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KamAZ : le conte du temps perdu.

En 1990, KamAZ est la première entreprise de l’industrie automobile soviétique à être privatisée. Les actions sont distribuées à ses employés. On estimait que devenue « entreprise du peuple », elle pourrait s’épanouir dans le nouvel environnement de l’économie de marché. Mais de nombreuses crises et des erreurs de gestion se sont mises sur sa route.

Dans les années 60, l’économie soviétique avait grandement besoin de camions lourds à moteurs diesel. Une nouvelle usine aurait pu apparaître à n’importe quel endroit de la partie européenne de l’URSS mais il a finalement été décidé de la construire au Tatarstan, sur les rives de la rivière Kama en raison de la bonne situation géographique et des infrastructures de transport. La décision est finalisée en août 1969 quand le Comité central du PCUS et le Conseil des ministres de l’URSS adopte le décret portant « Sur la création d’un complexe d’usines automobiles à Naberezhnie Tchelny, dans la République autonome du Tatarstan ». Ce décret est signé de la main du Secrétaire Général, Léonid Brejnev. 13 ans plus tard on donnera pour un temps son nom à la ville...

Des personnes venues de toute l’Union - jusqu’à plus de 100,000 personnes - ont participé à la construction de la plus grande entreprise du genre au monde - une usine pouvant fabriquer 150,000 camions et 250,000 moteurs par an (ces moteurs étaient en partie destinés à d’autres constructeurs : UralAZ, LAZ, LiAZ, ZiL). La population de la petite ville s’est développée rapidement, passant de 30,000 habitants au début des années 60 à près d’un demi-million ! Près de 700 entreprises étrangères - d’Europe, des Etats-Unis, du Canada et du Japon - ainsi que 2,000 sociétés d'URSS ont été sollicitées pour les équipements et les installations de l’usine. A l’époque, la rumeur voulait même que les camions KamAZ avaient été conçus aux Etats Unis par Ford. Mais ce n’était qu’une rumeur : ces camions ont été créés chez ZiL à Moscou et leur moteur à l’usine de
Iaroslav (IaMZ).

Le premier Kamaz, un camion plateau KamAZ-5320, est tombé de chaîne le 16 février 1976. En dix ans, KamAZ a amorti ses investissements même sans jamais avoir atteint la capacité de production maximale annuelle prévue par le projet. Au début des années 90, les KamAZ représentaient le tiers du parc de camions et les deux-tiers des volumes transportés du pays. Et c’est en 1991, que l’usine a en produit le plus grand nombre : 102,000.

Hélas, ces dernières années ont montré que dans les conditions de l’économie de marché, il n’est pas réaliste de vouloir vendre des dizaines de milliers de poids-lourds par an. Et de ce géant, qui emploie plus de 100 mille personnes, dépend une ville d’un demi-million d’habitants...

L’histoire officielle de l’usine essaie de passer outre les années 90, comme si elles n’avaient pas du tout existé... Le seul évènement qui est mentionné (peut-être d’ailleurs pour justifier cette période noire) est le terrible incendie, qui le 14 avril 1993, a complètement détruit l’usine de moteurs. Il y a des rumeurs qui courent. L’incendie n’était pas accidentel. Quelqu’un aurait voulu dissimuler des vols à répétition. Que ces rumeurs soient fondées ou non, les dégâts ont été considérables. Il a fallu huit mois pour relancer partiellement la production et ce n’est qu’en décembre 1996 que tout était redevenu comme avant. Pourtant, pour une raison inconnue, les équipements rachetés étaient totalement identiques à ceux partis en fumée ! Alors que pour le même prix, il était possible d’acheter une ligne de production pour faire des moteurs plus modernes...

Pendant ce temps, la demande pour les camions KamAZ a continué à baisser et la dette a augmenté. L’usine n’a pas pris la peine de mettre en place ne serait-ce qu’un département marketing pour déterminer quels sont les camions réclamés par le marché. La gamme n’était pas tellement différente de celle proposée à l’époque soviétique. Face à une telle situation, les investisseurs se détournaient de l’usine et les ouvriers qualifiés ont commencé à quitter KamAZ par milliers. En 1998, la production était tombée à son plus bas niveau. Cette année-là, seulement 3,300 camions ont été produits, l’usine étant à l’arrêt la majeure partie du temps ! Ce fut un tournant dans l’histoire de l’entreprise. Il fallait lui venir en aide.

