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Quatre portes, cinq places, V8 à refroidissement par air disposé à l’arrière. Est-ce la voiture que Porsche aurait du construire à la place de la 928 ? Auraient-ils construit quelque chose d’identique plutôt que la Panamera ?
La très attendue Porsche Panamera est parmi nous. Une voiture au dessin si peu réussi ! Une voiture techniquement admirable mais qui ressemble à la progéniture bâtarde de deux équipes en compétition, l’une cherchant à la faire ressembler à une 911, l’autre voulant lui attribuer des traits de Cayenne. Chaque année ou presque depuis 1948, année où Porsche a fabriqué ses premières voitures, on nous parlait de la sortie imminente d’une berline quatre portes, quatre places.
De manière générale, cette nouvelle « limousine » était basée sur un modèle courant rallongé. Au fil des ans, on a donc pu voir le prototype d’une 356 rallongée, d’une 911 rallongée et quelques Porsche 4 portes à la carrosserie personnelle. A la fin des années 80, Porsche a investi des sommes considérables dans la 989, encore très actuelle, un successeur spirituel de la 928 à moteur avant de 1978, mais avec un look de 911. Elle a été malheureusement abandonnée au début de la période de récession des années 90. A l’époque, même le plus visionnaire des pontes de l’automobile n'aurait pas pu prédire que lorsque Porsche finirait finalement à lancer sa quatre portes, il s’agirait d’une monstrueux SUV. Et il n’aurait même pas osé espérer un quelconque succès !
La 928 avait été la première tentative sérieuse de faire une Porsche à quatre places. Elle avait révélé un conflit au cœur de l’entreprise quant à sa stratégie future. Destinée à remplacée une 911 mourante, la 928 n’était pas suffisamment grande à l’intérieur pour être une véritable quatre places confortable et elle était trop grande à l’extérieur pour être une vraie voiture de sport. En plus, elle n’avait encore que deux portes. Qui plus est, pour les puristes (une sous-espèce dont je me réclame membre) le moteur se trouvait du mauvais côté. C’est la raison pour laquelle pour certains d’entre nous, la Porsche Panamera souffre également de cette mauvaise disposition du moteur qui la fait ressembler à un Cayenne étiré dans tous les sens et même un Kustom « chopped, channeled and slammed » au sens américain du terme.
Techniquement, la Panamera a tout ce que le Porsche R&D peut lui donner, mais malheureusement il lui manque cette qualité distinctive qui a si souvent permis à une Porsche d’être au firmament et qui a permis à la 911 de rester en production depuis si longtemps. De plus la direction de Porsche a du trembler à l’idée de lancer une berline de luxe dans un monde qui a soudainement effectué un arrêt d’urgence en matière d’économie.
Bien que le professeur Ferdinand Porsche n’a pas inventé la voiture à moteur arrière, sa Volkswagen Coccinelle, et les voitures de sport qui en ont été dérivés ont fait date dans l’histoire de l’automobile. Le monde a abandonné depuis longtemps la technologie du moteur arrière, mais à force de ténacité et de dévouement de générations d’ingénieurs, Porsche n’a pas arrêté de peaufiner la 911 qui est devenue l’une des voitures les plus désirables et sans doute la plus grande voiture de sport de tous les temps. A des vitesses en virage auxquelles la plupart de ses propriétaires n’oseront jamais les emmener, la 911 affiche un dynamisme sans pareil. Il n’y a donc aucune raison de croire que Porsche ne pouvait pas appliquer les mêmes méthodes à une berline 4 portes tout en conservant l’attrait unique d’une Porsche « classique », cette tradition du moteur à l’arrière qui remonte aux années 30. Une voie suivie parallèlement par le tchèque Tatra, et qui a parfois croisé celle de Porsche.
La marque Tatra remonte au tout début de l’histoire de l’industrie automobile et elle peut se targuer d’être le troisième constructeur le plus ancien. La Nesselsdorf Wagon Works construisait depuis 1850 en Moravie des wagons et du matériel ferroviaire de haute qualité et elle n’a pas tardé à s’emparer de la voiture sans chevaux pour diversifier son activité. Mandaté par un amateur local, le baron Theodor von Liebieg, les ingénieurs de Nesseldorf ont acheté un moteur Benz et on fabriqué leur première voiture en 1897. Lorsque la Tchécoslovaquie a été occupée durant la Seconde Guerre Mondiale, des officiers allemands ont été impressionnés par la T87 aérodynamique et ont permis à Tatra de poursuivre sa production durant la guerre. En conséquence, il est le seul constructeur à pouvoir s’enorgueillir de 100 années de production ininterrompue.
