Il y a 30 ans quand les arbres étaient grands, la jeunesse étaient beaucoup plus curieuse. Les jeunes techniciens et les jeunes inventeurs étaient pleins d’énergie et avaient ce désir de changer le monde autour d’eux. A l’époque, on avait obligatoirement un rêve et tenter de le mettre en œuvre était une question d’honneur. Que sont devenus ces garçons et leurs rêves ? Ils ont grandi, ont mûri et souvent ils ont perdu l’inspiration...
Dans le flot de la circulation, on remarque rapidement cette inhabituelle voiture jaune vif. Les experts auront le temps de discerner les contours sophistiqués d’une voiture de sport britannique... Pourtant, en général, aucun n’est capable d’en identifier la marque. Et pour cause... Il s’agit d’une samodelka - une voiture faite maison - portant le nom d’ISV et fabriquée par Sergueï Ivantsov de Tcheliabinsk.
« J’ai commencé à construire cette voiture il y a longtemps. C’était en 1982. A l’époque la pénurie était terrible et il était hors de question de penser pouvoir acheter une voiture étrangère. Tout a commencé quand j’ai récupéré les ponts d’une Niva ». Tout a été récupéré au hasard : moteur et boîte de VAZ-2106, direction et tableau de bord d’Audi et les pont d’une Lada Niva. Toutes les pièces ont été modifiées et adaptées et le moteur amélioré. A partir d'une maquette en pâte à modeler à l'échelle 1, Sergueï a pu fabriquer les panneaux en carrosserie en fibre de verre.
Au début, la voiture avait un moteur de Jigouli. Sergueï admet qu’à l’époque il pensait utiliser un moteur rotatif, mais on l’en a dissuadé. C’est un peu plus tard que la voiture a reçu le moteur d’une voiture allemande. « En fait dans le processus de construction puis d’utilisation, j’ai quasiment presque tous les ans modifié la voiture. Maintenant le moteur, la boîte automatique et le pont arrière proviennent d’une BMW ». D'ailleurs durant les 20 années que lui ont pris la construction, il a souvent rêvé de quatre roues motrices. Il a fini par y renoncer. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Par manque d'argent et aussi par manque de soutien. « J’ai fait tout tout seul. Certaines pièces sont très lourdes et il a fallu que je les porte seul. La seule chose que je n’ai pas faite moi-même, c’est la peinture. »
Cette voiture, iI l'a conçue et dessinée entièrement. Tous les éléments ont été réalisé à la main, refaits, modifiés plusieurs fois. Toutes les solutions techniques ont été testées en vraie avant d'être définitivement adoptées. Pour ce qui est de l’ergonomie, Sergueï aime à répondre : « J’ai fait la voiture moi en suivant un seul principe : que je m’y sente à l’aise ».
Il ajoute : « Je voulais faire une belle voiture. Une voiture cohérente dans son dessin. De l’avant, la voiture suit l’école anglaise. L’arrière vient d’être refait. Il est plus moderne. J’étais impressionné par la Lamborghini Aventador. J’ai doublé la sortie d’échappement. Je suis un grand admirateur des grands designers automobile. En particulier de Giorgio Giugiaro ».
D'ailleurs le détail le plus frappant dans cette voiture, ce qui attire vraiment l’attention, ce sont les portes en élytre. Elles s’élèvent dans les airs et sont maintenues ouvertes par deux vérins à gaz. L’ensemble des vitrages est particulièrement réussi. Tout est réalisé en verre triplex à partir de vieux pares-brise. Les phares sont aussi remarquables. Ils paraissent particulièrement bien finis et très élaborés. Les feux arrière de type « cristal » rappellent la tendance en vogue actuellement chez les constructeurs mondiaux. La qualité de la finition intérieure est particulièrement léchée : cuir biton, plastiques et aluminium poli. Sans se tromper que l’ISV est largement au-dessus des productions locales et proches de ce qui se fait chez les constructeurs étrangers. Le seul défaut est peut-être lié à la ventilation. Les vitres latérales sont fixes et à la moindre augmentation de la température il faut mettre la climatisation.
Voilà concrètement comment la voiture a vu le jour. La construction de l’ISV a débuté en 1982 dans un petit local (de 7x7 mètres) d’une centrale électrique. L’existence de cet atelier de construction amateur était soigneusement cachée. Comme il devait travailler de tous les côtés, Sergueï réalisé un support rotatif dont la construction a bien failli lui coûter une main. Les 3 mois d’arrêt et son doigt coupé lui ont montré la nécessité de respecter scrupuleusement quelques règles de sécurité.
