Imaginez que vous puissiez vous présenter chez un concessionnaire automobile et acheter une Volga GAZ-24 flambant neuve ou une VAZ-2103 avec une garantie d’usine. « Pas possible » direz-vous. Vous vous trompez. En fait, vous avez une chance de devenir propriétaire d’une voiture toute neuve, fraîchement sortie d’usine, mais qui est presque une antiquité. La voiture, qui était en avance d’au moins une décennie à sa sortie, a connu un tel succès qu’elle fêtera l’année prochaine son 45ème anniversaire.
Il y a des gens qui adorent les vieilles voitures. Une voiture « vintage » bien entretenue se distingue toujours dans la circulation, même s’il ne s’agit pas d’une Ford T-Bird de 1957 état-concours mais d’une simple Kopeïka soviétique ou d’une BMW 316 de première génération. Ces voitures n’ont souvent aucune réelle valeur, ce qui n’empêche nullement leurs propriétaires d’en prendre grand soin, d’en faire l’objet d’un culte personnel et d’en prendre le volant de temps à autre dans pour une sortie de club.
Si la voiture a entre quinze et trente ans, qu’elle est conservée d’origine et dans un état proche de l’idéal, elle est généralement qualifiée de « youngtimer ». Aussi étrange que cela puisse paraître, ce terme n’existe pas en anglais ; il a été inventé par les Allemands, qui ont réunis deux racines anglaises : par analogie et pour faire contrepoids au terme « oldtimer ». En règle générale, une yougtimer n’est plus fabriquée depuis longtemps, les pièces de rechange ne sont pas si faciles à trouver, et une conservation irréprochable ne garantit pas du tout une conduite tranquille. Mais l’heureux propriétaire d’une youngtimer aura plaisir à se rendre à une manif quelconque, obtenir quelques « likes » en chemin et faire la fête pendant un jour ou deux au cours du week-end.
Quel est le charme d’une youngtimer ? Demandez à son propriétaire : il vous dira certainement trois choses. Tout d’abord, une voiture au design cool (qui pouvait sembler banale à l’époque mais le temps transforme tout en classique). La deuxième chose est la simplicité de conception. C’est peut-être difficile à expliquer à une femme ou un hipster mais il y a un plaisir particulier à voir sa voiture par en-dessous et il est agréable de savoir qu’en cas de panne, de grincement ou de claquement, vous pouvez identifier instantanément le problème et, si vous le souhaitez, y remédier par vos propres moyens. Ce qui est encore plus agréable, c’est le sentiment de contrôler entièrement une mécanique dont vous connaissez parfaitement le principe de fonctionnement. Enfin, pour finir, les conducteurs les plus habiles trouveront aussi du plaisir à conduire une voiture sans aides électroniques. Comme disait une publicité de l’époque : « pour comprendre, il faut la conduire ».
Ainsi, la Lada Niva procure à son propriétaire ces trois choses et le prive aussi des défauts d’une vieille voiture. Il s’agit pour ainsi dire d’une youngtimer neuve : depuis 44 ans, ni son design, ni sa conception n’ont vraiment changé, bien que son confort ait sensiblement augmenté !
Si on parle de conception et d’architecture, toutes deux - comme toute chose créée non pas pour la frime, mais par pur pragmatisme - se sont révélées si proches de l’idéal que la Niva est devenue l’archétype de toute une catégorie de voitures (aujourd'hui appelées crossovers compacts). On peut dire que la Niva est l'expression la plus pure de ce que doit être un SUV urbain ; les Grecs anciens appelait cela un eidos - un certain équivalent informationnel supraterrestre d'une chose matérielle, prototype de toutes les incarnations physiques. Le concept de la Niva a constitué une percée dans l'industrie automobile mondiale. Une classique success-story à 'américaine : une jeune équipe de concepteurs, ambitieux, intrépides ; une startup à laquelle personne ne croyait, mais qui a ensuite conquis le monde - voilà à quoi ressemblait l'équipe qui a imaginé la Niva chez VAZ dans les années 70.
Un designer d’aujourd’hui ne trouvera pas la moindre faille dans l’apparence de la Niva, dictée par une pure rationalité : des passages de roues larges et réguliers, des porte-à-faux avant et arrière courts, des proportions équilibrées et enfin - un laconisme extrême que seul l’auteur de l’idée initiale peut se permettre, et dont ceux qui voudront la copier devront faire fi, tout comme les développements ultérieurs du pick-up Tesla Cybertruck alourdiront son apparence, car il n’y a tout simplement aucun moyen d’améliorer son dessin actuel.
S’il y a trente ans, lorsque les voitures étrangères ont envahi par milliers le marché russe, la Lada Niva était perçue comme un « engin de kolkhoziens », aujourd’hui l’attitude à son égard a changé : elle commence à être perçue comme le « Gellik russe », dont le style simple est justement marqué par la discrétion et l'élégance. Enfin c'est un euphémisme puisque c'est la Niva Bronto qui pourrait s’en rapprocher le mieux, le Mercedes Geländewagen étant associé à tout un folklore : laisser-passer, gyrophare, plaque d’immatriculation avec des numéros spéciaux, etc… Le conducteur d’un Gellik en 2022 ressemble à un zombie ridicule des années 1990. La Niva en revanche est gentille, douce et très accueillante : elle devrait être accompagnée de Balenciaga et d’un MacBook.
Pour quelqu’un qui la considère comme un accessoire de mode plutôt qu’une charrette pour transporter sa belle-mère et ses casseroles, l'important est que la Niva ne tombe pratiquement plus en panne et est garantie. Le fameux « ronronnement de la boîte de transfert » peut encore se faire entendre si vous tendez l’oreille, mais il ne fait qu’ajouter au plaisir du contact avec une mécanique, nue et authentique.
D'ailleurs, la première chose que j’ai faite lorsque j’ai essayé la Lada Niva, a été bien sûr de faire du tout-terrain car c’est exactement ce à quoi un consommateur ordinaire associe la voiture. Et franchement, je n'ai pas eu autant de plaisir qu'avec mon Pajero Sport. La valeur de cette voiture aujourd'hui n'est plus dans la boue - même si, certainement, la Niva y est encore capable de beaucoup !
De retour en ville, je n’ai pas pu résister à la tentation de parader dans la Sadovaïa Oulitsa - bien sûr, en respectant les limites de vitesse autorisées. Ce n’est une voiture pour foncer droit devant, mais elle va assez vite. Les changements de vitesse sont confortables, les freins sont tout à fait adéquats. Et elle a trois leviers de vitesse - bon d’un côté, pour vraiment comprendre, il faut lire les explications dans le manuel d’utilisation ; mais de l’autre, vous pourrez toujours dire à votre petite amie, que le deuxième levier est pour elle, et le troisième - pour les passagers !
Les conducteurs de certaines voitures savent ce que signifie « aucun respect dans la circulation » (c’est-à-dire lorsque tout le monde vous coupe la route parce que vous conduisez une vieille bagnole) mais quand vous êtes habillé normalement et que vous ne ressemblez pas un kolkhozien, il est clair pour tout le monde que vous roulez en Lada Niva juste pour le plaisir. Parce que c’est cool, pas parce que vous êtes pauvre… Parce que si vous étiez pauvre, vous achèteriez pour le même demi-million une vieille voiture étrangère, dangereuse et totalement démodée !
Lu sur : https://zen.yandex.ru/media/manu/klassicheskaia-niva-legend-v-roli-modnogo-aksessuara-61937d9ecbefc64868b407c9?&
Adaptation VG