Avant que le Communisme d’après-guerre n’étouffe le progrès, Tatra était l’un des constructeurs les plus innovants de l’industrie européenne. Son ingénieur en chef, Hans Ledwinka, a été désigné par la prestigieuse revue allemande « Auto Motor und Sport » comme le plus grand ingénieur automobile européen de son époque, étant même classé devant Ferdinand Porsche, son contemporain et ami. L’un est devenu un nom familier et la destin a décrété que la guerre et l’isolement politique allait condamner l’autre à disparaître dans l’obscurité.
Hans Ledwinka avait rejoint la Nesselsdorf Wagon Works en 1897 où il allait rapidement démontrer son talent précoce d’ingénieur. Il quitta cette société brièvement, revint en 1905, puis la quitta de nouveau pour travailler pour Steyr tout en restant « consultant » pour Nesselsdorf. Finalement il revient pour de bon au sein de cette société rebaptisée Tatra en 1921. L’un des premiers dessins de Ledwinka a été la T11, une petite voiture extraordinairement avancée qui disposait d’un moteur deux cylindres opposés horizontalement refroidi par air, monté sur châssis poutre à 4 roues indépendantes. Le succès de cette voiture et de son dérivé à moteur 4 cylindres, la T12, aurait incité Adolf Hitler à ordonner la construction de la Volkswagen et mené à un procès pour violation de brevets après la guerre. Dans les années 30, Ledwinka a été l’auteur d’une remarquable série de voitures à carrosserie aérodynamique qui avaient plusieurs années d’avance sur le reste de la production mondiale. Les T77 et T87 avaient un moteur V8 à l’arrière, et la T97 au dessin identique mais plus petite disposait d’un moteur 4 cylindres à plat à arbre à came en tête de 2 litres.
Toutes se remarquaient par leurs carrosseries à faible trainée aérodynamique et leur nageoire dorsale, qui s’opposaient à cette simple mode des carrosseries « streamlines » des années 30. Après la guerre, Tatra a continué dans cette voie avec la T603 légèrement plus classique, introduite au milieu des années cinquante.
A la fin des années 60, la T603 commençait à faire son âge et les designers de Tatra se sont mis au travail pour lui trouver une remplaçante. En 1968, pour la première fois dans l’histoire de la société, un styliste extérieur a été mandaté pour faire une proposition pour la carrosserie de la nouvelle voiture. Vignale, l’une des « Carozzeria » les plus prestigieuses et les plus prolifiques a dessiné une voiture élégante et simple, totalement dans l’esprit de l’époque, et digne de sa future fonction de limousine officielle. Un nouveau moteur a été également mis à l’étude, toujours un V8 refroidi par air bien sûr, mais ayant une cylindrée de 3,5 litres beaucoup plus élevée que celui l’ancienne T603. Le moteur se vantait de ses quatre arbres à cames et intégrait le différentiel arrière à côté du carter, l'un des arbres de transmission le traversant.
La boîte de vitesse était positionnée en avant de l’axe des roues, ce qui permettait de déplacer le poids du moteur et de la transmission plus au centre de la voiture, tendant ainsi à une répartition des masses de 50/50 plus favorable. La tenue de route était encore améliorée en remplaçant les essieux oscillants traditionnels. La nouvelle voiture n’était peut être pas aussi innovante que les modèles précédents, mais dans son dessin on remarquait lalunette arrière légèrement en retrait des montants de custodes. La T613 cachait l’emplacement de son moteur avec tant de succès dans cette ligne tricorps, que de nombreux non-Tchèques ne se rendaient pas compte au premier coup d’œil que le moteur était à l’arrière.
La période de gestation a été longue, comparativement aux normes en vigueur à l’Ouest, et la production n’a pas commencé avant 1973. Mais, comme c’était courant dans les pays communistes, l’absence de concurrence commerciale a fait que la T613 est restée en production pendant plus de vingt-cinq ans avec des changements cosmétiques et mécaniques relativement mineurs. Cinq versions de la T613 ont été produites entre 1973 et 1995, date à laquelle une profonde modification, la T700, a fait son apparition. Restylée avec un style plus arrondi, la T700 faisait écho aux anciennes Tatra, mais dans le monde cruellement commercial dans lequel la République Tchèque a été jetée dans les années 80, elle est arrivée trop tard pour sauver la production de voitures particulières chez Tatra.
La dernière voiture a été produite en 1999. Quel dommage que Ferdinand Piech n’a pas acheté cette société quand il a mené sa fameuse campagne de rachat de marques européennes !
