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En 1993, le chaos sur le marché des devises avait imposé aux journalistes de changer leurs habitudes. Les essais ou les articles sur les dernières nouveautés n’intéressaient plus personne et faire des prévisions sur les chiffres de ventes des mois suivants relevait de la prophétie. Dans ces conditions, il valait mieux passer à autre chose.
Il y a exactement 21 ans, j’étais sorti diplômé du Département « véhicules à roues et à chenilles » de l’Université Polytechnique de Saint-Pétersbourg. Diplômé est peut-être un mot un peu fort car le théme était simple, nécessitait peu de travail et j’avais déjà révisé le minimum. En ce début d’année, les examens étaient encore loin et j’avais près de deux mois devant moi. Deux mois à perdre et à ne rien faire. De l’énergie, j'en avais à revendre et elle n’attendait qu’à s’extérioriser. A quoi pouvait-on s’occuper en ce début des années 90 ? En spéculant : le but était d'acheter quelque chose, quelque part, pour trop cher pour espérer le revendre plus cher à un autre endroit. Une fois j’ai ainsi acheté des casseroles en téflon à Krasnoïarsk, 10 roubles pièce et je les ai toutes revendues à un « passeur » polonais... 80 roubles pièces. Bien joué, non ?
Puis, j’ai eu connaissance d’un deal bien plus sérieux : acheter des Jigouli « réimportées » réimportées de Finlande, puis les ramener à Krasnoïarsk afin de les revendre. Une simple Lada « 21011 » coûtaient à Vyborg $1,500 à $1,800 et en Sibérie on pouvait facilement la refourguer pour $3,000. Dès le lendemain matin, mon ami et moi nous sommes précipités à la Gare de Finlande (l’une des cinq gares de Saint-Pétersbourg) et nous avons pris un train pour Vyborg.
Dans cette ville frontière, il n’y avait pas de revendeurs de voitures en tant que tels. Les voitures étaient directement mises en vente dans une des rues de la ville. Presque immédiatement nous avons mis la main sur une très bonne voiture de 1986, en excellent état et révisée en Finlande avec une vidange avec de l’huile Shell. Nous avons fait affaire pour $1,600. Cette VAZ-21011 n’avait qu’un seul défaut. Une couleur étrange comme si elle avait été repeinte dans sa jeunesse. Ce jour-là nous n’avons pas trouvé de deuxième voiture et nous avons décidé de retenter notre chance le lendemain. Nous sommes revenus à Saint-Pétersbourg rapidement. L’asphalte était sec. Et nous n’avions pas besoin de reprendre le train le lendemain puisque nous avions déjà une voiture !
Rappelez-vous. A l’époque, les seuls pneus hiver que l’on pouvait trouver étaient des pneus à clous ! Tout le monde ne les utilisaient pas car on considérait que des « Belka » ou des « Iaroslavka » avaient suffisamment d’adhérence sur la neige et sur la glace. Sur cette Lada on trouvait de vrais Nokian Hakkapeliitta avec une bande de roulement encore assez vigoureuse et une quantité résiduelle de clous non moins agréable. La neige était tombée toute la nuit et le lendemain matin nous avons fait les 130 km de routes verglacées jusqu’à Vyborg à une vitesse presque irréelle, dépassant absolument tous les autres usagers, comme s’ils étaient arrêtés. Un vrai choc. C'est comme si nous roulions en pneus slick sur un circuit. Pas moins !
Pourtant, ce jour-là la chance ne semblait pas de notre côté. A la « foire automobile » improvisée de Vyborg, on ne trouvait que des voitures étrangères, des Opel parquées là depuis longtemps, ou des Lada très récentes à $2,200 et plus. Mais finalement nous avons aperçu quelque chose. Et, ce qui est intéressant, une voiture de la même couleur un jaune canari défraichi.
Quand nous nous sommes approchés, nous avons d’abord été déçus. Elle faisait partie d’un lot de Jigouli locales et non pas de Lada réimportées. Mais le prix nous convenait complètement : $1,400. L’essai ne nous a pas laissé optimistes : un moteur anémique mais qui ne fumait pas, un cliquetis dans la suspension avant et un manque général d’entretien. D’apparence cette VAZ-2104 paraissait solide. Il semble que la météo de la région de Saint-Pétersbourg n’avait pas eu beaucoup d’impact sur l’état de la carrosserie : étonnamment la quantité de rouille était proche de zéro. Nous nous sommes donc décidés de la prendre.
