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Interview : "la Granta fera plus chère qu'elle ne l'est".

Anthony Grade est le responsable du design d'AvtoVAZ depuis deux ans. La première voiture dessinée sous sa direction est la Lada Granta. Il parle de cette voiture, dont la commercialisation est prévue dans moins d'un an et des futurs projets d'AvtoVAZ dans une interview accordée à "7 verst".

Q : Etiez-vous familier avec la production d'AvtoVAZ avant de commencer à travailler à Togliatti ?
R : Oui bien sûr je connaissais la Lada "Classique", ce véritable best-seller, et la Lada 4x4(*). Pour les designers ces voitures sont des icônes. Surtout le Lada 4x4, le premier SUV au monde, qui a d'ailleurs servi de modèle pour la conception du Renault Duster
(*).

(*) nota : on notera qu'il ne parle pas de Niva et pas non plus de Dacia Duster.

Q : Peut-on dire qu'il existe une école russe en matière de design ?
R : Bien sûr, les voitures produites par AvtoVAZ sont uniques. La plupart des Lada ont été créées à une période où le marché était fermé et où l'acheteur ne pouvait pas comparer les voitures disponibles à la concurrence étrangère. Son choix était limité. Aujourd'hui le marché russe est très concurrentiel. Aujourd'hui nous devons développer un design spécifique pour les voitures de la marque Lada. Dans ce contexte, je demande à tous nos designers de développer une marque forte et unique pour bien l'identifier. Je pense vraiment que les designers russes sont capables de créer une voiture russe mieux que quiconque, car c'est eux qui comprennent le mieux les besoins des consommateurs rus
ses.

Q : Lorsque vous êtes arrivés chez AvtoVAZ, vous avez dit que vous étiez surpris par les goûts des consommateurs russes, qui diffèrent sensiblement des préférences des Européens...
R : L'histoire d'un pays définit les goûts et les attitudes de ces habitants. L'Europe s'est développée de manière cohérente. A l'heure actuelle, le marché européen est stable. Il est également très segmenté : les besoins des clients vivant dans le Nord et de ceux des pays d'Europe du Sud peuvent parfois varier. La Russie, c'est un mélange d'Europe, de culture slave et asiatique. Les différences sociales sont très marquées : au niveau des salaires, dans les besoins. Les acheteurs russes ne savent pas toujours si telle ou telle voiture correspond vraiment à leurs besoins quotidiens. Souvent la voiture est perçue comme un symbole de statut social. Les modes en Russie sont aussi très certainement différentes. On le voit par exemple dans la manière dont les femmes ont de s'habiller. Contrairement en Europe, les femmes n'ont pas peur ici de montrer leur féminité. Soit dit en passant, nous avons besoin d'adapter nos voitures en tenant compte des goûts féminins. Cela ne signifie nullement que les dames n'aiment pas les voitures "jouets" : très souvent les femmes préfèrent les voitures de sport et les SUV, que nous définissons généralement comme masculi
ns !

Q : Rencontrez-vous souvent des designers qui voudraient collaborer avec AvtoVAZ ? Vous proposent-ils des choses intéressantes ?
R : La Russie compte de nombreux talents : dans le design automobile, dans le design industriel ou la mode. Malheureusement, les designers russes n'ont pas vraiment de débouchés pour travailler dans l'automobile en Russie, sauf chez AvtoVAZ. C'est pourquoi la majorité d'entre eux travaillent à l'étranger. Renault et Nissan par exemple emploient de nombreux designers rus
ses.

Les garçons et les filles russes sont enthousiastes en matière d'automobile car ici la possession d'une voiture est encore une sensation nouvelle. En Europe on compte 650 voitures pour 1000 habitants. En Russie ce chiffre est de 220. Il y a une grande marge de croissance. En Europe, la voiture est plutôt un problème, en particulier dans les zones urbaines. D'une part, les exigences environnementales sont élevées, les règles de circulation strictes et il est difficile de trouver des places de stationnement. D'autre part, les systèmes de transport public sont bien développés. Par conséquent en Europe, comme au Japon, les enfants ne rêvent plus de voitures mais d'ordinateurs ou de moyens de communication. Ma fille a 20 ans et elle ne veut pas de voiture. Et la première chose que mon fils de 16 ans m'a demandé est un téléphone !

