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Volga GAZ-24-95 : pour le Comité régional du Parti.

En 1973 Kiselev, directeur de l’Usine Automobile de Gorki, ne s’était pas trop étonné quand il reçut dans son bureau un appel du Comité régional du Parti. Les relations même informelles entre le parti et son usine étaient très étroites. Mais cette fois c’est une demande inhabituelle qu’il avait reçu du Secrétaire du Comité régional : réaliser une version de la GAZ-24, qui par ses capacités d’évolution ne rougirait pas à côté d’un ... UAZ. Ce n’était pas la première fois qu’on demandait à l’usine de satisfaire les caprices des fonctionnaires du Parti.

Il faut rappeler que c’est Nikita Khrouchtchev qui avait permis à notre pays de devenir le premier à s'essayer dans le domaine des voitures tout-terrain confortables. C’est lui en effet qui, dès 1955, avait demandé à GAZ de fabriquer en série la GAZ-M-72 sur base de Pobieda. A l’époque, aucun constructeur, ni Willys-Jeep, ni Land-Rover, ne proposait à son catalogue un modèle comparable.

Tout avait donc commencé avec la Pobieda. Cette GAZ-M-72 avait été élaborée par le Département des voitures tout-terrain, qui avait vu le jour à l’initiative du célèbre ingénieur Vitali Gratchev. C’est sous sa direction directe que furent conçues les GAZ-64, GAZ-67B, BA-64 et d’autres modèles. En 1944 Gratchev fut muté à l’Usine Automobile de Dniepropetrvosk, Grigori Vasserman pris sa suite. Il dirigea en particulier toute l’étude de la GAZ-69 et de la GAZ-M-72. Par la suite ce service fût rebaptisé à plusieurs reprises. Dans les années 70 il portait le nom de « Département des Transmissions » et était dirigé par Boris Dekhtiar (qui fut un des jeunes ingénieurs de Vasserman en 1947). C’est lui qui 20 ans auparavant avait travaillé sur la M-72 et on lui faisait confiance pour exécuter les commandes inhabituelles du Comité régional du Parti.

Pourtant, qui aurait pu penser que ce projet à première vue évident provoquerait autant de divergences de vue parmi les ingénieurs ? La transmission, et plus précisément les arbres de transmission et la boîte de transfert, furent le sujet d’âpres discussions. Tout résidait dans le fait que les arbres de transmission ne peuvent travailler parfaitement qu’avec des angles relativement fermés (pas plus de 15 à 20 degrés). Au delà les cardans commencent à fonctionner difficilement. De plus l’expérience montrait qu’au-delà de certains angles les cardans pouvaient entrer en résonance avec d’autres parties de la transmission. C’est justement pour cette raison que les ingénieurs de UAZ n’ont jamais pu venir à bout des vibrations et des hurlements qui apparaissent à 70 - 75km/h.

Mais cela n’était pas du au différences techniques existant entre la boîte de transfert de UAZ et de GAZ, ni même dans le profil des pignons (quand chez GAZ on a essayé de les réaliser selon la documentation technique du UAZ, on obtenait les mêmes problèmes). Tout était une affaire de finesse, que les plans ne reflétaient pas, mais aussi de l’expérience accumulée par les ingénieurs de GAZ depuis des années.

La transmission du UAZ-469 avec des arbres de transmission sortant de la boite de transfert avec des angles importants étaient considérée par Vasserman comme la base du problème, bien que cela permettait de positionner la boîte au même niveau que les longerons, augmentant ainsi les capacités en tout-terrain. Boris Dekhtiar avait la même opinion et contre l’avis de ses ingénieurs était bien décidé de ne pas utiliser la boîte de transfert du UAZ. Il proposait d’offrir à la Volga tout-terrain des éléments issus du GAZ-69. En plus il y avait encore beaucoup de stock de pièces à l’usine ce qui pouvait être intéressant même si on parlait plus pour cette Volga d’une production à l’unité qu’une production en grande série. Mais il fallait bien se résoudre à trouver une solution : la GAZ-24-95 se devait d’être un tout-terrain confortable, et il était évidemment exclu qu’elle souffre des mêmes vibrations que les autres modèles du marché. Un essai fut mené : sur un châssis on a monté une boîte de GAZ-69, les angles des arbres de transmission ont été reproduits et on a ainsi prouvé que tout ceci fonctionnait mieux que sur le UAZ.

