre tranches, de dix millions de roubles chacune, du 11 juin au 26 août 2009. À la même époque, Marussia avait déjà commencé à ne pas rembourser sa dette et avait demandé au prêteur de prolonger le délai. La persuasion a porté ses fruits en 2010 - la date du dernier paiement a été reportée au 31 décembre 2013, mais cela n'a pas aidé : à ce jour, Marussia Motors n'a pas payé un seul rouble sur les 40 millions empruntés, plus les intérêts de 26,250,000 roubles. Désespérant de récupérer son argent, Cardinal a cédé ses créances à la société Vekos qui, à son tour, n'a pas réussi à recouvrer la dette, a poursuivi la société en ajoutant aux dits montants une pénalité pour remboursement tardif du prêt, stipulée par l'accord, d'un montant de 9,400,000 roubles, et une pénalité pour paiement tardif des intérêts de 6,168,750 roubles. Sans beaucoup d'hésitation, le tribunal a condamné Marussia Motors à payer au plaignant 81,818,750 roubles, en ajoutant 200,000 roubles de frais administratifs pour l’Etat.

Retour aux questions d'ingénierie. EMM a été chargé par l'Institut NAMI d'effectuer une étude marketing intitulée « Examen et analyse marketing des voitures du segment haut de gamme (…) », à savoir examiner les principaux paramètres affectant le positionnement des berlines et des SUV du segment haut de gamme, y compris les paramètres techniques et les caractéristiques en termes de moteur, de transmission (y compris les transmissions intégrales), de systèmes électriques, électroniques et de contrôle. Toute l’étude devait être effectuée sur le segment de marché des voitures particulières des classes F et J. Je dois avouer que j'aurais payé cher pour consulter ce rapport pour lequel 11,321,750 roubles étaient dus, dont 30 % devaient être payés d'avance... Pour cette somme, la rédaction d’un groupe de presse automobile pourrait travailler une année entière ou même plus. Selon l'accord conclu, les « données d'entrée » pour l'étude étaient « les publications sur le sujet dans la presse, les matériaux des conférences et des symposiums, les données publiées sur internet ». De son côté, Marussia Motors s'était engagée à effectuer « l'analyse des solutions stylistiques de la berline et du SUV sur la base de maquettes de démonstration à l'échelle 1/4 ».

Et qu'en est-il de Marussia Engineering, a-t-elle eu le temps de faire ses preuves sur le projet Aurus ? Les deux documents mis à disposition par la société le prouve. Le premier est un document de référence portant le titre « Développement d'une famille de véhicules de prestige Sedan et SUV basés sur une plate-forme modulaire unique et solution de style commune » et le seconde est une proposition technique sur le même sujet. Habituellement, le document de référence et la proposition technique sont séparés par un certain temps, car la proposition technique est développée sur la base du premier. Cependant, Nikolaï Fomenko, président du groupe Marussia Motors, a signé les-dits documents le même jour - le 20 novembre 2013. Ces documents nous apprennent que Marussia Engineering a élaboré le projet Marussia L2 - une berline (future Aurus Senat) et Marussia Fb - un SUV (futur Aurus Komendant), et que la structure de la société est assez ramifiée : chacun des domaines - carrosserie, transmission, châssis, systèmes électroniques -  se verra attribuer son propre département. Notez qu'il n'y a pas de département moteur, ce qui n'est pas surprenant : les Marussia n'ont pas utilisé leurs propres moteurs, et pour l’Aurus, on a prévu de contracter avec une entreprise étrangère.

Le dossier technique comporte aussi un tableau des caractéristiques. Il s'avère que de nombreux paramètres de l'Aurus Senat définitive sont proches de ceux spécifiés par Marussia Engineering. Par exemple, l'empattement de la Marussia L2 était de 3,200 mm, alors que pour l'Aurus Senat il est de 3,300 mm. Ce n’est pas le cas du poids : dans les spécifications originales, il est sous-estimé - seulement 2,100-2,200 kg. En fait, la Senat, à traction arrière, pèse 2,585 kg et sa version à empattement court et à traction intégrale - 3,035-3,235 kg. La puissance du moteur de la Marussia a été choisie dans une fourchette de 500-550 kW (681-750 ch) - sur l'Aurus, elle est de 440 kW. Le moteur V8 de la Marussia était évalué à 4,0-4,4 litres, mais en réalité il est de 4,400 cm3. Le diamètre des cylindres devait être de 90-95 mm, mais finalement il est de 88 mm, bien que les 90 mm aient été conservés sur le moteur de 470 kW. La course du piston devait être comprise entre 90 et 100 mm, mais en réalité elle est de 90 mm. Les deux turbocompresseurs et l'injection directe d'essence du dossier technique ont été conservés.

Mais plus loin dans la proposition technique, on trouve des détails caractéristiques du « on n'en sait rien ». Par exemple, le point « 4.4.5.2. Technologie de production » mentionne que « comme technologie de base de production de la carrosserie il est proposé le poinçonnage » car il permettra « d'augmenter considérablement la rigidité des pièces produites et de réduire la quantité de pièces nécessaires »... On trouve aussi les informations sur les fonctions du système de sécurité active : ABS, contrôle de la traction, freinage d'urgence, ESP et ainsi de suite. Toute la note est pleine de « révélations » de ce type. Même les calculs joints, qui sont en grande partie automatisés, ne sauvent pas la situation. (…) Oui, les ingénieurs de Marussia Engineering ont probablement dû travailler dur pour créer un modèle en CAO, mais c'est probablement tout. Ensuite, l'opérateur a appuyé sur un bouton, est allé fumer - et l'ordinateur a effectué les calculs.

Les travaux de Marussia Engineering, de Marussia Motors et de EMM n'ont servi à rien - le design de la Marussia L2 est loin de celui de l’Aurus Senat définitive. Des maquettes grandeur nature de la berline Marussia L2 sont toujours « stockées » à l’air libre sur le territoire de l’Institut NAMI entre les bâtiments et clôturés par une haute barrière. Il se dit aussi que le seul prototype roulant de l’Aurus Senat avec un moteur V12 a terminé sa vie ici. Début 2014, la coopération entre l’Institut NAMI et Marussia a été prolongée avec des « travaux d'ingénierie et de conseil pour le projet Cortège », estimés à 464,440 euros.

Comme nous le savons, toutes les entités juridiques russes liées au projet Marussia ont fait faillite, mais les gens sont restés : la plupart des ingénieurs de Marussia sont allés travailler à l’Institut NAMI. Nikolaï Fomenko, dans une interview avec le rédacteur en chef de 66.ru, a déclaré : « Tout ce que j'ai réussi à faire, c'est de fournir une place pour près de deux cents de nos ingénieurs à l’Institut NAMI ». Il a aussi précisé que pour amener à la production industrielle les voitures de sport Marussia, « il manquait un peu d’argent », alors que le projet était prêt à 85%.

Quand on sait que les deux accords entre l’Institut NAMI et EMM et Marussia Motors s’élevaient à 19 millions de roubles, ce qui représentait presque la moitié des fonds empruntés au début des activités de Marussia Motors...

Lu sur :
https://auto.mail.ru/article/86484-marusya-misha-i-raya-kak-sozdavali-pravitelstvenny/ https://www.drom.ru/info/misc/marussia-l2-aurus-senat-84845.html
Adaptation VG

(*) Voir : https://www.sovietauto.fr/2014/01/l-extérieur-des-véhicules-du-projet-«-cortège-»-a-été-dévoilé.html

Tag(s) : #Histoire, #Marussia, #L2, #Fb, #Prototype, #Cortège