Pour la réalisation de la carrosserie il avait besoin de beaucoup de plastiline. Bien sûr, il n'était pas facile d'obtenir. Il a fait tous les magasins de Tcheliabinsk pour acheter des boîtes de pâtes à modeler pour enfants et du mastic ! Au total, il a réussi à s'en procurer 275 kg à tel point que la rumeur commença à courir que c’était un produit de pénurie et qu’en avoir à la maison était absolument indispensable !
Une partie des vitres a été réalisée à partir pares-brise fissurés d’Ikarus qu’il achetait à une « connaissance » travaillant dans un dépôt d’autobus voisin. Au début cela ne se passait pas bien mais peu à peu il a maîtrisé la découpe du verre et il a réussi à réaliser exactement ce qu’il voulait.
Pour évaluer la forme aérodynamique de sa voiture, Sergueï s’est servi d’un pont roulant auquel il accrochait sa maquette. Ensuite il regardait comment elle se comportait quand il faisait rouler le pont avec la télécommande ! Alors qu’il avait pratiquement terminé la maquette à l'échelle 1 le printemps est arrivé et, horreur, dans l’atelier surchauffé par le soleil, la plastiline a commencé à fondre et sa maquette a commencé à se déformer ! Sergueï en a alors réalisé un moulage à une vitesse supersonique. Juste après la maquette n’existait plus... La réalisation des panneaux de carrosserie en fibre de verre ne fut par contre qu’une formalité car c’est un travail qu’il connaissait bien.
Son expérience passée lui avait appris qu’il ne fallait pas économiser sur la sécurité. Pour éviter de respirer des vapeurs toxiques, il a acheté un masque à gaz de l’armée qu’il a relié à l’air libre en assemblant plusieurs tuyaux. Il enfilait aussi trois paires de gants chirurgicaux. C'est ainsi qu'il a fabriqué sa carrosserie en travaillant de 8 à 10 heures par jour par une température avoisinant continuellement les 40 degrés. Et comme cette tâche lui interdisait de faire des pauses pour boire, manger ou aller aux toilettes, il a fabriqué un dispositif de tuyaux pour s’hydrater et se soulager ! Ces efforts héroïques lui ont permis de fabriquer tous les éléments de la carrosserie de sa future voiture.
Il avait tellement envie de voir à quoi ressemblerait l’œuvre de sa vie qu’il a réalisé un support avec des bouts de bois et du fil métallique pour soutenir les différentes panneaux de carrosserie. Il a également peint les roues (qu’il n’avait pas encore achetées) sur des morceaux de carton pour les présenter à l’intérieur des passages de roues. Ce fut un véritable choc car la voiture était tout simplement moche ! Il était déçu car il fallait recommencer tout depuis le début. Cependant, il a pu conserver les portières qui lui plaisaient bien, la partie arrière pouvait être modifiée, mais il fallait reprendre complètement l’avant. C’est à cette époque qu’il a commencé à comprendre que le changement d’une courbure de ne serait-ce que 5 à 7 mm pourrait changer radicalement l’apparence de la voiture. L’avant commençait à lui plaire mais l’arrière ne lui convenait plus ! Et le changement de la forme des parechocs ne lui apportait pas entière satisfaction.
Ces modifications sans fin commençaient à faire sourire et jaser ces amis. La voiture dans sa forme actuelle a été présentée à Autoexotica-2002 mais les deux dernières années ont été passées au travail de préparation de la surface de la carrosserie avant mise en peinture. Il fait tout lui-même. Jamais personne d’autre n’a touché à la voiture car Sergueï ne fait pas confiance. C'est un de ses riches amis qui lui a donné 46,000 roubles pour la peinture, sa propre situation financière étant depuis longtemps proche de zéro. En 2002, soit 20 ans après le début de sa construction, l’ISV était terminée !
Lors de cette manifestation, cette voiture équipée d’un moteur VAZ-2106 gonflé et d’une suspension faite à partir de pièces de Niva a marqué par ses formes gracieuses, par l’ouverture inhabituelle de ses portières et par son habitacle confortable et harmonieux. Toutes les pièces, y compris les feux arrière faits maison, les baguettes de seuils de portes et le volant, portent le logo ISV (pour Ivanstov Sergueï Vladimirovitch). Lors de l'édition suivante de l’Autoexotica, en 2003, le jury pour la première fois de l’histoire de ce festival a décerné son Grand-Prix de la « voiture la plus exotique » à une samodelka, l'ISV.