Chaque week-end quand je me rends à Moscou je rencontre des étudiants de divers établissements. Ces étudiants ont du talent et ils sont attirés par le design. Il perçoivent favorablement la marque Lada et voient que cette marque fait désormais partie de l'Alliance Renault-Nissan. Un designer doit être ouvert sur le monde, ne pas rester dans un seul endroit, chez un seul constructeur ou dans un seul pays. Mais nous devons attirer les designers, les former, les motiver avec des travaux intéressants en leur offrant les moyens de s'exprimer avec comme perspective la coopération future entre AvtoVAZ et Renault mais aussi avec la gamme des produits existants.

Q : En parlant de futur proche, évoquons la Lada Granta. Pourquoi une voiture populaire aurait-elle besoin d'une individualité propre ?
R : Ce qui est certainement nécessaire pour AvtoVAZ c'est d'avoir un produit réussi. Ce rôle est dévolu à la Granta. Même si cette voiture est basée sur la plateforme de la Kalina, vous ne reconnaîtrez pas la base : elle est plus grande, avec un avant et arrière totalement nouveau et un intérieur différent. Cette voiture n'a pas la prétention d'être une icône de style mais elle doit parfaitement convenir à sa clientèle : être abordable et moderne, d'aspect solide et offrir beaucoup d'espace pour les passagers et les bagages. C'est pourquoi nous avons accordé beaucoup d'attention aux détails et à la qualité. La Granta fera plus chère qu'elle ne l'est réellement. L'acheteur sera fier et admirera sa Granta. Il pourra sentir que lui, en tant que client, a une réelle importa
nce.

Quand les premiers prototypes de Granta ont été assemblés sur la chaîne de montage, nous avons interrogé les ouvriers, acheteurs potentiels de cette voiture. Ces conversations ont confirmé nos hypothèses de travail : la Granta sera couronnée de succès.

Q : Pouvons-nous espérer que tout ce qui a été imaginé dans ce projet sera mis en œuvre ?
R : Oleg Grunenkov, le directeur du projet, a bien compris que le résultat final doit être exactement ce que nous avons vu sur les maquettes et sur les prototypes. Si la qualité de l'intérieur est mauvaise, si les accostages de carrosseries ne correspondent pas à ce que nous avons voulu, cette voiture ne marchera pas. Nous ne pouvons pas faire un test de clientèle pour savoir si la voiture va plaire ou ne va pas plaire. Car l'acheteur peut changer d'avis et se tourner vers la concurre
nce.

Q : En ce qui concerne les autres modèles : Kalina, Priora, 4x4. Des changements sont-ils prévus ?
R : La Kalina doit avoir plus de réussite sur le marché que ce qu'elle fait aujourd'hui. Nous avons prévu un restylage de l'avant. La voiture sera plus sportive, plus dynamique et de meilleure qualité. La partie avant de la Priora sera aussi modifiée. Ensuite nous commencerons à travailler sur de nouveaux modèles dans de nouveaux segments de marché dans lesquels on ne trouve pas de Lada. Je parle des segments B, C et les SUV par exemple. Nous avons besoin de produire des modèles solides pouvant concurrencer des marques comme Ford, Kia et même Renault ou Nissan. Nous devons conserver les clients existants et en attirer de nouveaux. En particulier les jeunes famil
les.

C'est dans ce but que nous avons embauché de nouveaux designers à Togliatti, mais aussi pour Moscou, dans un studio que nous prévoyons d'ouvrir d'ici mi-2011.

Q : Pourquoi Moscou et non pas Togliatti ?
R : L'activité principale restera à Togliatti. Mais les designers travailleront aussi à Moscou. Ce qui est important est que les designers puissent travailler dans des environnements différents. Cela permet d'acquérir de nouvelles expériences, de percevoir l'énergie d'un milieu urbain et de mieux comprendre les besoins de nos client. A Togliatti, une ville industrielle, les designers ont plus de mal pour avoir de l'inspiratio
n...

