La Warszawa Ghia est l’un des prototypes polonais d’après-guerre les plus intéressants et les plus mystérieux. Pour la première fois dans l’histoire de l’automobile d’un pays du bloc de l’Est, un bureau de style de renommée mondiale était chargé de concevoir la carrosserie d’un futur modèle. Pourtant, à l’exception de peut-être pas plus de quelques dizaines de témoins, personne ne l’a jamais vue ! Le magazine polonais Classic Auto, dans son numéro de juillet 2012, vient de publier des documents exceptionnels. Il s’agit des photos des deux prototypes jamais construits !
S’il existe des dizaines de photos d’archives de la Syrena Sport, il était jusque-là impossible de connaître la véritable apparence de la Warszawa Ghia. Les médias n’en ont jamais eu une seule photo. Jamais personne n’a pu débattre de la beauté de cette Warszawa avec une carrosserie italienne. Michal Szymkowiak a fait des recherche pour la Fondation Cezary Nawrot et pour la première fois depuis 1959 nous sommes en mesure de voir à quoi ressemblaient les deux prototypes Warszawa Ghia ! Ces photos ont été trouvées aux Etats-Unis.
L’histoire de ces deux prototypes est pourtant parfaitement connue. Avec le dégel politique de la fin des années 1950, un groupe de stylistes sous la direction de Karol Pionnier, le responsable du bureau d’études de FSO, décident de moderniser le modèle de base déjà bien vieillissant de l’usine. C’est dans le cadre de ces travaux que l’on commence à fabriquer le moteur S-21 à soupapes en tête, plus moderne, et que l’on décide de faire dessiner la carrosserie des futures berline et break par le carrossier italien Ghia. Ce bureau de style, considéré à l’époque comme l’un des meilleurs au monde, a renvoyé à la Pologne deux voitures qui par leur dessin et leur niveau de prestation semblaient venir d’un autre monde.
Mais selon les documents existants, le camarade Gomulka qui a pu les voir au début de l’année 1959 les a qualifiées immédiatement de « trop bourgeoises et trop sophistiquées ». C’était une remarque suffisante pour ne pas donner suite à ces deux voitures pour lesquelles l’usine avait pourtant dépensé 62,000 dollars. Elles ont moisi dans un entrepôt jusqu’aux années 70 pour être, comme plusieurs autres prototypes dont la Syrena Sport, finalement détruites.
Durant toutes ces années les seuls documents de la berline Warszawa Ghia étaient quelques photos d’archives d’une maquette à l’échelle 1 :5. Et on n’avait aucune idée à quoi pouvait ressembler la version break. Seuls quelques employés chanceux de FSO avaient pu les voir toutes les deux. En fait, on se rappelait surtout des enjoliveurs de ces Warszawa Ghia puisqu’ils avaient été repris par la Syrena Sport.
Michal Szymkowiak, un traducteur passionné d’automobiles, s’est donc mis à la recherche de photos de ces deux prototypes. Initialement il souhaitait simplement aider la Fondation Cezary Nawrot dans sa recherche de document pour la reconstruction de la Syrena Sport. Comme on sait que cette dernière avait les enjoliveurs de la Warszawa Ghia, peut-être y avait-il d’autres points en commun, et cela valait la peine de chercher aussi dans cette direction. C’est ainsi que dans les réserves du Musée Technique de Varsovie il a mis accidentellement la main sur une maquette d’un mètre de long un peu oubliée de la Warszawa Ghia... Oubliée puisque différente de la maquette connue en photo. C’était déjà une découverte sensationnelle en soi et c’est aussi pour cela qu’il a souhaité en savoir plus !
Il s’est donc mis en tête de trouver des photos des vraies voitures. Il a commencé à chercher à l’étranger puisqu’on ne sait pas pourquoi mais il n’y en a pas en Pologne. En s’adressant au Musée National de l’Automobile de Turin, il a ensuite pu avoir accès aux archives de Ford aux Etats-Unis (propriétaire de Ghia depuis 1970) et mettre la main sur 9 photos en noir et blanc de haute qualité, prises à l’époque par un photographe professionnel. C’est la première fois que ces photos sont révélées au grand public, y compris en Pologne.
Elles ont été prises dans un atelier situé au numéro 5 de la Via Agostino Montefeltro à Turin, où se trouvait l’ancien siège social de Ghia. On reconnait les plafonds et les lampes caractéristiques que l’on retrouve sur d’autres photos retraçant l’histoire de la « Carrozzeria Ghia ». Tom Tjaarda qui dans sa jeunesse a travaillé chez Ghia se souvient que ces deux prototypes ont été dessinés par Sergio Sartorelli (1928-2009). Un styliste plus que respectable puisqu’il est entre autres l’auteur de la VW Karmann Ghia et de la Fiat 126... la future Maluch polonaise !
Ces photos permettent de voir que la Warszawa Ghia était une très belle voiture. Les deux prototypes avaient été réalisés sur deux châssis de Warszawa M-20 fournis par FSO, imposant ainsi aux stylistes l’empattement et les voies AV/AR. Quand on en connait les proportions, il faut admettre qu’il aurait été difficile de faire encore mieux. Les nervures douces, les grandes vitres et la ligne de toit plat lui offrent de la légèreté et les nombreuses pièces chromées de l’élégance. L’intérieur aussi est très réussi. On peut voir sur les photos que de nombreuses pièces de voitures italiennes, comme la Lancia Flaminia ou la Fiat 1200 TV, ont été utilisées. Le seul élément conservé de la Warszawa ? Les pédales avec les patins en caoutchouc !
Comment se fait-il que dans la PRL on ait pu commander à un styliste italien le projet des futures carrosseries de la Warszawa ? Comment se fait-il qu’après la tempête médiatique qui a suivi la révélation des sommes versées à Ghia pour mener la projet, aucune photo n’a été publiée ? Pourquoi les deux prototypes ont été détruits ? Si elle avait été produite comme tel, aurait-elle eu beaucoup de succès ? Ce sont les questions qui viennent à l’esprit lorsqu’on voit aujourd’hui ces photos exceptionnelles...
Lu sur : http://moto.pl/MotoPL/1,88389,14200122,Warszawa_Ghia___zapomniana__bo__zbyt_burzuazyjna_.html
Adaptation VG