Au début des années 1990, les lecteurs des magazines automobiles étaient bombardés d’informations sur toutes sortes de projets russes de concept-cars et de voitures produites en petite série : après une industrie automobile soviétique pauvre en nouveautés était venu le temps de l’audace et de la naïveté. Mais ce projet de supercar (on ne parlait pas encore d’hypercar) basé sur les technologies de défense de l’URSS se détachait dans le contexte général : ses créateurs semblaient être allés trop loin dans leurs fantasmes. Cette Xstreameast (en anglais dans le texte, lire "Extremist") était une monstruosité dotée d’un moteur de folie et d’une aérodynamique avancée, apparue 30 avant les extravagantes Aston Martin Valkyrie et Red Bull X2010 !
Cette incroyable hypercar a été présenté en 1992 à l'exposition Avtoindustriïa-92. Vous pouvez comparer son concept avant-gardiste avec la McLaren F1 lancée la même année, aujourd'hui devenue l’archétype de la supercar et qui est tout simplement la voiture la plus chère des années 1990 - aux enchères elle peut facilement dépasser les 20 millions de dollars.
C’est une société privée appelée Mart limited qui a créé cette Xstreameast avec l'argent d'un riche et inconnu mécène, qui avait établi des relations avec d'anciennes usines soviétiques et tentait d'appliquer leur technologie de défense et d'utiliser leurs installations pour produire des voitures.
Le complexe militaro-industriel de l’URSS était alors à une entité post-soviétique mystérieuse et toute-puissante, capable en théorie de produire n'importe quoi, du sous-marin nucléaire au barbecue en titane, mais auquel on ne passait aucune commande. Le pays n'avait pas besoin de chars mais des biens de consommation disponibles en quantité limitée en URSS. Les administrateurs des usines devaient donc trouver d'urgence des moyens pour une reconversion à des fins pacifiques.
C'est ainsi qu'est née l'idée de créer la première supercar russe basée sur les technologies de défense et qui pourrait attirer de cette manière l'attention sur les activités de Mart limited et de ses clients. Et la fantaisie n'avaient aucune limite : l’ Xstreameast devait recevoir un moteur… sept cylindres ! Lorsque vous écrivez cela dans un logiciel de traitement de texte il souligne en rouge « sept cylindres » et propose de le remplacer par « six cylindres »… Même l’ordinateur n’arrive pas y croire !
Les cylindres de ce moteur étaient disposés horizontalement de façon circulaire, comme un barillet de revolver.Les pistons font tourner le vilebrequin qui est parallèle aux cylindres - il s'agit d'une construction cylindrique très compacte. Vous pouvez qualifier ce moteur de bizarrerie, de non-sens ou de science-fiction, mais, tout d’abord, sachez que ce sont les ingénieurs de l’Institut NAMI qui ont conçu ce moteur AR7.2 et qu'il a réellement fait l’objet d’essais routiers sous le capot d'un UAZ. De plus, ces moteurs sont des produits traditionnels de l'industrie de la défense. Ils étaient utilisés, par exemple, sur les torpilles. Là où un moteur conventionnel n'aurait pas été adapté.
C’était la même chose avec l’ Xstreameast : un moteur standard ne pouvait y être installé car ses créateurs avait mis en place une aérodynamique trop radicale. Le show-car vu à Avtoindustriïa-92 était d’ailleurs une maquette grandeur nature pour travailler justement l’aérodynamisme.
A propos le directeur technique du projet était le célèbre illustrateur Alexandre Zakharov, connu à travers l’URSS pour ses dessins à la dernière page du magazine Za Roulem. En fait, la biographie d’Alexandre Zakharov est si riche qu'énumérer toutes ses réalisations nécessiterait un article à part entière. Sur ce projet, il était responsable du design, de l’architecture globale et de cette aérodynamique exotique.
Le concept aérodynamique de l’ Xstreameast était basé sur une formule simple : une résistance à l'air minimale et une force d'appui maximale - sans aucun aileron qui entraîne une grande résistance aérodynamique. C'est pourquoi l'hypercar avait une forme si inhabituelle : la voiture n'avait même pas de pare-chocs avant - Zakharov s'était contenté de carénages, qui recouvraient les roues de 17 pouces avec des jantes pleines en alliage d'aluminium !