Cependant, Leopold Kalmanson (à qui l’étude de la voiture avait été confiée) estimait qu’on ne pouvait pas utiliser sur ce modèle des pièces provenant de véhicules n’étant plus fabriqués depuis longtemps. Son argument était défendable : et si soudain on décidait de produire en grande série la GAZ-24-95 ? Comment assurer l’approvisionnement sur la chaîne des boîtes de transfert de GAZ-69 ? Et puis comment allait-on réagir en apprenant d’où provenaient ces pièces ? Les plaisanteries ne manqueraient sûrement pas (on pouvait survivre à cela), mais on ne manquerait pas de dire, qu’elle soit bonne ou mauvaise, que la pièce essentielle de cette voiture est une antiquité. Boris Dekhtiar était persuadé que l’épopée de la GAZ-24-95 se limiterait à 10 ou 15 prototypes et n’irait pas plus loin.

Boris Dekhtiar et Leopold Kalmanson n’arrivèrent pas à trouver un accord. C’est à un troisième homme très expérimenté, Fedor Lependine que l’on demanda de trouver une solution. Il était venu à bout de problèmes analogues sur la GAZ-69 et la GAZ-M-72. Et c’est la même démarche qu’il adopta pour apporter des changements à la structure de la GAZ-24 de série. Pour utiliser des arbres de transmission de longueur identique, la boîte de transfert devait être dissociée de la boîte de vitesse (elle était posée sur une traverse du châssis). Une niche fût découpée dans le plancher de la voiture avec un trou pour laisser passer le levier de commande (le plancher à cet endroit avait été renforcé). La boîte de transfert a était reliée à la boîte de vitesse par un arbre intermédiaire qui adoptait déjà un certain angle d’inclinaison. Cela permettait ainsi de diminuer l’angle des cardans et atténuait partiellement les défauts de conception de la boîte de transfert du UAZ.

Les ingénieurs prirent le plus grand soin à installer la transmission aux roues avant. Tout d’abord ils installèrent un carter de pont arrière (!) de Volga sur lequel étaient adapté des bras raccourcis d’un pont avant de UAZ, ensuite les carters de différentiels reçurent à la place des pignons ordinaires, ceux à friction augmentée d’un mécanisme à cames ! Et tout cela n’avait été difficile : ce type de différentiels étaient étudiés par les ingénieurs de l’usine depuis qu’ils les avaient découverts sur des tout-terrains ... trophées de guerre de l’armée allemande. Ils les avaient ensuite installés sur les camions GAZ-62 et GAZ-66, et aussi sur des voitures soit disant "de série", les GAZ-40 et GAZ-41 (BRDM-1 et BRDM-2). Des éléments de plus petite dimension étaient également réalisés par l’usine pour ses pilotes d’usine. C’est donc de Volga de course qu’ils furent prélevés pour être utilisés sur la GAZ-24-95.

D’autres problèmes devaient être résolus avec la carrosserie porteuse de la voiture. La partie avant fut renforcée en glissant un second longeron dans celui existant. Juste sous le pare-choc une traverse fut installée pour recevoir les attaches des ressorts à lames. Il fallut aussi revoir la fixation des amortisseurs, installer de nouvelles butées pour la suspension et même changer le carter d’huile (pour permettre le déplacement vertical du pont avant). Par conséquent, la pompe a huile située dans ce même carter fut modifiée.

Les barres de direction furent également retravaillées. Elles passaient maintenant devant le pont et la barre de direction fut renforcée. La barre anti-roulis à l’avant fut supprimée (on estimait qu’avec l’apparition de ressort à lames les mouvements transversaux de caisses seraient réduits). En revanche une barre stabilisatrice fit son apparition à l’arrière. Il s'agit d'un élément qui malgré son utilité pour la tenue de route n’a toujours pas fait son apparition sur les Volga normale. La ligne d’échappement était installée différemment sous la caisse. Tout cela fut réalisé sans véritable cahier des charges mais plutôt en tâtonnant : par exemple, en l’absence de pneus spécifiques, on a essayé pour cette Volga à 4 roues motrices des pneus « hiver » 8,5-15 installés sur des jantes de GAZ-21 (la GAZ-24 normale disposant de pneus 7,35-14).

Selon nos sources, seulement cinq exemplaires de GAZ-24-95 ont été construits. Et malgré les divergences dans sa conception, au volant de chacune d’entre elles il fallait composer avec un bruit assourdissant et de fortes vibrations. Il est même arrivé qu’en roulant trop vite sur les rapports courts, les pignons tombent littéralement en miettes ! Le bruit était permanent et au niveau de l’habitacle on se situait à 81 – 82 dB. C’était déjà trop tard pour revenir en arrière ...

