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Un kopeck qui vaut des millions.

Il y a presque 40 ans, en 1968, Za Roulem a organisé un concours pour trouver le nom d’une voiture. Sergueï Kanounnikov nous explique comment celle-ci est devenue la deuxième voiture la plus produite au monde.

Le nom de VAZ-2101 « Novorojets » (nouveau né) ne vous plait pas ? Que pensez-vous de « Katioucha » ou « VIL-100 (en l’honneur du centenaire de la naissance de Vladimir Ilithc Lenine) ? Toujours pas ? Et « Argamak » ou « Directivets » ?

En 80 ans de son histoire, la revue Za Roulem a rarement eu l’occasion de recevoir autant de courrier en aussi peu de temps. Près de 50,000 lecteurs ont répondu à l’appel lancé pour trouver le nom du premier modèle produit par les Usines Automobiles de la Volga (VAZ). Une véritable révolution automobile débutait en URSS : il n’y avait dans le pays aucune usine aussi gigantesque. Personne ne pensait pourtant que le prototype de la voiture soviétique, c'est-à-dire la Fiat 124 et ses descendantes directs (dont la Lada fait partie) battraient le record de production établi par la légendaire Ford T et s’approcheraient très près de celui établi par la Volkswagen Coccinelle.

L’initiative de construire une usine gigantesque vient des hautes sphères, l’idée ayant été avancée par le Président du Conseil des ministres de l’URSS, A.N. Kossiguine et soutenue par le Sécrétaire Général du Comité Central du Parti Communiste de l’URSS, L.I. Brejnev. Celui-ci, on le sait, aimait l’automobile mais ce n’est pas ce qui l’a incité à lancer ce projet ambitieux. Les citoyens de l’URSS avaient de en plus de moyens pour s'offrir une automobile, mais le marché restait pauvre en ce qui concerne le nombre de modèles disponibles ou par leurs qualités. Une voiture produite en masse pourrait être le moyen pour les Soviétiques de dépenser leurs économies. A ce moment là, toutes les usines automobiles du pays ne produisaient autant de voitures que ce que l’on ambitionnait de faire chez VAZ. De plus il fallait améliorer la balance extérieure de l’URSS car elle dépensait beaucoup dans son industrie de défense et importait énormément de produits de grande consommation.

Sans publicité superflue, le Minsitère de l’Automobile de l’URSS, dirigé par A. M. Tarasov a commencé à chercher un partenaire étranger. Même... le KGB lui est venu en aide. Comme l’a confirmé beaucoup plus tard Leonid Kolossov, correspondant du journal « Izvestia » en Italie et collaborateur des services spéciaux. C’est lui qui a introduit chez Fiat, Marietta Chaguinian, écrivain déjà très âgée au début des années 60, et comblée des bonnes intentions du pouvoir soviétique. La dame, connue pour son caractère difficile, a trouvé au plus grand étonnement de ses proches, un terrain d’entente avec le directeur général de la FIAT, Vittorio Valletta.

Au moment où débutait en Italie une grève générale, on a vu Valetta se présenter devant les ouvriers avec justement l’exemplaire des « Izvestia » où était publié un essai de Chaguinian. Elle y évoquait les avantages sociaux accordés par le géant turinois à ses employés. Mais il était aussi évoqué comment durant la guerre Luigi Longo avait sauvé la vie de Valetta, accusé de collaboration avec le régime fasciste. Et Luigi Longo était depuis 1964 le Secrétaire Général du PC italien. Il est difficile de savoir si les ouvriers de Fiat furent touchés par l’essai de Chaguinian, mais ils ne soutinrent pas la grève. Quant à l’apport de l’envoyé spécial du KGB, il réside en ce que certains Italiens haut-placés ont influencé Valletta pour réduire le pourcentage du crédit accordé à l’URSS. Par rapport à l’estimation initiale, l’Union Soviétique a économisé 40 millions de dollars, une somme colossale à l’époque.

La Fiat 124 nommée « Voiture de l’Année 1966 », n’était pas une révolution du point de vue technique. Beaucoup de spécialistes estiment encore aujourd’hui qu’il aurait fallu trouver un modèle beaucoup plus ambitieux. Mais c’est un peu facile de dire cela 40 ans après. La Jigouli a changé la vie du pays, a rendu la voiture accessible à des millions de personnes, et a été une impulsion pour le développement d’autres industries de biens de consommation. Certaines normes d’homologations ont même du évoluer avec les VAZ. Il faut aussi rappeler que les lecteurs de Za Roulem a l’aube du 21ème siècle ont élu, la Kopeïka « voiture russe du siècle », et elle le méritait !

La Fiat était un compromis réussi entre un petit moteur tout à fait convenable de 60 chevaux, une bonne habitabilité (au prix il est vrai d’une position de conduite pas très habituelle avec un volant très haut et les jambes pliées) et simplicité de construction. Les Soviétiques ont acheté la licence de trois modèles, qui devinrent les VAZ-2101, 2102 et 2103. Après des essais très rigoureux, de nombreux changements furent apportés à la Fiat, en collaboration avec les Italiens. Le moteur a reçu un arbre à came en tête, le diamètre des pistons et leur course a été revue (la cylindrée n’a pratiquement pas changé par rapport à l’Italienne). La suspension a été renforcée, de même que l’embrayage et la boîte de vitesses. Les freins arrière à disques ont été remplacés par des tambours, moins chers et moins sensibles à la boue. C’est ainsi qu’est née la VAZ-2101, qui reçu rapidement le nom de « Jigouli ».

