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La Syrena Sport était belle, moderne mais ne correspondait pas aux réalités contemporaines. Elle était surtout le fruit de quelques passionnés qui avaient décidé de réaliser leurs rêves. Parmi les nombreux prototypes polonais de l’après-guerre, elle est sans doute la plus belle occasion manquée de mettre la Pologne au premier plan dans le domaine des voitures de sport. Andrzej Glajzer, ingénieur et historien de l'automobile, raconte.
Au début des années 70, je travaillais au bureau d’études de FSO et j’ai eu l’occasion de voir cette voiture, la toucher, m’assoir à son volant et retenir son odeur. Malgré la poussière qui la recouvrait, cette voiture était bien différente de celles qui étaient stockées dans le « garage n°2 » du 3A de la rue Malowiejski à Falenica. Souvent je m'arrêtais pour l’admirer jusqu’au jour où il a été décidé de faire de la place dans ce « musée » en supprimant les pièces inutiles. C’était au printemps 1978 ou 1979. De nombreux prototypes ont ainsi été mis en pièces. Outre la Syrena Sport, deux Warszawa Ghia, la Syrena Mikrobus, une Syrena Pick-up et un châssis à suspension hydropneumatique ont été détruits. Seule une partie des véhicules stockés dans ce garage ont pu être sauvés. Les autres sont entrés dans la mémoire collective. Nombreux sont ceux qui s’en souviennent, comme moi qui les ait vu juste avant leur destruction. Je sais que seuls les enjoliveurs de roues de la Syrena Sport, vus également ensuite sur la Warszawa Ghia ont été rachetés par l’un des employés du bureau d’études.
La Syrena Sport était un prototype roulant unique et il est faux d’affirmer que plusieurs exemplaires ont été fabriqués. Il n’y a eu aucun autre modèle, aucune copie ou réplique. Il n’y avait que cette voiture détruite à la fin des années 70.
Comme chacun sait, dans la seconde moitié des années 50 (durant le Dégel d’après 1956), FSO a mené de nombreux travaux en vue de moderniser sa production en termes de design et de technologie. La plus grande préoccupation était bien entendu la Warszawa, le produit phare de la marque, mais la Syrena n’était pas en reste.
Dès la fin de l’année 1957, Dawid Jung après en avoir parlé à Wladyslaw Skoczynski avait présenté un projet de moteur 4 temps à la direction de FSO. Une idée, qui en cette période de changements politiques où l’on souhaitait moderniser tout ce qui pouvait l’être, n’avait pas été rejetée. Les ingénieurs avaient donc reçu l’accord pour développer un nouveau moteur qui pourrait être ensuite être utilisé dans les voitures produites par FSM, FSO et peut-être d’autres constructeurs. Ils travaillèrent à partir de 1957 sur un moteur à plat, à refroidissement par air, installé en porte à faux avant (une solution qui avait été utilisée avec succès par le constructeur français Panhard) en utilisant des pièces mécaniques déjà existantes. C’est une légende qui court encore jusqu’à aujourd’hui mais on dit que le moteur S16 était constitué de deux moteurs de motos Junak. Ce n’était pas le cas.
Mais revenons à la Syrena Sport. Jusqu’à aujourd’hui, certains comparent l’abandon de ce projet comme une erreur, une pure perte. Même l’hebdomadaire « Motor » avait publié à l’époque un article en ce sens. Pourtant en 1960 lors de la présentation de la voiture durant le défilé du Premier Mai, la Fédération de l’Industrie Automobile avaient exigé de ses créateurs de planifier une date de mise en production. Il faut dire que comme aujourd’hui la Syrena Sport rendait euphoriques tous les passionnés d’automobiles. Elle a été présentée dans les chroniques cinématographiques polonaises et, par on ne sait quel hasard, sa photo a même été publiée dans la prestigieuse publication française « L’Année Automobile 1960-61 ». Je ne parle même pas de la sensation qu’elle suscitait dans les rues de Varsovie. Car on pouvait y voir cette voiture. Elle y roulait même tous les jours ! De temps en temps, les employés du bureau d’études l’empruntaient pour rentrer chez eux le soir comme l'indique Cezary Nawrot dans une interview accordée à la revue « Automobilista » en 2000. Ce prototype n’était pas camouflé et ne craignait pas les regards indiscrets.
La carrosserie était en plastique. Une technologie nouvelle que les ingénieurs du bureau d’étude durent apprendre à maîtriser. C'est une idée que certains d’entre eux avaient réussi à imposer. Une pure fantaisie d’ingénieurs imposée à une entreprise d’Etat (socialiste) de la fin des années 50.