Chose curieuse, la GAZ-24-95 recevait une notice d’utilisation spécifique : une feuille encartée dans la notice habituelle avec des emprunts à celle de la UAZ-469B. Cette GAZ-24-95 était présentée comme une berline 5 places à transmission intégrale. Comparée à une GAZ-24 normale, elle gagnait 110mm en hauteur. Son poids augmentait de 90kg pour atteindre 1490kg. Le moteur n’avait pas été modifié : il développait toujours 98ch pour une cylindrée de 2445 cm3. La vitesse maxi déclarée était de 115km/h, mais Kalmanson affirme que les essayeurs réussirent à l’emmener à 140km/h ...

Les cinq voitures ont connu une destinée différente. La première a été livrée au garage du Comité régional du Parti, une autre a été utilisée par le responsable du département des essais de GAZ. Une autre a été livrée aux militaires. Un exemplaire de GAZ-24-95 a été remis au domaine de chasse « Zavidovo » (Leonid Illitch Brejnev n’a sans doute pas oublié de la tester). Une demande émanant de ce domaine arriva chez GAZ : on voulait connaître la consommation « normalisée » de la voiture. Personne ne la connaissait. On n’avait pas fait d’essais poussés de la voiture. Une réponse fut renvoyée : 14l/100km.

Et en ce qui concerne l’exemplaire que les journalistes de l’ORD ont réussi à conduire ? Il a été racheté par un particulier au garage de l’ancien Comité régional du Parti de la ville de Gorki. Avec le temps, certaines pièces de carrosserie, le panneau de coffre et les portes ont été remplacés par son propriétaire par des éléments plus modernes. Ainsi les poignées de portes intégrées montrent qu'elles proviennent de la GAZ-24-10. L’habitacle aussi a été modernisé avec le tableau de bord et le volant de cette dernière. Mais cela ne retire en rien la valeur de cet exemplaire. A l’usine ont affirme avec malice que la moitié des cinq exemplaires produits ont survécu. Heureusement l’histoire des GAZ tout-terrain ne s’est pas arrêtée avec la GAZ-24-95, même si on attend encore sa remplaçante. Cela aurait pu être la GAZ-3106M fabriquée en 1986 sur base de GAZ-3102.

Mini-test de la Volga GAZ-24-95 :

Cette voiture était discrètement exposée dans un coin de l’exposition « Autoexotica » et pratiquement personne n’y a fait attention. « C’est une Volga, une ordinaire Volga 24-10 ». Il n’y avait que les fixations des lames de ressort sous ... le pare-choc avant, qui pouvaient éveiller chez le visiteur attentif un soupçon : « Elle n’est pas si ordinaire ». Et plus on regardait, et plus on en découvrait : « Il y un pont à l’avant ! ». Malgré tout on ne pouvait pas penser à quelque chose de sérieux : il pouvait s’agir d’une création pas si originale, une énième Volga 4x4, croisement de GAZ et de UAZ à la frontière du tuning. Pourtant devant les visiteurs se tenait l’un des cinq exemplaires de GAZ-24-95 produit par l’Usine Automobile de Gorki durant l’hiver 1973-74.

Nous avons eu la chance de disposer de cette GAZ-24-95 pour quelques heures. Mais l’essayer comme une voiture normale en prenant des mesures détaillées n’avait pas de sens : fabriquée en décembre 1973 pour le garage du Comité régional du Parti de la ville de Gorki elle est depuis longtemps devenue une pièce de collection. Ses particularités techniques et son histoire sont beaucoup plus intéressantes que de simples chiffres. Commençons d’abord par sa destinée inhabituelle.

Après la disparition de l’organisation (le Comité régional du PC de Gorki), qui aurait pu être fatal à cette Volga, la voiture est restée sur place. Elle a tout d’abord été rachetée par un médecin réputé de la ville et c’est en 1994 qu’elle est tombée entre les mains de son propriétaire actuel. Les trois autres exemplaires de cette Volga avaient été remis au Ministère de la Défense et une autre est encore conservée par GAZ. Les trois exemplaires militaires ont disparu : ils sont probablement tombés au « champ d’honneur » sur les vastes espaces de l’URSS.

Pour notre essai nous avons commencé à remettre un peu en état cette curiosité. Des roues équipées de pneus 7,00-15 (à la différence des GAZ-24 habituelles, ce modèle recevait des roues de GAZ-21). Il s’agit donc de pneus étroits à structure diagonale I-89 qui non seulement permettent d’augmenter considérablement la garde au sol mais donnent à cette Volga toute cette originalité. Bien entendu avec ce « retour aux sources », dynamisme et tenue de route ne se sont pas améliorés mais la voiture est plus facile à conduire !

