La Lada a 50 ans et à La Havane, les modèles classiques se vendent toujours au prix d’une maison. Landy est un homme élégant. Il a les cheveux lissés d'un crooner vieillissant, une chemisette à manches courtes d'un quelconque architecte de Miami Beach et une voiture terrible. Une Lada.
C’est mon chauffeur préféré de La Havane. Cela peut paraître un luxe de s'offrir un chauffeur, mais c'est bien plus économique que de payer soit-même les $15,000 que coûtent ce genre de voiture aujourd'hui à Cuba. C’est pourquoi malgré les poignées de lève-vitres manquantes (les vis ont dû tomber quelque-part) et une banquette arrière contenant un ressort lâche à faire sourire un proctologue, je préfère me laisser conduire. Et Landy bichonne sa Lada comme un bébé.
Car cette voiture bleue complète son look. Sur cette île mieux connue pour ses incroyables carcasses américaines, elle le catégorise comme un membre de la Ladaocracia, l’aristocratie Lada de Cuba, la révolutionnaire.
Cela fait 50 ans, jour pour jour, que la première Lada est tombée des chaînes de production de Togliatti, une ville russe sur le bord de la Volga. La date avait été choisie pour coïncider avec le centenaire de la naissance d’un certain Vladimir Ilitch Lénine ! Résultat de la collaboration entre l’Etat soviétique et la Fiat italienne, la Lada est une petite voiture que ses concepteurs avaient décidé de rendre pratiquement indestructible. Cette Jigouli était plus solide que la Fiat 124 et depuis même les poètes n’ont rien trouvé de mieux pour la décrire que « carrée ».
Dans les années 1970, le soutien soviétique à Cuba était à son apogée. « Le gouvernement fournissait des Lada aux médecins, aux personnes travaillant dans les exploitations sucrières, aux athlètes, aux ingénieurs, aux scientifiques » explique Hendy Cobas du Club Amigos del Motor, un club cubain de d’amateurs de voitures qui compte 1,000 membres. Il y avait une vraie distinction entre les propriétaires de Lada et ceux qui roulaient dans des voitures d’avant la révolution de 1959 comme des Chevy Bel Air ou des Ford Fairlane. L’un de ses amis se souvient que lorsqu’il allait en boîte de nuit il voyait des jeunes bien habillés monter dans des Lada à l’heure de la fermeture : « Il était clair que leurs parents, ou les parents de leurs parents, étaient quelqu’un d’important ».
Willy Hierro Allen, 77 ans, rédacteur en chef du magazine Excelencias del Motor, se souvient : « En 1978, je dirigeais le magazine Transporte et il semble que quelqu'un pensait que je le méritais. Un vice-ministre m'a appelé et m'a dit ‘vous allez avoir une voiture’. J’étais vraiment excité. La voiture était bleue. Je l’ai encore et elle est toujours de cette couleur ».
L’extraordinaire capacité des Cubains à se relaxer et à se sentimentaliser s’est rapidement transformée pour se focaliser sur des choses beaucoup plus utilitaires. « Presque tous les Cubains savent changer des bougies d’allumage et la plupart peuvent changer des plaquettes de frein et une pompe à essence » explique Hendy Cobas. « Les Lada font partie de la famille ». Une phrase que tout le monde emploie ici.
« J’ai vu des modifications de carrosserie, de nouvelles prises d’air ou des ressorts raccourcis pour les rapprocher du sol mais, à part les systèmes audios, les modifications restes limitées » poursuit-il. « Nous n’aimons pas faire de gros changements dans la carrosserie d’une Lada, c’est comme si vous découpez quelqu’un ».
Il est facile de comprendre pourquoi les gens en prennent soin. La dernière Lada classique est arrivée à Cuba en 1988 mais sur AutoCubana, un site de petites annonces, ces modèles se vendent au prix de 18,000 pesos cubains convertibles (CUC), soit près de $15,000 ! Et les voitures en bon état s'affichent deux fois plus cher. Ce n’est pas que par amour des Lada. C’est parce que le pays manque cruellement de voitures. Et pour cet argent, les Cubains peuvent s’acheter un appartement dans l’un des meilleurs quartiers de La Havane !
Alors que dans de nombreux pays, les nouvelles lois environnementales décimaient les Lada, on en compte environ 250,000 à Cuba où les fumées d’échappement refusent de se dissiper. « Ici, nous sommes responsables de l’entretien de nos voitures » raconte Willy Hierro Allen. « Quand tu vieillis, ton fils vient dire ‘Papa, laisse-moi réparer la voiture’, puis ton fils a aussi un fils, et avec le temps, c'est lui qui se charge d'elle. C'est ainsi que la Lada a fini par devenir la voiture de la famille cubaine ! ».
Malheureusement, alors que Landy et moi nous dirigeons vers l'autoroute, c'est peut-être l'odeur persistante des gaz d'échappement qui déclenche ma nostalgie. Ma première voiture fut une Skoda, l'équivalent tchèque de la Lada. Mon père me l'avait achetée et m’avait dit - et j'espère toujours qu'il plaisantait - qu'il l'avait eue à bon marché parce que le propriétaire précédent était mort d’asphyxie à l’intérieur.
Je retrouve mon deuxième chauffeur. Jésus est une figure plus austère que Landy. Il loue une Lada moderne à l'État, l'une des 320 voitures arrivées ici en 2017 (*). C'est une créature totalement différente et, en vérité, elle est beaucoup mieux pour les longs trajets. Comme Jésus le dit lui-même : « elle est confortable et elle a un grand coffre ».
Lu sur : https://www.theguardian.com/world/2020/apr/19/take-me-to-your-lada-cubas-passion-for-a-little-russian-box
Adaptation VG
(*) Voir : http://www.sovietauto.fr/2018/01/arrivee-de-la-premiere-cargaison-de-lada-modernes-a-cuba.html