En ce qui concerne AvtoVAZ, j'ai l'intention de recruter un nouveau directeur du design qui y travaillera de manière permanente. J'occupe deux postes : l'un chez Renault et l'autre chez AvtoVAZ. Cela ne permet pas de se consacrer à 100% aux problèmes de l'une ou l'autre société.

Le directeur du design doit être russe. En principe dans l'Alliance, la nationalité n'a pas d'importance et au centre de design de Renault ont trouve plus de 25 nationalités différentes. Mais le directeur du design doit bien comprendre la Russie. Même si ma grand-mère est née à Odessa et que je comprends bien la langue russe, je n'ai pas le niveau pour discuter de certaines choses de tous les jours et comprendre toutes les nuances de la culture russe...

Q : Quelles ont été vos impressions sur le centre de style d'AvtoVAZ ? Que fallait-il changer ? Avez-vous dû vous battre ?
R : Honnêtement, pour moi c'était un défi ! Je n'ai pas été nommé à ce poste. J'ai moi-même demandé à travailler chez AvtoVAZ. Lors de ma première visite en avril 2008, il m'est clairement apparu qu'il y aurait beaucoup de travail. Mais amener le centre de style d'AvtoVAZ à un niveau mondial est une tâche parfaitement réalisable. Bien sûr, la première année a été très difficile. Puis après la nomination en 2009 d'Igor Komarov au poste de président, le travail est devenu plus effic
ace.

Le centre de style d'AvtoVAZ se présente comme un puzzle dont il faut rassembler les pièces. Il y a de la compétence, de la créativité, de bonnes connaissances en informatique, de bonnes capacités pour produire des maquettes de style... mais nous devons absolument améliorer l'équipement, établir un processus de développement efficace avec nos collègues de l'ingénierie et donner aux gens une plus grande responsabilité. Une des questions dont nous devrons à l'avenir nous affranchir c'est la bureaucratie qui ralentit le travail. Et j'ai beaucoup d'anecdotes en ce sens, comme par exemple lorsque nous avons essayé de recevoir des choses en provenance de France... Travailler avec les douanes est un vrai casse-tête ! Il ne faut pas oublier que quand nous essayons de résoudre des problèmes de paperasse, Kia et Toyota développent de nouveaux produits ! Mais j'ai entièrement confiance en la nouvelle génération : c'est elle qui va apporter les changements.

Q : Les designers d'AvtoVAZ et de Renault partagent-ils leur expérience ? R : Bien sûr ! En 2010, nous avons beaucoup voyagé. Des petits groupes ont été envoyés chez Renault pour voir comment ils travaillent et comparer avec ce qu'ils font. Nous parlons de "Best Practice". Un de mes designers a passé 3 mois au studio de design de Bucarest. En 2011, nous prévoyons de poursuivre en ce sens pour nous rapprocher des méthodes de travail de Renault, Nissan et Renault Samsung en Corée.

J'ai eu l'occasion de travailler pour Ford, Renault et Nissan dans six pays différents et je suis heureux d'avoir eu cette opportunité. Les designers d'AvtoVAZ ont travaillé uniquement à Togliatti et ne savent pas comment on travaille dans les autres sociétés. Cet échange d'expérience est donc essentiel.

Le design d'AvtoVAZ restera toutefois indépendant en ce qui concerne sa stratégie. Dans l'Alliance, aucune entreprise ne décide pour une autre. C'est pourquoi AvtoVAZ doit avoir son propre directeur du design.

Q : Vous dessinez ?
R : A la maison ou pendant les réunions ennuyeuses. Oui je continue à dessiner. Mais au travail, dans le centre de style, non... C'est le job des designers. Par exemple, Ivan Lepechkine a dessiné la Lada Granta et mon rôle était de lui indiquer la bonne direction où al
ler.

Lu sur : lien obsolète
Adaptation VG

Tag(s) : #AvtoVAZ, #Lada, #Renault, #Design, #Granta, #Personnalités, #Interview