Grâce aux efforts déployés par le gouvernement de Russie et du Tatarstan, la dette de l’entreprise (un milliard de dollars !) a pu être transformée en actions. Cela a coïncidé avec le début de la reprise économique du pays quand les prix mondiaux du pétrole sont repartis à la hausse. Avec l’embellie du secteur de la construction, les camions lourds ont connu un accroissement de la demande. A partir de 1999, les ventes de KamAZ ont commencé à augmenter et en quelques années l’usine a été en mesure de faire des bénéfices. Et les nouveaux dirigeants de l’entreprise ont fait le choix de coopérer avec les leaders du secteur à l’étranger.

Fin 2005, une joint-venture avec la société allemande Zahnradfabrik est créée, « ZF KAMA », pour produire 10,00 boîtes de vitesse ZF par an, avec comme perspective de porter ce chiffre à 90,000 unités. Un autre accord a été signé en janvier 2006 avec la société américaine Cummins pour la production de moteurs répondant aux normes Euro-3 et Euro-4.

Le tournant date de 2008. L’année précédente, l’usine a battu son record de production pour la période post-soviétique : 52,700 camions. L’usine publie de bons indicateurs financiers et elle attire des investisseurs sérieux. Au début de 2008, la majorité des actions détenues par la Fédération de Russie et le Tatarstan (49,9%) sont revendues à « Rostekhnologiï ». A la fin de la même année, 10% des actions sont achetées par l’Allemand Daimler. L’arrivée d’un partenaire d’un tel niveau est en soi une victoire, la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement prenant également une participation de 4%. Les Allemands sont non seulement intéressés par la possibilité de produire leurs camions dans l’usine russe, mais aussi de bénéficier du vaste réseau de distribution de KamAZ : les concessionnaires et les centres de réparation sont répartis sur tout le territoire de la Russie et de la CEI, même dans les coins les plus reculés. De son côté KamAZ voit en Daimler un moyen d’accéder à des technologies modernes.

En 2009, des accords sont signés en vue de créer deux joint-ventures : « Fuso KamAZ Trucks Rus » (production et vente de petits camions Canter, une marque japonaise appartenant par le géant allemand) et « Mercedes-Benz Truck Vostok » (production et vente de camions lourds Actros et Axor). Avec ces accords, on pensait KamAZ tiré d’affaire, mais la Russie a été rattrapée par la crise financière mondiale. En 2009, l’usine de Naberezhnie Tchelny n’a été en mesure de produire et vendre que 23,000 camions, la chaîne ayant été stoppée plusieurs fois dans l’année pour des périodes allant de quelques jours à un mois. Des camions produits en 2008 n’ont ainsi été vendus qu’au début de 2010 !

Pour sauver une fois de plus l’entreprise, il a fallu faire appel à l’Etat, lequel a répondu positivement puisque le principal actionnaire de KamAZ est la société « Rostekhnologiï ». Au moment le plus critique, l’usine a obtenu un prêt de 5 milliards de roubles garantis par l’Etat et le gouvernement du Tatarstan a fourni temporairement un travail à tous les ouvriers qui n’étaient pas nécessaires à l’usine. Ces ouvriers, qui percevaient le même salaire qu’avant, étaient envoyés sur les chantiers de la République...

Les ventes ont recommencé à croître en 2010, les ouvriers sont retournés à l’usine et des partenaires étrangers se sont de nouveau intéressés à KamAZ. L’un des ateliers de l’usine a commencé à produire des machines agricoles et des engins de chantier « Case New Holland » (qui fait partie de Fiat). L’année dernière, KamAZ et le brésilien « Marco-Polo » ont décidé de créer une joint-venture pour fabriquer 3,000 autobus chaque année dans l’usine NefAZ à Neftekamsk.

