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La Yugo fut-elle la pire voiture jamais construite ?

Un nouveau livre explique pourquoi la minuscule voiture yougoslave était si critiquée. Il y a une blague répandue dans le monde entier et qui se rapporte aux voitures socialistes. Voilà ce qu’elle raconte : « Comment doubler la valeur de la voiture ‘x’ ? Remplissez le réservoir ! ». Cette histoire fonctionne avec n’importe quelle voiture du monde collectiviste : Lada, Skoda, Trabant, Yugo... Seule la Dacia roumaine semble y échapper, mais peut-être plus par son obscurité culturelle que par ses qualités inhérentes. Au Royaume-Uni, cette Dacia Denem n’était-elle pas réputée être par sa publicité « très acceptable » ?

Ben Lewis, auteur de l’étude Hammer and Tickle souligne que « les blagues étaient une composante essentielle de l’expérience communiste car le monopole de l’Etat signifiait qu’un quelconque acte de non-conformité, ne serait-ce qu’un simple jeu de mot, pouvait être perçu comme une forme de dissidence. Pourtant, en même temps, une blague sur la vie quotidienne devenait une blague sur le communisme ». La voiture avait ceci de particulier que dans le monde communiste elle pouvait être à la fois le symbole suspect de l’individualisme petit bourgeois et un parfait exemple pour se comparer aux prouesses industrielles de l’Ouest.

Etant donné que les blagues sur les voitures socialistes ont mieux survécu que les voitures elles-mêmes, on se souvient difficilement du succès bref et rapide – peut-être plus par nécessité que par amour – qu’ont connu ses voitures à l’ouest dans des pays comme la Grande Bretagne ou les Etats-Unis. Dans les années 80, par exemple, les concessionnaires britanniques de la marque soviétique Lada étaient parmi les plus rentables. L’historien Jason Viuc raconte dans son dernier livre, totalement inattendu et captivant, intitulé « The Yugo : The Rise and Fall of the Worst Car in History » (La Yugo : essor et chute de la pire voiture de l’histoire) comment la Yugo à $3,995, vaguement basée sur une Fiat et produite par un fabricant d’armes Zastava, a été une vedette dans les excès des années 80, a pu attirer sinon le cœur, mais le portefeuille des Américains et a introduit un certain charme excentrique et un zeste d’esprit d’entreprise dans un marché US fortement cloisonné. « J’ai été dans le secteur automobile toute ma vie », s’enthousiasme un vendeur, « et c’est la voiture la plus populaire que j’aie jamais vue. Les gens l’achetaient seulement sur photo dans le catalogue » (et comme pour la plupart des choses achetées sur catalogue, c’était un peu trop beau pour être vrai).

Mais comment une voiture socialiste avait-elle pu surfer sur la vague de l’Amérique de Ronald Reagan ? La politique y avait été sans doute pour beaucoup, mais Jason Vuic montre de manière convaincante que le prix de vente avait joué encore plus en ce succès. En 1980, par crainte d’un nouveau choc pétrolier les Américains ont acheté un nombre record de voitures étrangères, en majorité des « boîtes à économies » (econo-boxes) comme la Honda Civic. Au possible contingentement des importations américaines, le Japon a répondu en 1981 par une contrainte volontaire à l’exportation : le pays exporterait moins de voitures aux USA pour permettre aux constructeurs américains de fabriquer des voitures plus économes en carburant ! Les Japonais désireux de tirer plus de bénéfices des voitures qu’ils pouvaient exporter ont commencé à se concentrer sur la fabrication de voitures plus chères (et donc plus rentables) qui allaient bientôt dominer le marché américain : les Honda Accord et Nissan Maxima. Les marges bénéficiaires sur les petites voitures avaient disparu et ce segment de marché était à l’abandon. En 1984, note Jason Viuc, le prix moyen d’une voiture compacte était de $9,113 (environ $19,000).

C’est dans ce marché agité que s’est joué un curieux concours de circonstances, dont quatre ayant un aspect déterminant comme l’indique Jason Vuic.

Primo, il y avait Malcolm Bricklin, entrepreneur en série qui semblait avoir un don pour mettre les sociétés en faillite ou aux bords de la faillite, mais qui arrivait toujours à sortir la tête de l’eau pour se lancer dans une autre affaire. Après avoir essayé de faire de la Subaru 360 une succès en Amérique (la revue Consumer Reports lui avait donné le baiser de la mort en la qualifiant de « pas acceptable »), il s’intéressa à plusieurs marques italiennes par le biais de sa société International Automotive Importers. Selon Jason Vuic, une Yugo 45 garée dans une rue de Londres avait sauté aux yeux de Bricklin, alors qu’il sortait d’une réunion avec le constructeur anglais Austin-Leyland.

Secundo, l’Occidental Petroleum, une compagnie pétrolière américaine venait de signer un contrat de compensation avec la Yougoslavie pour échanger des cargaisons de pétrole contre... ce que la Yougoslavie pourrait produire et qui pourrait se vendre aux USA.

Tercio, la Yougoslavie elle-même s’était engagée dans une stratégie d’exportation pour réduire son déficit du commerce extérieur. L’automobile était l’élément clé de son firmament industriel.

Enfin, il y avait Lawrence Eagleburger, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Yougoslavie et membre de Kissinger Associates, dont l’une des missions était d’aplanir toute résistance politique à l’importation de voitures, ce qui n’était pas difficile dans la mesure où les Etats-Unis menaient une politique pro-Yougoslavie depuis 1948, quand le pays avait quitté l’orbite communiste.

