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Quand on se passionne pour la culture automobile sous toutes ses formes, il est très facile de se laisser embarquer dans un genre particulier ou une niche, de se retrouver avec des œillères et devenir totalement imperméable à tous les développements passionnants qui se produisent autour de soi.
Mon intérêt pour les voitures a toujours tourné autour du drift et des marques japonaise et l’un de mes objectifs en tant que « Speedhunter » a été d’essayer de rechercher des projets ou des tendances en dehors de ma sphère habituelle. C’est d’ailleurs ce que m’a précisément demandé il y a quelques semaines, Bryn Musselwhite, à la manière de Maître Yoda. « Les différentes cultures de l’automobile, mieux tu comprendras ». Et me voilà parti, espérant trouver des constructions incroyables qui ont pu échapper jusqu’à présent à nos radars...
Pour mon apprentissage, il m’a donc orienté vers Dave Colledge, un spécialiste Ford. Ce dernier, outre qu’il a construit certaines des Ford classiques les plus cools et les plus rapides d’Angleterre, est le créateur de « Retro Ford », un atelier qui conçoit tout ce qu’il faut pour transplanter un moderne et puissant bloc Zetec ou Duratec dans un ancienne à l’ovale bleu. Le garage regorge donc de trésors, mais ce sont des Ford, et cela n’est pas cela qui nous intéresse aujourd’hui.
La raison de ma visite cette fois-ci n’est donc pas une Ford mais une création plutôt curieuse... Une Lada 2101 de 1981 ! Drôle de bagnole pour battre des records de vitesse, non ? Mais l'histoire est pourtant très simple : après avoir aidé un ami à constuire une Lada Riva motorisée par un Zetec et avoir vu sur internet des photos de Lada surbaissées en provenance d’Europe de l’Est, Dave a décidé de se construire sa propre Lada avec un moteur Ford. Rien de plus facile pour lui.
Plutôt que d’opter lui aussi pour une Riva, il a cherché la candidate idéale. La VAZ-2101, vendue comme Lada 1200 en Angleterre, est plus élégante. La 2101 est essentiellement une Fiat 124, adaptée pour convenir au mieux au Bloc de l’Est : elle offre un classique style italien et une solide qualité de construction russe. Il y a apparemment plus de 800 différences entre une Fiat et une Lada, mais si vous les repérez c’est que vous êtes une sorte de chercheur. Les deux plus grands changements sont que la carrosserie de la Lada est construite avec une acier plus épais et que sa suspension est moins rigide pour face au climat plus froid et plus difficile.
Habitué à importer des Ford classiques en provenance du monde entier, Dave a approché la Lada un peu différemment. Alors qu’il aurait pu payer sa 2101 pour quelques pennies en Europe de l’Est, il a préféré jeter son dévolu sur une véritable voiture à conduite à droite vendue sur le marché anglais. Il a passé six mois à la chercher. La Lada que vous avez devant les yeux a été mise en vente un vendredi soir à 20h00. Le lendemain à 08h00, Dave se tenait devant elle. Mais elle était vraiment différente, très différente de l’annonce.
Dave raconte et il fait preuve de franchise : « C’était une merde. Mais c’était la première que je voyais depuis des mois et je l’ai donc achetée pour £500 en me disant que je trouverai peut-être encore mieux ». Il n’a pas trouvé. La Lada est équipée d’un moteur 1200 cm3 et une boîte 4 vitesses. Ce n’est pas l’idéal et la première tâche au retour de la voiture dans l’atelier de « Retro Ford » a été de « tuer » le moteur. « C’est qu’on a fait avec un très beau burnout » explique fièrement Dave.
Le moteur hors d’usage, la première tâche a consisté en la restauration de la carrosserie et du châssis. Les pièces viennent de toute l’Europe et ont été remises amoureusement en place. Une nouvelle paire d’ailes arrière a ainsi été trouvée et achetée en République Tchèque. Mais quand elles sont arrivées, il manquait l’élégante ligne emboutie qui file sur toute la longueur de la voiture. Il a fallu toute l’habileté d'un carrossier pour combiner les anciennes ailes et celles-ci...
Les ailes avant se sont révélées tout aussi difficile à traiter. Au début, le projet était de construire une Lada prête à faire du drift. Celles d’origine n’étant pas adaptées à cet usage, elles ont donc été découpée et élargies de deux pouces. Les roues avant rentrent désormais parfaitement sous les ailes.
Pour le moteur, c’est donc comme il se doit un moteur Ford qui devait être installé. Le Cosworth Duratec 2,3 litres constituait un choix évident. Il offre un bon couple à bas régime et est facile à modifier. Le Duratec est très populaire sous le capot des vieilles Ford et c'est une alternative beaucoup moins coûteuse qu’un moteur préparé par Millington Racing Engine comme dans l’Escort Mk2 de Ken Block.
Le moteur est un peu à l’étroit. Dave voulait utiliser les supports que « Retro Ford » commercialise, ce qui a dicté la position finale. Il a donc fallu découper la cloison moteur pour permettre le passage du bloc. L’agencement du compartiment moteur est traité avec un soin extrême : tout ce qui a pu être caché l’a été. Le souci du détail et la qualité de finition permettent à cette petite Lada de se démarquer. On remarquera aussi le pot d’échappement réalisé sur mesure dont le montage a nécessité selon Dave pas moins de 40 heures de travail.
