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Chita : singerie du design soviétique !

Il y a cinquante ans, quand les passants ont croisé cette voiture dans les faubourgs de Moscou, ils ont du penser à la dernière héroïne d’un roman de science fiction.

La voiture était non seulement différente des Moskvitch, des Pobeda et des ZIM, mais aussi des voitures de marque étrangère assez fréquentes après-guerre dans les rues de la capitale. Elle n’avait pas de capot avant, avait trois rangées de sièges dans l’habitacle comme une ZIM, et le moteur se faisait entendre à l’arrière ! La surprise de ceux qui ont pu voir ce véritable miracle ne peut être comparée qu’à la fierté de ses créateurs. L’un des principaux idéologues de cette voiture, Iouri Aapronovitch Dolmatovski l’a conduite pendant près de 15 ans.

L’idée d'une voiture particulière à carrosserie monovolume a agité les esprits des ingénieurs dès les années 20. Ce type de carrosserie permettait d'utiliser l’espace intérieur de manière rationnelle et présentait aussi des avantages du point de vue aérodynamique. C’est ce qu’avait prouvé l’ingénieur Allemand Edmund Rumpler en collaboration avec une université allemande. Au milieu des années 30, une voiture monovolume à moteur arrière fut construite sur la base d’une « Mercedes-Benz 170N ». Le célèbre ingénieur et pilote André Dubonnet créa une voiture inhabituelle, dont la forme rappelait un poisson : sans capot mais avec une « nageoire » dans la partie arrière du toit pour améliorer l’aérodynamisme et la stabilité en virage. Sous la « nageoire » se cachait un moteur Ford de série.

Ces voitures, complexes technologiquement et qui étonnaient le grand public, restèrent des prototypes (on parlerait de nos jours de concept-cars). Elles impressionnèrent au plus au point les jeunes ingénieurs soviétiques qui virent leurs photos dans des revues étrangères. En 1936, A. Peltser (qui créa plus tard les voitures de record « Zvezda ») et B. Povov Dolmatovski imaginèrent une voiture à moteur arrière, dont le nom était composé de leurs initiales : PDP. Hélas, le projet ne dépassa pas le stade de la maquette en bois. Et Dolmatovski ne put plancher sur un projet similaire qu’après la guerre.

V. Ariamov et L. Terentev fabriquèrent le prototype d’une Pobeda modernisée. Ou bien ce prototype à été apprécié par quelqu’un en haut lieu (même s’il ne fut pas considéré comme bon à être fabriqué), ou les collaborateurs de NAMI ont persuadé les autorités, en le comparant au succès des voitures à moteurs arrière (au premier rang desquelles la VW Coccinelle et les Tatra), mais le vice-ministre V. Garbuzov lui-même, donna son accord pour continuer les travaux. Les délais étaient serrés : un an pour l’étude, un an pour la construction d’un prototype.

« Regarder vers le futur c’est rigolo » ont du penser les ingénieurs. De nombreuses solutions techniques étaient envisagées pour la première fois sur cette voiture qui reçu l’indice NAMI-013. La suspension était indépendante sur les quatre roues, elle était à barres de torsion à l’arrière. Les roues étaient de 13 pouces pour ne pas avoir de passages de roues empiétant trop dans l’habitacle. Un moteur totalement inédit fut conçu : une 4 cylindres à plat au taux de compression de 9,5 et l’injection dans le collecteur d’admission, et même une boîte automatique.

Le design fut choisi après l’organisation d’un concours interne. Chichkine, Ariamov et Dolmatovski proposèrent leurs maquettes. En décembre 1950, la voiture se présentait encore comme une carcasse tubulaire recouverte de panneaux en celluloïd protégeant plus ou moins le conducteur. On décida de tester la voiture sur les terrains de l’institut NAMI, mais cela faillit tourner à la catastrophe : le palan qui servit à la faire descendre du deuxième étage céda. Heureusement les dégâts furent minimes et l’essai pu avoir lieu.

Les travaux continuaient mais tout n’était pas simple. Par exemple avec les tambours de freins arrière : ceux en 13 pouces étaient fabriqués sur commande (des tambours si petits n’étaient pas produits en URSS) mais ils se fendaient. On n’avait pas le temps de faire des essais du moteur expérimental. Un moteur modernisé de GAZ-M20 Pobeda, dont la puissance avait été augmentée de 13ch (soit 63,5ch) fut livré, mais lorsque les premiers essais avec la carrosserie ont débuté, on s’est rendu compte qu’il chauffait. Après avoir été voir une Tatra tchécoslovaque, un puissant ventilateur fut installé.

