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A l’époque de la Jigouli, le bien-être humain était facilement évalué par la voiture conduite. Et l’unité de mesure était souvent l’indice du modèle possédé... Par définition le modèle suivant, par ordre croissant, était beaucoup plus prestigieux (et plus cher) que le précédent. Ainsi à côté de la VAZ-2101, la VAZ-2103 semblait être un prince (coûtant une fois et demi le prix !), et la VAZ-2106 avait facilement poussé le prince hors de son piédestal. Il y eut ensuite les « Piaterka » (VAZ-2105) et les « Semerka » (VAZ-2107) mais tout le monde savait déjà qu'à Togliatti on préparait quelque chose de fantastique qui n’avait rien à voir avec les modèles précédents.

Il s’agissait du huitième modèle - la VAZ-2108. Si tous les modèles précédents n’étaient, pour être franc, que des « Kopeïka » embellies avec des baguettes de carrosserie ou de nouvelles optiques, la « Vosmerka » avec sa traction avant était un vrais saut dans l’inconnu. Et comme à l'époque, les dernières nouveautés de l’industrie soviétique étaient présentées au VDNKh (Exposition des réalisations de l'économie nationale de l'URSS au cas où vous ne connaîtriez pas cet acronyme), il n’est pas surprenant qu’en 1984 la foule - y compris des familles - se soit déplacée à Moscou pour la voir. Il se disait que la nouveauté était présentée sur une structure monumentale à l’entrée du pavillon de Montréal.

Les gens sont venus, l'ont vue et… se sont tus. Il n’est pas surprenant que la VAZ-2108 a rapidement reçu le surnom peu glorieux de « Zoubilo » (« Burin » en russe). Extérieurement c’était un choc : elle ressemblait plus à une samodelka  - une voiture faite par un constructeur amateur - qu’à la Lada qu’ils s'attendaient à voir. Anguleuse, sans chrome, avec des défauts un peu partout. « Entre le feu arrière et le hayon on peut glisser la main, normal ça ? Et le « nez » séparé, il vient d’où ? Ce n’était pas possible de dessiner une carrosserie normale ou quoi ? »

Ce « nez » mérite d'ailleurs une explication à part. Le masque avant en plastique était une innovation dont l’usine était fière. Il résistait aux gravillons et autres « météores » de la route. Et il ne risquait pas de s’écailler : il ne pouvait pas non plus rouiller. Il résistait aux chocs légers car il était en plastique déformable. En cas de choc plus important, on pouvait rapidement et facilement remplacer les phares et ce masque, et reprendre la route.

Pourtant, les inconvénients ont fini par l’emporter. Le plastique relativement souple finissait pas se déformer et ne permettait plus de conserver des accostages réguliers entre « ailes et masque » et « masque et capot ». Le capot court s’est finalement révélé peu résistant. Tout cela s’est soldé par l’abandon du fameux masque : les ailes longues (et un capot plus long bien sûr) sont apparues pour la première fois sur les versions de luxe à moteur 1,5 litre, puis sur les « Vosmerka » restantes. Mais il a fallu payer pour cette grâce tant attendue : même après un choc léger, les ailes et le capot devaient être remplacés, et la peinture de partie biseauté du capot finissait par s’écailler pour devenir un important foyer de corrosion.

L’habitacle, selon AvtoVAZ, était plus spacieux que sur les modèles précédents. Mais, subjectivement, personne ne l’a remarqué... surtout aux places arrière. La décision de lancer tout d’abord le modèle en trois portes a joué un rôle certain dans ce sentiment : monter à l’arrière était sensiblement plus compliqué et rappelait les Zaporojets… Les larges portières n’étaient pas pratiques non plus : sortir de la voiture sans heurter la voiture d’à côté devenait plus difficile. De même, le dessin de l’habitacle et les matériaux utilisés avaient l’air plus que modestes. C’était rationnel, pratique mais on était loin du sens habituel que revêt le mot beauté.