Après avoir surmonté un certain nombre d’obstacles à sa conception, production et distribution, comme l’explique de manière fascinante Jason Vuic, la Yugo est finalement arrivée en Amérique, où elle est passée d’une véritable « Yugomania » où elle était partout dans les médias à l’objet de blague pour les fins de soirées (exemple : La Yugo était vendue avec un dispositif antivol très astucieux : ils avaient écrit son nom plus gros). Mais elle s’est vendue ! Comme l’indique Jason Vuic, la Yugo a été la voiture européenne la plus vendue dans sa première année d’importation aux USA. Pour certains, elle était la parfaite troisième voiture, pour les autres c’était une rare chance d’acquérir une voiture neuve. La campagne publicitaire martelait un message impertinent mais pragmatique sur l’épargne (« The Road Back to Sanity » (que l’on pourrait traduire par « le retour à l’équilibre »). Mais quand le parfum de la nouveauté a commencé à s’estomper, la réputation de la Yugo a commencé à la rattraper. Consumer Reports ne l’a pas raté, en gardant la remarque meurtrière pour la fin : « Si vous ne pouvez pas dépenser plus de $4,400 dans une voiture, alors achetez plutôt une bonne voiture d’occasion qu’une Yugo neuve ».

Etait-ce pour autant la pire voiture de l’histoire ? Non. Le titre du livre de Jason Vuic est destiné à attirant le chaland. Premièrement parce que si elle a pu être autorisée à être vendue aux USA, c'est que la Yugo était loin d’être la pire voiture du monde. « Tout classement est relatif, mais si une voiture passe les normes de sécurité et anti-pollution américaine, cela doit être une voiture relativement décente » observe Jason Vuic. Aussi mauvaise que la Yugo ait pu être, c’était pire pour les modèles vendus en Yougoslavie. Et lors des difficiles tests de la NHTSA (National Highway Traffic Safety Administration), la Yugo n’a pas été la pire. Cet honneur revient à Isuzu. La Yugo n’avait même pas le privilège de décrocher le pompon pour le taux de décès pour 1,000 véhicules. Ce sont des Chevrolet (Corvette, Sprint 2 et 4 portes) qui occupaient les trois premières places de ce classement peu recherché.

Même si la Yugo n’était pas la pire voiture de l’histoire, il semble qu’elle était prédestinée à recevoir ce titre. Il y a eu beaucoup de mauvaises voitures en Amérique. Le Hummer par exemple s’en tire seulement un peu mieux dans Consumer Reports que la Yugo bien moins chère. Pourtant la Yugo est la pire des pires. Pourquoi ? Jason Vuic a quelques bonnes théories pour expliquer cela. Tout d’abord la taille. Les Américains ont longtemps eu un parti pris contre les petites voitures même s’il serait simpliste de le résumer à « grande voiture égal bonne voiture » ou « petite voiture égal mauvaise » (toute chose égale par ailleurs, on est plus en sécurité dans une grande voiture qu’une petite, même s’il ne faut pas généraliser : la conception et le conducteur comptent également dans l’équation). Ensuite, il y a le prix. Jason Vuic souligne que les Américains voulaient clairement faire des économies : la chaîne de distribution Wal-Mart, créée en 1962 est devenue un nom familier dans les années 80 où elle s’est considérablement développée, mais « c’est différent pour les voitures. La voiture souligne le statut social et si votre voiture était une Yugo, cela voulait dire que votre statut n’était pas élevé ». Enfin, peut-être est-ce simplement parce que la Yugo était yougoslave. « Peut-être c’était le fait d’être communiste » tente d’expliquer un revendeur.

Les choses auraient été différentes si la qualité s’était améliorée et si d’autres modèles avaient été lancés. Yugo aurait pu avoir un futur aux USA. L’infâme Subaru de Bricklin est devenue un des leaders du monde de l’automobile, le seul constructeur a faire des bénéfices l’an passé. Le bref succès de la Yugo a permis de faire rêver de nombreux petits constructeurs pour lesquels le marché américain pouvait constituer un eldorado pour leur voitures bon marché comme l’indonésien Lincah Gama, le grec Desta ou l’indien Mahindra.

Le livre de Jason Vuic est passionnant à lire et très instructif pour comprendre le temps présent. Nous vivons de nouveau une époque de transition dans le monde automobile. Une compagnie chinoise a acheté Volvo et les Chinois ont acheté l’an passé plus de voitures que les Américains. Les Etats-Unis attendent pour 2011 l’arrivée sur leur marché de la Tata Nano indienne, adaptée comme la Yugo aux normes en vigueur dans le pays. Est-ce que le consommateur américain sera prêt à accepter quelque chose de petit et bon marché cette fois-ci en l’absence – pour le moment – d’un prix du pétrole élevé ? Ce n’est pas sûr. Mais Malcolm Bricklin esquisserait sûrement un sourire en prenant connaissance du prix de vente estimé : moins de la moitié de celui de la Yugo au milieu des années 80 ! La voilà celle dont le prix double en faisant le plein !

Lu sur : http://www.slate.com/id/2241530
Adaptation VG

Le livre de Jason Vuic est en vente sur tous les sites marchands. Le voici par exemple sur Amazon.com où en cliquant « Click to LOOK INSIDE ! » vous pourrez en découvrir le sommaire et quelques pages : http://www.amazon.com/Yugo-Rise-Fall-Worst-History/dp/0809098911

Tag(s) : #Yugo, #USA, #Bricklin, #Marché, #Presse