Comme se souvient Cezary Nawrot « Il s'agissait d'une idée folle que de réaliser une carrosserie dans le même matériau que celle de la Chevrolet Corvette ! J’ai toujours aimé les Mercedes, en particulier la sportive 190. J’aimais aussi les Ferrari. Des milliers de fois, je suis resté en admiration devant leurs photos couleur publiées dans les publications occidentales. Mais je n’en avais jamais approché une de près. Je n’avais jamais eu cette possibilité. Je les voyais dans les journaux et elles me faisaient rêver. Quand on m’a demandé de travailler sur ce projet, j’ai donc tout naturellement dessiné la voiture de mes rêves. Un avant de Ferrari et un arrière de Mercedes 190 avec les voies étroites et les grandes roues de la Syrena ! J’ignore si elle avait plu mais quelques jours plus tard avec Wladek Kolasa, nous avons commencé la réalisation d'une maquette en plâtre à l’échelle 1:1. Auparavant un cadre en bois reprenant les cotes du châssis de la Syrena avait été fabriqué. Nous n’avions pas fait comme d’habitude de maquette à l’échelle 1:5 et il n’y avait que mes croquis à main levée. J'en faisais une partie, Wladek une autre. Et on changeait de place. On s’asseyait sur des tabourets métalliques et on regardait la maquette : « Peut-être encore un peu en haut. Et si on faisait une pause ? »
Cela a duré des semaines, des mois. Cétait un projet « semi-officiel » et nous y travaillions en dehors de nos heures de travail. Commencé en 1957 le prototype ne fut prêt qu’au début de l’année 1960.
Cela ne servait à rien de se presser sur ce projet passionnant. Et nous ne nous pressions pas. On y travaillait quand on n’avait rien d’autre d’urgent à faire. Ce n'est que lorsque la maquette a été terminée que le rythme de travail s’est accéléré. Quand il a fallu faire le moulage de la carrosserie et l’adapter à un vrai châssis. Je ne me rappelle d’ailleurs pas si un seul plan a été tracé. Peut-être que Staszek Lukaszewicz en a dessiné un puisque son travail consistait à faire coïncider les deux. Nous nous sommes mis d’accord sur les changements à apporter dans le dessin initial. Cette manière de travailler est sans doute la plus étrange jamais adoptée pour concevoir une voiture.
Déjà à cette époque, nous savions que cette Syrena Sport ne serait jamais produite en série. Le seul objectif que nous avions était d’acquérir de l’expérience et d'accroître nos connaissances sur les carrosseries en plastique. C’est la première fois que l’on travaillait cette matière en Pologne. Nous étions jeunes et nous pouvions nous livrer à quelques fantaisies ».
Exactement comme pour les coques de bateaux,les nattes de fibre de verre étaient renforcées par de la résine epoxy. Ryszard Benek a été d’une aide précieuse pour maîtriser cette technique. Une des particularité résidait dans le renforcement des parties qui allaient recevoir les attaches de suspension avant et du moteur. Une plaque métallique était donc noyée entre deux couches de fibre de verre selon la méthode dite du « sandwich ».
Le moteur placé longitudinalement était relié à la boîte de vitesse en trois points. La suspension arrière était très différente de celle de la Syrena de série. Elle était constituée d’une barre de torsion transversale constituée de quatre lames de ressort enfermées dans un tube métallique attaché au plancher. Un dispositif qui imposait la présence d’amortisseurs pratiquement horizontaux.
Lorsque la voiture a enfin pu se tenir sur ses propres roues, les derniers détails ont été résolus en récupérant des pièces ça et là dans l’usine. Les phares étaient les mêmes que ceux utilisés pour les Warszawa et Syrena, les essuies-glaces provenaient de la Syrena. Les moulures latérales étaient celles produites par FSO pour d’autres modèles et elles avaient été modifiées. Le volant de couleur gris foncé, les comodos et les interrupteurs provenaient également des modèles de la marque.
Le tableau de bord était entièrement nouveau. L’instrumentation étaient installée au dessus du volant sous une petite casquette dans le même plastique que la carrosserie. A gauche on trouvait un compteur avec totaliseur kilométrique de Syrena et à droite une pendule de Warszawa. Entre ces deux compteurs, on trouvait trois témoins lumineux (charge de la batterie, pression d’huile et réserve de carburant). Le démarreur se trouvait sur le côté gauche sous la planche de bord. Comme sur les dernières Syrena , le levier de frein à main était installé au milieu également sous le tableau de bord. En revanche la commande de changement de vitesses était totalement spécifique et il s’avère que la Syrena Sport est la première FSO équipée d’un levier de vitesses au plancher.