Le tunnel de transmission a dû être modifié pour faire passer la boîte six vitesses de Mazda MX-5 couplée à un essieu arrière de Ford Escort Mk2 retravaillé avec des pièces de compétition. Au final, le moteur développe 235 chevaux ce qui rend la voiture incroyablement amusante à conduire.
Lorsque Dave a commencé à travailler sur la suspension, la priorité a été de rendre la voiture aussi basse que possible. Sur le marché des accessoires, les pièces de suspension pour Lada ne sont pas très communes et donc, encore une fois, Dave a dû se tourner vers des pièces Ford. Ceux qui connaissent le châssis de la Lada 2101/Fiat 124 (ne vous levez pas tous à la fois !) auront peut-être déjà remarqué les puits des jambes de force. Là, tout est remplacé par une suspension MacPherson 2.8 Bilstein avec des supports excentriques permettant des réglages supplémentaires. A l’arrière, les puits de suspension ont été raccourcis en hauteur et substantiellement relevés pour offrir la hauteur désiré au véhicule. La suspension d'origine est conservée mais entièrement reconditionnée et dispose d’une barre Panhard ajustable.
Le choix des roues est particulièrement original : des jantes de Ford Mondeo Mk2 ont été sacrifiées pour réaliser cette monte originale. Le centre de la jante a été séparé du bord extérieur avant d’être retourné et ressoudé en place. Une modification a également été apportée afin de permettre le montage des enjoliveurs Lada d’origine. A l’avant on trouve des étriers AP Racing de MG TF avec des disques de 304 mm, et à l’arrière, des étriers de Lotus Elise avec des disques avant de Peugeot 406. C’est un beau méli-mélo de pièces, mais cela fonctionne !
Quand on jette un œil dans l’habitacle, on trouve peu d’indices quant aux capacités potentielles de cette Lada. Le volant en aluminium Springalex est le seul détail qui saute immédiatement aux yeux pour prouver que l’on est pas en face d’une simple voiture russe restaurée. L’intérieur est sobre et Dave a fait le minimum de modifications pour garder au maximum le charme de cette voiture du Bloc de l’Est ! Le compteur plafonne donc toujours à 100 mph, chiffre que la Lada est largement en mesure d’atteindre. Les sièges avant ont effectivement été changés. A l’origine, ce cuir noir Momo se trouve dans une Alfa Romeo 156 mais il matche bien avec le reste de la voiture et il faut un œil de lynx pour voir tout de suite qu’ils ne sont pas d’origine.
Les modifications extérieures sont tout aussi subtiles. Les pare-chocs avant et arrière sont montés sur des supports raccourcis permettant de les rapprocher de la carrosserie. Cela a d’ailleurs impliqué de les retravailler pour mieux coller aux contours de la voiture et un parechoc arrière de break 2102, venu de Belgique, a même été installé. Les charnières de portes ont été repositionnées pour réduire les jeux avec les autres éléments de carrosserie. Des poignées de portières neuves ont été trouvées. Une tâche plus facile qu’on ne le prévoyait puisque ce sont encore exactement les mêmes qui celles montées encore aujourd'hui sur la Lada Niva !
En l’heure de choisir la couleur, Dave a voulu quelque chose qui ne serait pas incongru. « Quand vous voyez une voiture peinte dans une couleur qui n’a jamais été disponible d’origine, cela semble toujours bizarre » indique-t-il. Je suis d’accord avec lui. Ayant cela à l’esprit, il est parti à la recherche de quelque chose qui était proche de la nuance d’orange offert sur la 2101. Naturellement, il a commencé à feuilleter un nuancier de Ford et a choisi un orange dans la gamme utilitaire.
A la lumière, cette teinte est plus proche du jaune, mais dans certaines conditions c’est bien un orange. La couleur correspond parfaitement à la philosophie de la Lada. Même lors de notre séance de photos, un dimanche dans une zone industrielle calme, elle a attiré l’attention. Je ne suis pas sûr que les passants savaient exactement de quelle voiture il s’agissait, mais j’ai pu les voir sourire.
Naturellement, comme de coutume en Angleterre, il n’a pas fallu attendre longtemps pour que le vent se mette à tourner et qu’il commence à pleuvoir, mettant fin à notre séance. Dave a sauté sur le volant et démarré le moteur pour montrer ce dont la Lada est capable avant que le sol ne soit trop glissant. Par avance, je m’excuse pour la mauvaise qualité des images et du son.
Alors qu’elle pourrait avoir un grand nombre de pièces de « Retro Ford », cette Lada n’a pas pour prétention d’être un véhicule de démonstration. C’est une voiture que Dave s’est construite pour son propre plaisir. Il a mis sept mois et cela lui a pris tout le temps libre qu’il a pu se dégager.
Les Anglais aiment les outsiders et je pense que c’est ce qui me plaît dans cette voiture. Personne ne soupçonnerait qu’on puisse passer autant de temps et d’attention sur une voiture pareille (une Lada !) et encore moins ne s’attendrait à ce qu’elle soit aussi incroyablement rapide. Ce n’est peut-être pas le genre de voiture qui m’attire, mais Dave m’a ouvert les yeux et c’est certainement une construction qui mérite d’être saluée.
Lu sur : http://www.speedhunters.com/2015/12/unusual-suspect-lada-attitude/
Adaptation VG
PS : à noter que cette voiture a fait la une du numéro de janvier 2014 de Practical Performance.