Quand on regarde les vieilles photos et si on se souvient comment le pays fonctionnait, on s’étonne de voir combien d’efforts, d’énergie et de talents ont été déployés en URSS dans ces voitures extravagantes ! Par analogie avec « Vous pouvez le faire », cette célèbre émission télévisée consacrée aux créations des constructeurs de samodelkas, il faut se rendre à l’évidence : aujourd’hui nous ne pourrions plus faire tout cela ! Du moins, pas à une telle échelle.
Certes, ces artisans soviétiques, comme on l’écrivait parfois dans les livres consacrés au phénomène, travaillaient dans « certaines conditions historiques ». Mais ce sont bien eux qui en URSS ont conçu la première suspension hydropneumatique fonctionnelle, le variateur, les carrosseries avec des pièces en aluminium et les portières de type guillotines. Pour la première fois en URSS, on a développé sur ces samodelkas les vitres collées et la suspension arrière indépendante. Un festival d’innovations technologiques totalement impensable dans le contexte d’une industrie automobile soviétique monotone et simpliste. Et quand on sait que tout cela était réalisé dans des hangars, dans des caves et même parfois dans des appartements en ville !
Les origines du mouvement remontent à l’époque prérévolutionnaire. Déjà, au début du XXème siècle, des artisans tentaient de réaliser leur rêve automobile, un rêve totalement inaccessible au commun des mortels. Cette « industrie automobile » amateur existait aussi dans les terribles années 1930 mais elle a véritablement pris son envol dans les années 1950.
Pour ces artisans d’origines diverses - ingénieurs, artistes, plombiers, étudiants - construire une voiture était devenu un moyen d’épanouissement. Ils fabriquaient ce qui ne pouvait pas être acheté en Union Soviétique. Voilà pourquoi on retrouve des points communs dans les carrosseries des samodelkas. Certains construisaient des minivans pour voyager en famille, d’autres des véhicules tout-terrain de toutes sortes et de tous types, y compris des véhicules amphibies. Il y avait même des répliques au style rétro. Mais un très grand pourcentage de constructeurs amateurs se tournaient vers les voitures de sport, et plus précisément, sur les voitures de « grand tourisme ».
Des voitures de ce type avaient été construites dès les années 1930. L’une d’elle, un coupé sur châssis GAZ-A, est créditée au pilote de chasse soviétique, Ivan Ivanov. Ce dernier avait non seulement construit une carrosserie élégante et originale avec des détails bien conçus mais il avait notamment rallongé l’empattement de la GAZ-A de base. On ne sait pas avec certitude comment était fabriquée la carrosserie mais on soupçonne qu’elle était faite en contreplaqué !
Car en effet, le contreplaqué enduit d’huile de lin ou contrecollé avec de la colle de caséine était l’élément principal des samodelkas dans les années 1950. Et pour fabriquer le châssis ou le cadre spatial, on utilisait tout ce qu’on trouvait : profilés métalliques, poutres en U, tubes de canalisation d’eau. Ces derniers, à propos, étaient particulièrement résistants à la corrosion... et pour cause.
Les suspensions étaient réalisées en partant de ressorts de motocyclettes et parfois avec des ressorts à lames transversaux. Les moteurs étaient prélevés sur des motos. A partir du milieu des années 1950, on a utilisé fréquemment des pièces des quadricycles à moteurs de Serpoukhov et plus tard des premières Zaporojets. C’est pour cette raison que les première samodelkas avaient, pour la plupart, un moteur à l’arrière.
Comme le mouvement prenait de l’ampleur, les premières réglementations en la matière ont vu le jour en 1959. Elles prescrivaient notamment de construire des voitures ne dépassant pas 3,500 mm avec des moteurs ne dépassant pas 20 à 25 chevaux par tonne. Autrement dit, il était formellement impossible de viser plus haut que le moteur de la Zaporojets et ses 27 chevaux. Pour obtenir une immatriculation et par conséquent pouvoir rouler sur route ouverte, il fallait présenter la voiture aux commissions du DOAM (Société des bénévoles amateurs de voitures) qui d’ailleurs étaient généralement bienveillantes.
Bien sûr, le contreplaqué n’était pas le matériau le plus approprié pour obtenir des formes gracieuses. Les plus courageux osaient utiliser l’acier. Certains affirmaient que la carrosserie était réalisée alors réalisée par martelage. En plus des dispositifs de pliage et des maillets faits maison, ces artisans audacieux pratiquaient l’estampage - par explosion. Ils fabriquaient une matrice en sable et utilisait un dispositif de mise à feu (à distance pour plus de sécurité) pour former les pièces !
Imaginez le travail nécessaire en 1964 pour fabriquer à partir de 57 (!) pièces de métal récupérées dans une décharge le capot d’une voiture symboliquement baptisée Troud (travail en russe justement) ! Cette voiture avait également un moteur trois cylindres de conception maison.
La conception de la carrosserie et aussi de la mécanique fut la tendance suivante du mouvement des samodelkas - une des étapes les plus brillantes de son histoire. Pendant cette période, nos constructeurs amateurs ont maîtrisé un nouveau matériau très pratique, la fibre de verre.
Légende des photos :
- L’une des premières samodelkas soviétiques : une « grand tourisme » réalisée en 1937 par un certain Ivanov sur un châssis de GAZ-A.
- Une samodelka typique des années 1950-1960. On n’avait pas le temps pour l’esthétique et la technologie. L’essentiel était de pouvoir rouler !
- La « Troud » de A. Kucherendko avec une carrosserie en métal et un moteur fait maison date de 1966.
- Ce dessin du styliste de NAMI, Edouard Malchanov, est l’un des rares qui a ensuite donné vie à une voiture.
- Le coupé Elbrouz-1 de 1962 a été fabriqué à l’usine de réparation automobile de Naltchik. C’est probablement l’une des premières samodelkas équipée d’une moteur de GAZ-21.
Lu sur : https://www.zr.ru/content/articles/923004-to-chego-ne-mozhet-byt/
Adaptation VG