Il n’y a pas qu’en URSS que la Fiat 124 a survécu longtemps. Pour commencer, on trouve ses descendantes directes ou cousines germaines dans sa propre patrie, l’Italie. En 1967, la production de la Fiat 125, très proche de la 124, a débuté. Elle avait un moteur double arbre de 90 chevaux et une suspension arrière à ressorts. Simultanément est apparu la Fiat 124 Spécial avec un moteur 70 chevaux à arbre à came latéral. Cette voiture est similaire à la VAZ-2103, même si au départ dans l’esprit des Italiens, ce modèle devait ressembler à la Fiat 125. Le moteur double arbre a été monté dans la Fiat 124 Sport Spider et dans le Coupé à carrosserie Pininfarina. Il est difficile de considérer ces derniers comme des descendants directs de la 124. Elle a été produite en Italie jusqu’en 1974, année où elle a été remplacée par la Fiat 131 Mirafiori, très proche dans son concept. Les différences les plus importantes, en dehors du design, portaient sur les freins arrière à tambours et la suspension avant de type Mac-Pherson. On peut dire que la VAZ-2105 apparue en 1980 est très proche de la 131. En Italie, ce modèle (en carrosserie berline 2 et 4 portes, et break cinq portes) a été fabriqué jusqu’en 1983 avec des moteurs essence de 65 et 75 chevaux, et à partir de 1981 avec des diesels 60 et 72 chevaux.

A partir de la seconde moitié des années 60, la Fiat 124 et ses dérivés ont commencé à envahir le monde. Par exemple l’espagnol Seat, qui appartenait encore à l’époque à Fiat, en a produit sous le nom 1430, la 124 et la 124 Special. La licence de fabrication de la 125 a été achetée par la Pologne. La 125p a été produite jusqu’aux années 80 et jusqu’en 1991 on a fabriqué la Polonez, qui c’est vrai n’héritait de la 125 que de quelques pièces.

En Turquie on trouve la Tofas Murat 124, puis les Serce, Sahin et Dogan et le break Kartal. Ces voitures déjà basées sur la Fiat 131 ont été produites jusqu’au milieu des années 90. En moindre proportion, les Fiat ont été fabriquées également en Argentine, en Corée du Sud (sous la marque Kia), en Inde (Premier 118) et même en Bulgarie, en collaboration avec la société Balkancar plus connue pour ses chariots électriques et engins de manutention. De nos jours, les seules descendantes de la Fiat 124, sont les VAZ-2104/2107 russes.

Alors, combien s’en est-il déjà vendu dans le monde ? Il est difficile de trouver des données exactes pour la Corée, l’Argentine et la Turquie où finalement peu de voitures ont été produites. Mais rien qu’en URSS et en Russie, ce sont près de 15 millions de Jigoulis qui ont été construites (dont 2,7 millions de Kopeïka et plus de 4 millions de 2106). En Italie 1,5 millions de Fiat 124, 0,6 million de 125 et plus de 1,5 millions de 131 sont tombées de chaîne. En Pologne ce sont près de 1,5 millions de 125p (les Polonez ne sont pas incluses dans le calcul). Près de 900 mille Seat 124 et 1430 sont à ajouter en Espagne.

Au final on peut dire que le record de la Ford T, un peu plus de 15 millions d’exemplaires est battu ! Et on est très proche du record établi par la VW Coccinelle, 21,5 millions d’exemplaires fabriqués dans le monde entier, de l’Allemagne au Mexique, puisque avec les Fiat, les Jigoulis et les autres constructeurs on arrive à 21 millions. Imaginez que la Jigouli est l’une des voitures les plus produites de toute l’histoire. Car faut-il prendre en compte certaines Toyota et VW ? Les Corolla et Golf sont à chaque génération des voitures toutes nouvelles qui ne conservent que le nom.

Celui de Jigouli, qui n’est pas très harmonieux (en particulier pour les Européens), est pourtant bien mieux que « Novorojets » ou « Avangard ». Mais ceux qui ont choisi le nom de Lada ne se sont pas trompés. C’est sous cette appellation que notre recordman est connu dans le monde entier (on a parfois exporté plus de 100 mille Jigoulis et Niva par an), et elle est devenue populaire également dans le pays d’origine. Mais les Lada Classiques portent encore aujourd’hui sur leur carrosserie une plaque avec un nom qu’elles ont reçu il y a près de 40 ans ce qui constitue un autre record, commencé avec une banale Fiat 124.

La Fiat 124 et ses descendantes se sont vendues à près de 21 millions d’exemplaires et ont battu le record de la Ford T. Elles ont même une chance de dépasser celui établi par la Volkswagen Coccinelle puisque l’histoire de la Jigouli n’est pas encore terminée !

Légende des photos :

  • Extérieurement la VAZ-2101 ne se distinguait que très peu de la Fiat-124. Par contre, sous la carrosserie, les changement étaient plus nombreux.
  • Les Italiens ont élaboré le design de la « Fiat 124 Spécial » en même temps que celui de la VAZ-2103, d’où une certaine ressemblance.
  • Une des propositions de modernisation de la Kopeïka (dessin, V. Antipine). C’est comme cela qu’aurait pu se présenter la VAZ-2105.
  • La Fiat 131 Mirafiori était produit dans une toute nouvelle usine portant le même nom. Cela ne vous rappelle, rien ?
  • Plus de la moitié des Fiat 125P polonaises ont été vendues à l’étranger.
  • La variante espagnole de la Kopeïka, la SEAT-124.
  • A Cuba on trouve beaucoup de taxis Kopeïka, transformés par des « ingénieurs » locaux.
  • En 2000, les lecteurs de Za Roulem ont élu quasiment à l’unanimité la VAZ-2101 Kopeïka, « Voiture du siècle ».

Lu sur : http://www.zr.ru/content/articles/15161-kopejka_i_milliony/
Adaptation VG

Tag(s) : #Histoire, #VAZ, #2101, #Kopeïka, #Logo