D’ailleurs il est difficile d’apprécier de manière objective les qualités d’une voiture de 30 ans. L’usure des pièces d’origine, les nombreux remplacements et les améliorations ont modifié la mise. En plus nous aurions été dérangés par les caprices du moteur ayant quelques centaines de milliers de kilomètres et les amortisseurs totalement morts. Au volant, j’ai ressenti à peu près ce que je pensais trouver : il s’agit d’une Volga âgée.

Au bord de cette voiture je n’ai rien ressenti d’inattendu ou de contre-nature. Tout est comme dans une Volga habituelle : le confort des sièges, la vision périphérique et le roulis. En marche, cependant, vous pourrez entendre distinctement le bruit de la boîte de transfert. Et puis je n’ai pas réussi à tourner dans une ruelle étroite du premier coup : ce n’est pas étonnant puisque que selon les mesures effectuées plus tard, le diamètre de braquage est égal à 14,6m. Il n’est que de 11m sur une GAZ-24 habituelle.

Pour mesurer les qualités de tout-terrain de cette Volga unique nous sommes partis sur un terrain sablonneux situé près d’un petit lac. Il faut dire que nous n’étions pas les premiers au bord de l’eau en cette journée chaude d’été ... Imaginez l’étonnement des conducteurs quand ils ont vu cette Volga effectuer des cercles dans le sable mou, puis commencer à grimper avec allégresse les dunes et descendre dans les trous.

En accrochant son porte à faux arrière important, la Volga passait tranquillement dans les différentes difficultés, là où même un UAZ devrait s’y reprendre à plusieurs fois. Le secret est simple : il s’avère que la Volga a des débattement de suspension plus importants et qui m’ont même semblé de ceux de 4x4 préparés ! A vrai dire si j’ai osé me plonger dans des trous profonds ensablés c'est grâce au soutien moral que constituait un UAZ garé près de là. Mais, chose singulière, la Volga a passé cet obstacle en long, en large, en travers. Ensuite j’ai commencé à manœuvrer à l’intérieur même de ce trou pour trouver la position où je pourrai soulever une roue.

Seul point négatif : dans le sable avec ses pneus étroits le choix des vitesses s’oriente très rapidement vers ... la première courte. Sinon le moteur n’est pas assez puissant. En tout-terrain il chauffe très rapidement, mais il n’est pas exclu que cette surchauffe soit du à l’âge de la voiture.

Légende des photos :

  • Voilà à quoi ressemblait la voiture de notre article au début de l’année 1974.
  • Sous le capot de la GAZ-24-95, le moteur et les périphériques ne se distinguent pratiquement pas de la GAZ-24 classique.
  • Le propriétaire à modifier l’habitacle avec des élements de GAZ-3102. L’intérieur ne se distingue que par ses leviers de la boîte de transfert.
  • La suspension avant de la GAZ-24-95 avec ses éléments de UAZ.
  • Lors d’essais au printemps 1974, la Volga a montré ses capacités de franchissement impressionnantes : une forêt abattue ne constitue pas un obstacle.
  • Sous la jupe, entre les longerons avant on a dissimulé une puissante traverse qui reçoit les supports de fixation des lames de ressort.
  • La boîte de transfert est fixé sur un renfort de plancher spécial et relié à la boîte de vitesse par un arbre intermédiaire.
  • Les ressorts sont fixés sur supports renforcés.
  • La suspension arrière est inchangée, si ce n’est la présence d’une barre stabilisatrice.
  • Le frein à main est d’origine avec un câble vers les roues arrière.
  • Le carter a été modifié, et la pompe à huile déplacée vers l’arrière.
  • Sur l’autoroute cette Volga a l’air étrange, mais il faut avouer qu’elle nemanque pas d’harmonie.
  • Avant de connecter le pont avant, il faut l’enclencher manuellement. Ensuite la Volga devient une tout autre voiture ...
  • Vous pensez que notre péniche est plantée ? Pas du tout ! Même dans cette situation la voiture s’accroche au sol et avance lentement en première courte.
  • Le débattement de la suspension est tout bonnement fantastique.

Lu sur :
lien obsolète
http://www.off-road-drive.ru/index.php?link=160435
Adaptation VG

Tag(s) : #Histoire, #GAZ, #GAZ-24, #GAZ-24-95, #GAZ-M-72, #Essai