L’extraordinaire carrosserie fut associée par les collaborateurs de l’institut au film Tarzan, qui était très populaire à l’époque. La NAMI-013 reçut rapidement le surnom de « Chita ». En 1951 de courts trajets furent effectués au volant de la voiture dans les faubourgs de Moscou. A l’été 1952 des voyages plus importants furent entrepris : Moskovskoye More, Gorki et Leningrad.

La demande du ministère avait donc été accomplie. Il fallait désormais montrer la voiture au conseil scientifique et technique de l’institut : c’est lui qui devait décider du sort du projet. Bien entendu, même les plus chauds partisans étaient conscients que la voiture ne franchirait pas le stade de la production en série, mais les ingénieurs et les stylistes espéraient que cette expérience intéressante soit capitalisée. Selon eux, la NAMI-013 pourrait tout de même (après quelques modifications) servir de base à la nouvelle voiture soviétique.

Lianine, le directeur technique de Nami, qui avait approuvé les travaux, recommandait de continuer. A la surprise des créateurs de la « Chita », Lipgart, le chef du bureau d’études de Nami, ancien responsable du bureau d’étude de GAZ, était catégoriquement contre cette poursuite. C’était probablement dû à sa disgrâce récente par son quasi renvoi de GAZ. Après la mort de Staline, Lipgart fut nommé à la tête de l’institut NAMI, mais il ne fut pas capable de saisir ce coup du sort et de tourner la tête vers l’avenir. Il est possible aussi qu’il ne lui vint pas à l’esprit que la « Chita » pouvait être comparée à la GAZ-12 ZIM, la dernière voiture des Usines automobiles de Gorki, à la création de laquelle il avait participé.

A quoi pouvait-elle être comparée ? La NAMI-013 n’avait d’équivalent ni en URSS, ni à l’étranger. Avec le même espace habitable que la ZIM, la « Chita » mesurait seulement 4900mm, soit 450mm et 500kg de moins que la GAZ-12. Les essais montrèrent que la NAMI-013 consommait en moyenne 13,5 litres au 100km, contre 16 à 17 litres pour la GAZ-12. Elle atteignait une vitesse maximale de 130km/h contre 125km/h pour la GAZ-12. Cela n'a pas suffit et la mécanique de la NAMI-013 a été récupérée et la carrosserie et sa carcasse ont été mises à la ferraille.

En URSS on ne cachait pas les prototypes. Au contraire, on en parlait très ouvertement dans la presse. D’ailleurs même la presse étrangère parlait énormément des prototypes soviétiques. En juillet 1955 le journal britannique « Motor » a caractérisé la « Chita » de « preuve d’une mentalité technique avancée ».

Un an plus tard, le monde découvrit la Fiat 600 Multipla qui était le premier « mini-van » de série basé sur une voiture compacte à moteur arrière. En 1957, la BMW-600 fut présentée. Bien sûr ces voitures n’empruntaient pas directement les solutions adpotées par la NAMI-013, mais c’était la preuve que la voie suivie par les ingénieurs soviétiques était prometteuse. D’ailleurs, au milieu des années 1950 en URSS, l’institut NAMI a également étudié le monovolume « Belka ». Mais celui-ci a connu le même sort que la NAMI-013.

A la fin des années 50 sont également apparus à l’étranger des prototypes beaucoup plus proche de la « Chita ». En 1959, le prototype Renault 900 avec le moteur à l’arrière. La même année l’un des dirigeant de l’atelier italien Ghia, Luigi Segre, a amené à Moscou une maquette de la « Selena », qui rappelait beaucoup la NAMI-013. Son design était bien plus moderne et plus à la mode. Mais il faut dire que la « Chita » avait déjà presque dix ans ! Segre a offert cette maquette aux ingénieurs et designers soviétiques en signe, comme on l’écrit à l’époque « de partage des idées ». L’italienne fut pendant un certain temps conservée dans le musée « Mosgortrans » (le musée des transports urbains de Moscou), et se trouve maintenant dans les réserves du Musée Polytechnique. Au milieu des années 60, Dolmatovski, qui ne tenait pas en place travailla de nouveau sur une voiture à moteur arrière : cette VNIITE taxi mérite un article à elle seule (*).

Heureusement il reste de la « Chita » des vielles photographies et surtout quelques maquettes en bois, qui avaient été réalisées pour le concours organisé pour le choix de son style. Elles sont solides ...

Lu sur http://www.zr.ru/arch47347.html
Adaptation VG

(*) cf : http://autos.groups.yahoo.com/group/Sovietauto/message/2483 (lien transitoire)

Tag(s) : #Histoire, #Prototype, #URSS, #NAMI