Il y a peu, Daimler a porté sa participation dans KamAZ à 11%. On dit que les Allemands sont prêts à aller plus loin. Les négociations sont en cours. Depuis l’année dernière, l’usine russe et son partenaire ont passé un nouvel accord : jusqu’au moins 2019, des composants pourront être importées en Russie à des conditions avantageuses (le plus souvent avec des droits de douanes nuls). Les partenaires sont prêts à investir d’ici 2020 dans la production russe près d’un milliard d’euros.

A l’automne dernier, l’usine de Naberezhnie Tchelny a commencé à fabriquer des camions Fuso Canter et des Mercedes-Benz Actros. Cette année de nouveaux modèles devraient être lancés : Axor, Atego, Zetros. Pour l’instant l’usine est capable de produire jusqu’à 4,500 camions allemands par an, mais ce n’est qu’un début !

Depuis l’an dernier des pourparlers sont également en cours avec MAZ. KamAZ veut racheter 100% des actions du constructeur de Minsk, qui de son côté pourra prendre une participation dans KamAZ. Le but de cette association est de mettre la main mise sur la plus grande partie du marché des camions lourds de la CEI, en mettant en commun leurs composants afin de réduire les coûts de production.

L’an dernier le bénéfice net de KamAZ s’est élevé à près d’un milliard de roubles : les recettes provenant des ventes ont augmenté de 37% (45,2000 camions vendus). Mais ce complexe pharaonique, conçu pour produire 150,00 camions par an, n’est pas adapté aux réalités actuelles. Pour produire 50,000 camions il n’y a pas besoin de dizaines d’ateliers immenses dispersés sur un vaste territoire. Les 47,000 ouvriers actuels sont aussi un luxe. Même si les dirigeants de « Rostekhnologiï » et ceux de KamAZ disent le contraire, si l’usine veut vraiment avoir sa place dans l’économie mondiale, il faudra dans les années à venir prendre des mesures très impopulaires. Il faudra déjà se débarrasser de ce qui
n’a pas de rapport avec la production principale (en 2005, on a ainsi vendu ZMA, l’usine qui produisait l’Oka et qui va désormais fabriquer des Ford) et ensuite penser à la manière d’utiliser le surplus de main d’œuvre.

Si on peut continuer à être fier de cette immense usine, construite par le pays tout entier et dont on ne tarissait pas d’éloges sur les camions (mais il n’y en avait pas d’autres), il faut aussi se faire à l’idée qu’on vit aujourd’hui dans des conditions totalement différentes. Et tôt ou tard, il faudra s'adapter...

Légende des photos :

  • La production de moteurs n’a pu être remise totalement en route que trois ans après l’incendie.
  • L’usine de Naberezhnie Tchelny est le principal fournisseur de l’Armée russe.
  • A Naberezhnie Tchelny on produit non seulement des moteurs KAMAZ mais aussi des Cummins.
  • Les KamAZ sont choisis principalement pour leur facilité d’entretien et leur faible prix.
  • Une des nombreuses tentatives des années 90 pour fabriquer des cabines importées. Cette cabine DAF n’a pas été plus loin que le stade du prototype.
  • En février 2012, le 2 millionième camion, un KamAZ-6522, quittait la chaîne.
  • L’atelier de montage des cabines.

KamAZ est le plus important complexe de production de poids-lourds, d’autobus, de tracteurs, de moissonneuses batteuses, de moteurs diesel, de groupes électrogènes, etc... de Russie et de CEI. Elle occupe la treizième place au niveau mondiale parmi les constructeurs de camions et la huitième place pour les moteurs diesel. Ses actionnaires se répartissent comme suit : 49,9% pour Rostekhnologiï , 27,3% pour Troïka-Dialog, 11% pour Daimler AG, 4% pour la BERD. Le reste étant dans les mains de 76,000 petits actionnaires.

Lu sur : http://www.zr.ru/a/436509
Adaptation VG

Tag(s) : #Histoire, #KaMAZ, #Camion