L'air circulait librement sous le cockpit sans rencontrer la moindre résistance - la garde au sol à l’avant atteignait 20 cm, comme pour un SUV. Et ce, en tenant compte du fait qu’avec une largeur impressionnante de deux mètres, la voiture ne faisait qu'un mètre de hauteur - jusqu'à la taille du conducteur.
Mais le principal atout était la partie arrière de la carrosserie qui était entourée d'air grâce au principe de l'aile inversée. Cela accélérait le flux d'air sous la carrosserie, créant une zone raréfiée - la voiture collait littéralement à la route à grande vitesse. Pour isoler ce flux d'air, des tourbillons étaient créées sur les côtés. On vous le dit : l'aérodynamique d'un génie fou !
Les conduits d'air vers les radiateurs étaient situés sous le cockpit, et l’admission du moteur se faisait par un énorme prise d'air dans le toit. Hélas, le moteur lui-même n'offrait pas des performances exceptionnelles : d’une cylindrée de 4,6 litres de cylindrée, il ne développait que 180 chevaux (plus tard, NAMI l'a porté à 250 ch). En même temps, il n'était pas nécessaire de le faire monter trop haut en régime - la puissance maximale n'était atteinte qu'à 3 000 tr/min !
Et que coûtait cette aérodynamique exotique ? Selon ses concepteurs, la voiture offrait « un niveau de confort acceptable ». Le conducteur et le passager étaient assis dans le cockpit de cette hypercar en position semi-allongée et grimpait à bord par une verrière, une solution propre à un avion de chasse plutôt qu’à une voiture.
La carrosserie monocoque était en fibre de carbone, à laquelle on fixait à l’arrière le faux-châssis avec le moteur. Les panneaux extérieurs, eux aussi, étaient en fibre de carbone. Dans la carrosserie monocoque, on trouvait également des niches pour les réservoirs de carburant, les conduits de refroidissement moteur et deux compartiments à bagages étaient aménagés devant les passages de roues arrière, de cent litres chacun. Cette idée avait manifestement été empruntée à la McLaren F1, pour laquelle il avait même fallu produire un jeu spécial de sacs de voyage puisqu’aucun autre ne pouvait tenir dans un espace aussi confiné (la moindre voiture compacte à hayon dispose d’un coffre de 350 litres).
Dans l’habitacle, entre le conducteur et le passager on trouvait « l’unité de contrôle informatique » quelque chose comme un ordinateur de bord. L’influence du secteur de la défense se retrouvait également dans le tableau de bord, remplacé par la vision tête haute directement dans le casque : les informations devaient être théoriquement transférées sur la visière du pilote de l’hypercar, comme dans les avions de chasse. De plus, dans des conditions de faible visibilité, un « localisateur Doppler à laser infrarouge » pouvait afficher des informations devant la voiture directement sur la route - un dispositif que l’on commence à trouver sur des voitures de luxe aujourd’hui.
A l’époque, on avait noté que le projet Xstreameast pourrait nécessiter « un investissement considérable » - un demi-million de dollars, ce qui est ridiculement faible par rapport au lancement de n’importe quelle voiture, même sans viser la visière du casque. Mais dans la nouvelle Russie c’était énormément d’argent.
Après la construction du show-car, Mart limited devait s'occuper du prototype roulant et mettre en place dans les deux années suivantes une production à petite échelle - on prévoyait bien de voir l’ Xstreameast arriver sur les routes en 1995 !
Le complexe militaro-industriel était conçu pour les petites séries et aurait bien pu produire cette hypercar mais... comme dans le cas de nombreux autres projets post-soviétiques de limousines, de voitures de sport, de SUV, tout a dérapé à un moment donné. D'abord, tout l'équipement, le matériel et 4 voitures de la société Mart limited ont brûlé dans un incendie. Puis la maquette de l’ Xstreameast a été accidentée : le camion qui la transportait s'est renversé. Pourtant, la participation au projet de spécialistes très sérieux comme l’Institut NAMI signifiait que tout cela était très sérieux.
Aujourd'hui, on ne peut qu’imaginer l’effet qu’aurait eu la version définitive de l’ Xstreameast sur le stand d’un salon international de l’automobile. En fait, rien de semblable n’a eu lieu jusqu’à aujourd’hui.
Lu sur : https://motor.ru/stories/pervyi-rossiiskii-superkar.htm
Adaptation VG