La route du retour vers Saint-Pétersbourg a mis à jour un autre défaut : les amortisseurs arrière étaient morts ce qui avait tout de même un incidence notable sur la tenue de route de la voiture. Mais l’insouciance de notre jeunesse et notre cupidité n’en avait cure...
Dès le lendemain matin, nous avons pris la route de Moscou. Je ne me souviens pas comment nous sommes arrivés là-bas, ce qui signifie que tout s’est bien passé. A Moscou, nous avons d’ailleurs pris directement la M5 en direction de l’Est. Quelque part près de Riazan, je me suis arrêté et je suis descendu pour fumer... j’en suis resté bouche bée. Un ciel étoilé divisé en deux parties par la Voie Lactée, la rosée sur les branches de pin, pas une seule voiture sur la route et un silence assourdissant... Je n'avais jamais connu cela.
Mais l’euphorie est passée rapidement. Les amortisseurs usés de la deuxième voiture limitait notre vitesse. Et les bruits de suspension avant augmentaient. A Chatsk, nous avons décidé de nous rendre dans une station de réparation VAZ. On nous a changé rapidement les rotules et les silentblocs. Le voyage est devenu plus amusant mais vers Oufa, c’est la première Lada, la Finlandaise qui a fait des siennes. Les perturbations soudaines du moteur signifiaient très probablement un problème de carburateur. Mais comme le moteur fonctionnait plus ou moins normalement avec l’accélérateur enfoncé à fond, cela signifiait que la deuxième chambre du double corps marchait bien. Il nous a fallu démonter le carburateur. Le problème a été identifié rapidement : le gicleur de la première chambre était bouché. Une fois remonté, la première Lada a retrouvé toute sa superbe et de nouveau sa course a été entravée par la seconde : outre le pompage de la suspension arrière, la glace avait fait son apparition et les pneus étaient loin d’être neufs.
Nous avons franchi l’Oural étonnamment sans difficultés si ce n’est ce camion que nous avons enfin pu réussir à dépasser miraculeusement dans la redescente. C'est dans la région de Kourgan, que nous avons connu bien pire. La deuxième Jigouli roulait en tête et n’amusait pas la galerie... Tout à coup, spectacle fascinant. Comme au ralenti, j’ai vu la voiture partir directement dans un champ, elle s’est retrouvée sur le toit et a commencé à glisser sur la neige vierge très loin de la route...
Zhenka (le conducteur de cette Jigouli) s’en est sorti avec quelques égratignures et un tracteur qui passait par là a pu tirer la voiture sur la route. La voiture ne pouvait plus rouler : les amortisseurs arrière avaient été arrachés. Nous les avons d'ailleurs cherchés longtemps dans la neige. Zhenka est parti à Kourgan à la recherche d’une grue et d’un camion (à l’époque personne ne savait ce qu’était une dépanneuse). Cinq heures après il est revenu avec un camion-grue KamAZ qui a remis notre martyr sur les roues et l’a emmenée chez un carrossier. Nous, nous avons continué notre route...
A l’époque, il n’y avait pas de route directe entre Omsk et Novossibirsk et il fallait passer par le Kazakhstan (Terenkol – Karassouk). Je n’oublierai jamais comment mon père avait insisté pour que l’on prenne des parkas militaires. Elles m’ont littéralement sauvé quand dans la steppe kazakhe, par moins 30°C, il a fallu que j’aille... excusez-moi, me soulager. La doublure en mouton était tout de même plus confortable...
Nous sommes arrivés à Krasnoïarsk sans autre problème. La voiture finlandaise a été revendue assez rapidement avec une marge de $1,400, un montant suffisant pour réparer la seconde Jigouli. On peut dire que l’aventure s’est bien terminée mais je n’ai plus jamais emmené de Lada « réimportée » en Sibérie !
Lu sur : http://svpressa.ru/auto/article/107672/
Adaptation VG