Derrick Moores est un passionné de Tatra depuis de longues années. Il a possédé trois T87 et une T603 avant de décider de se « moderniser » avec une T613. Ne souhaitant pas faire les choses à moitié, et voulant l’utiliser quotidiennement, il a cherché une des dernières T613 et a mandaté un expert de la marque, ancien ingénieur chez Tatra, Mirek Staron pour lui trouver une bonne voiture en République Tchèque. Ce dernier a même fait mieux que cela. La voiture de Derrick a été fabriquée en 1995, c’est une Mk4 3,5 litres à injection converti à 4,3 litres par l’usine.
Cette augmentation de cylindrée par le biais de bielles et pistons Porsche permet de faire passer la puissance de 200ch à environ 250ch. De nouveaux freins, une nouvelle crémaillère de direction, des amortisseurs entièrement réglables SPAX et de nouveaux rapports de boîtes, permettent à cette T613 de tirer parti de cette puissance supplémentaire. Derrick aimant plutôt le noir a repeint entièrement la voiture et lui a offert un nouvel intérieur cuir.
Il n’y a rien de mieux que de sentir la puissante poussée d’un moteur monté à l’arrière. Quand Derrick enfonce le champignon, l’arrière s’écrase sur sa suspension, l’avant se soulève aussi vite, et le paysage s’estompe rapidement par les grandes vitres. Cela dit, et pour être franc, la Tatra n’est pas conçue comme une voiture de sport. La seule chose qui trahit la nature du moteur refroidi par air est son bruit.
A vitesse normale il n’est pas particulièrement important, mais dès que l’on appuie un peu sur la pédale, le moteur commence à rugir de manière significative. Ce n’est pas déplaisant et c’est certainement plus fort que ce qui est désormais la norme. Les pilotes d’avions légers, propriétaires de 911 refroidies par air, vont l’adorer. Sur les routes sinueuses de l’Oxfordshire, rien ne saura trahir l’emplacement du moteur. J’ai demandé à Derrick s’il s'était déjà fait des frayeurs, en particulier sur route mouillée, mais il ne s’en souvient d’aucune. Ayant possédé un grand nombre de grosses berlines - Jaguar, BMW, Mercedes, Benley et actuellement une FIAT Coupé Pininfarina V6 – Derrick estime que la Tatra tient bien la comparaison face à ses contemporains et comme la 911, elle peut faire preuve de dérobades des roues arrières sur le mouillé. Quand un prolétaire tchécoslovaque devait s’inscrire sur une liste d’attente de 15 ans pour obtenir une Trabant est-allemande fumante et en papier mâché, ou s’il avait de la chance une Skoda faite-maison, les gros bonnets du Parti trahissaient leurs goûts pour le luxe des capitalistes avec leurs Tatra.
Selon les normes conventionnelles, la T613 est une voiture rare. Les Tatra d’après-guerre n’étaient pas construites pour être vendues au grand public mais réservée à l’élite, les ministres, les patrons d’usine ou les hauts-fonctionnaires. La production de la T613 a culminé à 1,000 et 1,500 exemplaires les deux premières années, mais a rapidement plongé à une centaine d’exemplaires par an. Après la chute du régime communiste en 1989, elle a même plafonné à des nombres à deux chiffres.
Dans les années 70, Porsche avait de bonnes raisons de croire que la future législation qui entrerait en vigueur aux Etats-Unis, son plus gros marché, allait entraîner la fin de la 911. La marque allemande avait donc fait de gros efforts pour produire une voiture plus conventionnelle, la 928. Cette société relativement petite proposait donc trois modèles différents sans beaucoup de pièces communes : la 924, la 928 et la 911. Ironie du sort, la voiture que la direction visait à remplacer est celle qui a survécu, et avec des moteurs refroidis par eau et des systèmes modernes de gestion électronique, il semble que la 911 pourrait vivre éternellement. Imaginez ce qu’un niveau identique de développement et d’investissement aurait pu faire de la Tatra !
Porsche construit déjà la meilleure voiture de sport de toute la planète et pour quelqu’un d’aussi humble que moi il paraissait très facile de faire la meilleure berline sportive du monde avec un moteur à l'arrière. Je suppose que les penseurs de tous poils vont encore voir en cela la future disparition de la 911, justifiant ainsi cette nouvelle plateforme. Le temps et l’économie nous dira qui a raison...
Lu sur :http://www.classicandperformancecar.com/features/octane_features/237115/tatra_61\ 3.html
Adaptation VG