Mais le plus drôle ce cachait avec le monogramme apposé sur le hayon arrière. Au lieu des habituels noms de « Jigouli » ou « Lada », il était marqué « Spoutnik » ! Ce nom n’a d’ailleurs pas duré longtemps : il a été rapidement remplacé par « Samara ». Mais ce nom n’a pas pris non plus. « Vosmerka », « Zoubilo », c’est comme ça que les Russes ont préféré l’appeler. Et le nom le plus stupide, on l’a entendu à la télévision et à la radio : « le huitième modèle Jigouli » ! Elle n’avait bien sûr absolument rien à voir avec cette dernière. Cela n’avait aucun sens.

Pour produire la VAZ-2108, un certain nombre d’accords de licences avait été signés : Lucas pour les freins à disques avant et le servofrein à dépression, Zahnradfabrik pour la crémaillère de direction et les synchros de boîte de vitesses, Solex pour le carburateur, Michelin pour le pneu radial tubeless 165/70 R13, etc… La boîte de vitesse avait été développée en collaboration avec Porsche et ZF.

Le système d’allumage électronique avec capteur à effet Hall est devenu l’un des points les douloureux de la « Vosmerka ». Jusqu’à présent en URSS, aucune voiture ne pouvait instantanément caler au milieu de la route : les troubles étaient toujours précédés de certains symptômes. La « Vosmerka », elle, pouvait mourir à l’improviste. L’électronique était à blâmer : les commutateurs comme le fameux capteur tombaient en rade. Et on ne trouvait ni l’un ni l’autre sur le marché… les spéculateurs les proposaient pour au moins dix fois plus cher ! On en est arrivé à un point où des mécaniciens apprenaient à remplacer l’allumage électronique par un allumage mécanique, en utilisant un allumeur de Zaporojets.

En général, la première apparition publique de la VAZ-2108 fût un échec. Les gens qui étaient sur liste d’attente depuis des années pour une voiture refusaient de prendre cette « Spoutnik » préférant une Jigouli plus familière. Mais la pénurie a tout de même eu le dernier mot : il est alors devenu clair que la nouvelle Lada n’était pas une si mauvaise voiture !

AvtoVAZ a lentement compris que la « Vosmerka » avait une électronique capricieuse. Et les consommateurs ont rapidement réalisé que la « Zoubilo » avalait beaucoup moins d’essence que les autres, offrait d’excellentes performances et qu’elle était, en outre, assez facile à entretenir. Et finalement la VAZ-2108 rouillait beaucoup plus lentement que les voitures ordinaires. Les histoires d’horreur sur la nouvelle génération de radiateurs en aluminium et les cales entre les poussoirs et les cames ont rapidement disparu : les gens ont commencé à maîtriser l’un et l’autre.

Cette traction avant tenait bien la route et grimpait les pentes enneigées en toute confiance. Elle offrait une bonne visibilité avec pratiquement aucun angle mort. Et son apparence inhabituelle a commencé à être associé avec ce qui manquait beaucoup : une sorte de sportivité, à la limite de l’insouciance et de la permissivité d'une « voiture de jeunes ». Ce n’est pas un hasard si dans les années 90, la « Vosmerka » a commencé a être associé au crime organisé - cela se voit clairement dans les films tournés ces année-là.

Assez rapidement, la perception de la « Zoubilo » a changé : la Samara a commencé à avoir plus la cote que la Jigouli. Pourtant, si la « Kopeïka » à son lancement n'avait qu'un retard de quatre ans au niveau mondial, sur la « Vosmerka » ce retard était à deux chiffres ! Cela n'a pas empêché la voiture d'être produite pendant très longtemps : de 1984 à 2004 à Togliatti et Syzran, et dix ans de plus à Zaporojié et Kherson.

Aujourd’hui encore, près de quarante ans après l’apparition des premières « Vosmerka », les opinions à son sujet divergent fortement. N’hésitez pas à nous faire part de votre avis.

Lu sur : https://www.zr.ru/content/articles/923105-rodnaya-vazovskaya-vosmerka/
Adaptation VG

Tag(s) : #Histoire, #VAZ, #Lada, #2108, #Samara