La Syrena Sport n’avait pas de pare-choc à l’avant et celui à l’arrière avait été dessiné spécialement pour elle. En métal chromé il avait une forme très travaillée. Les feux arrière étaient également spécifique et fabriqués à la main.
Une fois terminé, le prototype fut peint en rouge, une teinte de circonstances pour une voiture de sport et le toit recouvert d'un noir brillant. Tous ceux qui s’intéressent à cette voiture savent ce qui lui est ensuite arrivée. Il y a cette anecdote célèbre de Cezary Nawrot qui raconte les derniers préparatifs avant sa première présentation officielle lors des fêtes du 1er mai et son baptême au champagne de marque Perlisty dans le « hall des prototypes» qui l'a obligé à renettoyer entièrement l'avant de voiture.
Lors des premiers tests de la Syrena Sport sur la piste de l'usine, on s’est vite rendu compte que, même si elle était très jolie, sa vitesse maxi de 60km/h était loin d’en faire une voiture de sport ! Mais il y avait bien un problème et celui-ci a pu être résolu facilement en tordant la pédale d’accélérateur qui buttait sur le plancher ! La voiture atteignait maintenant les 110km/h. Une vitesse peu élevée pour la réalité d’aujourd’hui, mais à l’époque...
Les ingénieurs et les pilotes essayeurs qui ont pu la conduire ont indiqué qu’elle avait été bien conçue. Il ne notèrent aucun défaut rédhibitoire (même si comme tout prototype elle a connu quelques problèmes et pannes). La Syrena Sport a beaucoup roulé. Elle avait déjà parcouru 29,000km quand FSO a reçu un « premier avertissement » de la part du pouvoir. La voiture était devenue trop voyante d’autant que ni FSO ni l’administration n’avaient de plan pour son avenir. Il semble même que le Premier Secrétaire du PC, Wladyslaw Gomulka, ait demandé à ce que la voiture soit cachée du mieux possible.
On peut donc se demande pourquoi le nécessaire n'a pas été fait pour que le Syrena Sport soit produite ? En 1959, FSO avait fabriqué 18,350 voitures, dont seulement 3010 Syrena. Inutile de préciser qu’elles avaient toutes été vendues. A l’époque il était admis de dire que pour un constructeur généraliste, la production de voitures de sport ne devait pas excéder 3% de sa production totale. On aurait donc pu produire 500 Syrena Sport par an... Mais il fallait prendre aussi en considération le coût des matières premières importées et de la main d’oeuvre nécessaire pour réaliser à la main la carrosserie en plastique.
Mais il ne faut pas rêver. A défaut d’être une voiture de sport, cette Syrena Sport était une voiture ressemblant à une voiture de sport. On objectera peut-être que la Syrena Sport, qui était sans doute la plus belle voiture de sport de toute l’Europe de l’Est (si on la compare avec la Skoda Felicia ou la Wartburg coupé) aurait pu rouler encore plus vite et qu’elle n’était de toute manière ni une Aston, ni une Bentley, ni une Porsche, et pas même une Berkeley qui avec un moteur de 322cm3 pouvait atteindre les 110km/h.
Malgré tout le marché intérieur était dans l’attente de quelque chose de complètement différent. Il avait besoin d'une voiture bon marché, simple et fonctionnelle, accessible à tous. C’est la raison pour laquelle on s'est remis au travail et poursuivi très sérieusement le développement et la modernisation de la Syrena.
Plus qu’une tentative avortée de faire entrer la Pologne dans le monde des voitures de sport, la Syrena Sport peut et doit être considérée comme une chance unique donnée aux ingénieurs de mettre en pratique de nouvelles technologies (la carrosserie plastique) et vérifier leur capacité à mettre en oeuvre des idées personnelles. Plus tard, avec l’acquisition de licences de production (Polski-Fiat 125p et 126p) cette liberté de création est devenue totalement impossible.
La seule chose regrettable c’est que la Syrena Sport ait été détruite, ne donnant aucune chance aux générations futures de l'admirer et de s’en inspirer.
Lu sur : http://moto.onet.pl/1597600,1,artykul.html
Adaptation VG