On s’est souvent moqué de lui et on ne le prenait pas au sérieux. Qui aurait pensé que cet homme aurait assez de patience pour amener à la perfection pratiquement tous les composants de sa voiture ? Bien entendu, on ne peut pas la comparer aux dernières productions, cette voiture n’a pas tous les éléments de sécurité désormais considérés comme élémentaires. De toute manière, il n’a jamais pensé à la produire en série. Cette voiture a été conçue pour n’exister qu’à un seule exemplaire. Mais elle est la preuve que le mot « impossible » n’existe pas.
Quelques faits sur la voiture et son créateur:
1. Les travaux sur la voiture ont débuté en 1982 par une petite catastrophe. Sergueï Ivantsov était en train de soulever la feuille d’acier nécessaire à la construction d’un podium tournant pour assembler l’ISV. La corde a glissé et la feuille d’acier lui est tombée sur la main. Sergueï se souvient que durant les premiers jours, il n’avait plus que la moitié de l’ongle du pouce...
2. La construction de l’ISV a pris 20 ans avec deux « prototypes » mort-nés. Les maquettes en plastiline à l’échelle 1:1 pesaient deux tonnes. Les matrices qui en ont découlé et qui ont servi à encoller les panneaux de carrosserie étaient moins encombrantes. Il a réalisé l’intérieur en suivant la même technique.
3. Sergueï est allergique à la résine epoxy. La carrosserie de la voiture est réalisée en matériaux composites : fibre de verre imprégnée de résine epoxy. Il a dû travailler avec un masque à gaz relié à un tuyau de sept mètres donnant sur la rue. Chaque panneau de carrosserie devait être encollé en une seule fois et sans faire la moindre pause. Par exemple, pour faire le capot, Sergueï a porté son masque à gaz pendant 8 heures. Il s’est même fabriqué à un grattoir car la sueur lui démangeait le dos !
4. Sergueï est 100% autodidacte et tire son expérience de ses essais et ses erreurs. Le véhicule impressionne pourtant par sa qualité et par sa cohérence d’ensemble. En plus, l'ISV est homologuée pour circuler sur route ouverte.
5. Cette voiture est le résultat d’un travail acharné. Par exemple, après avoir réalisé le capot en fibre de verre et en avoir travaillé la surface, sa forme ne lui semblait pas suffisamment expressive. Il a donc retravaillé sur la maquette, modifié les courbes, jusqu’à obtenir le résultat souhaité. Il a mis six semaines à réaliser ce nouveau capot et quand il a comparé les deux variantes, il s’avérait qu’ils n’avaient une différence que de 7 mm !
6. En 1973, alors qu’il travaillait comme électricien à la construction du cinéma « Soyouz », Sergueï avait aimé les lampes fluorescentes. Il a récupéré un réflecteur et l’a conservé dans son garage. Ce n’est qu’au début des années 90 qu’il s’en est rappelé et les feux arrières à led ont été réalisés avec ce réflecteur. La fabrication d’un seul feu lui a pris 4 mois. A noter que les phares sont intégrés dans un logement en acier inoxydable poli.
7. Sergueï affirme que sa voiture n’est la copie d’aucune autre voiture et c’est la vérité. Il s’est par contre inspiré de la Lamborghini Countach de laquelle son ISV reprend les portières spectaculaires. Mais contrairement à la Lamborghini, elles s’ouvrent facilement grâce à deux (et non trois) charnières.
8. Sa voiture a des pièces des trois grands constructeurs allemands. Le moteur BMW, la direction assistée, les commodos et le tableau de bord d’une Audi ou l’autoradio Mercedes.
9. Ceux qui voient la voiture posent le plus souvent cette étrange question : « Combien pèse-t-elle ? » Sergueï répond qu’elle pèse à peine plus de 1300 kg. La deuxième question est « Combien coûte-t-elle ? ». La réponse est immuable : « Je n’ai pas d’enfant. J’ai consacré 20 ans de ma vie exclusivement à cette voiture. C’est elle mon enfant. A combien estimez-vous la vie de votre propre enfant ? ». Certains seraient prêts à lui racheter cette voiture 100,000 euros.
Caractéristiques techniques :
- Moteur : BMW 1,8 litres – 130 ch.
- Roues : 235/45 R17
- Equipement : direction assistée, climatisation.
- Carrosserie : châssis tubulaire recouvert de panneaux en fibre de verre.
Lu sur : fishki.net/auto/1346729-istorija-cheljabinskoj-samodelki-isv.html
et sur : http://31tv.ru/programmy/avtostrada/blog/na-chto-stoit-potratit-polzhizni-istoriya-chelyabinskoy-samodelki-ISV.html
Adaptation VG