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Comment la Moskvitch a duré sur la chaîne.

C’était il y a longtemps, il y a si longtemps qu’il n’y avait même pas encore de Jigoulis. C’est en 1964 à Moscou, chez Moskvitch, qu’a été lancée la toute nouvelle 408, un modèle qui sera produit jusqu’à l’aube du XXIème siècle. 36 ans sur la chaîne... Si cela ne constitue pas un record, cela mérite le respect. Quelles sont les raisons qui ont mené à un tel exploit ?

Il fut un temps en URSS où les modèles de voitures étaient renouvelés au même rythme que dans le monde développé : tous les cinq ou six ans. Personne ne pensait fabriquer cette Moskvitch-408 jusqu’à la fin du siècle (on parle bien entendu du XXème siècle) d’autant plus que parallèlement à son lancement en 1964, Moskvitch avait commencé à concevoir ses remplaçantes, les modèles de la gamme 3-5. Alors que l’URSS essayait de fixer ses priorités : la construction de VAZ, le rééquipement de l’usine Izhmach, la modernisation de MZMA ou le développement de ZAZ, on a commencé à produire le nouveau modèle par étapes. Cette pratique était typique de l’industrie automobile soviétique : sans arrêter leur chaîne de fabrication, MZMA, ZIL ou UAZ étaient capables de lancer un nouveau modèle.

Pour respecter le plan quinquennal, on pouvait ainsi fabriquer une voiture avec l’ancienne carrosserie, mais avec la moteur, la transmission ou la suspension du « futur » modèle. C’est pourquoi on a d’abord changé le moteur sur la 408. L’obsolète moteur 1,3 litres a été remplacé en 1967 par un moteur 1,5 moderne avec un taux de compression élevé, fiable et conçu pour durer longtemps. Rebaptisé 412, ce modèle a durant longtemps et dans de nombreuses versions été produit sur les chaînes de montage de deux usines différentes (à Moscou et à Ijevsk). Mais la version avec le vieux moteur de 408 est aussi restée en production encore 15 ans !

Malgré le fait que la MZMA rapportait beaucoup de devises au pays (jusqu’à 60% des Moskvitch ont été exportées), on ne lui a pas donné d’argent pour mettre en production une nouvelle génération de modèles. On pourrait écrire un article spécifique pour en expliquer toutes les raisons mais il y a plus intéressant : comment les ingénieurs de MZMA ont-ils pu maintenir l’attractivité de ce modèle vieillissant aux yeux du consommateur ?

La réponse est simple. Ils ont appliqué des recettes universellement connues dans tous les pays et sur tous les continents :

  • en appliquant à l’extérieur les dernières tendances en matière de style,
  • en améliorant le confort, l’habitabilité, les performances, la consommation,
  • en mettant à niveau ces caractéristiques techniques pour accroître la fiabilité, réduire les coûts d’entretien,
  • en éliminant les défauts de jeunesse.

A l’époque de leur lancement en 1964, les Moskvitch 408/412 étaient modernes mais leurs concepteurs savaient qu'elles devraient être modifiées dans un délai maximum de cinq ans :

  • en rafraichissant le style de la partie arrière : les ailes arrières en forme d’ailerons devraient être remplacées par quelque chose de plus sobre,
  • en améliorant la tenue de route car avec une moteur puissant (75 ch) la voiture tanguait à environ 120 km/h et prenait beaucoup de roulis dans les virages serrés,
  • en rendant l’intérieur plus confortable.

Idéalement, il aurait fallu une carrosserie entièrement nouvelle à cette nouvelle Moskvitch : plus large et avec des parties roulantes plus modernes et plus adaptées à la conduite à haute vitesse. C’est pourquoi on a commencé à travailler sur la série 3-5, un futur modèle pour la fin des années 1970, début des années 1980. Mais les circonstances ont fait que les ingénieurs, d’abord chez MZMA (rebaptisé AZLK en 1968), puis chez Izhmach, ont dû continuer à tirer le maximum de la vieille 408. Ils étaient d’ailleurs conscients qu’il ne fallait pas s’attendre à des miracles.

Le premier restyling important date de décembre 1969 : la 408 et la 412 (en fait il s’agissait d’une seule et même voiture mais avec des moteurs différents) a été modifiée. De nouvelles ailes, un nouveau panneau arrière, un nouveau couvercle de coffre et des feux horizontaux sous des clignotants triangulaires permettent de rafraîchir vraiment un style qui s’accompagne aussi d’une nouvelle calandre. Les phares des modèles produits à Moscou deviennent en plus rectangulaires.

L’intérieur aussi a été modernisé : dès 1968 des sièges avant séparés ont remplacé la banquette, un tableau de bord moussé a fait son apparition et le levier de vitesse a migré au plancher. Cette dernière décision fut controversée car on considérait ce levier moins pratique. Mais on ne pouvait rien faire contre la mode...

Au même moment la voiture a été adaptée pour se conformer pleinement aux normes de sécurité internationales (CEE ONU) offrant au modèle de nouvelles perspectives de succès sur les marchés étrangers. Le plus important était l’adaptation d’un système de freinage à double circuit et d’une colonne de direction rétractable en cas d’impact. Des points d’ancrage pour des ceintures de sécurité ont aussi fait leur apparition et plus tard les ceintures ont fait partie de l’équipement de base. A l’été 1973, le levier de frein à main a été déplacé du bas du tableau de bord sur le tunnel central. Nombreux ont cru à tort que c’était encore une question de mode, mais c’était aussi pour répondre à une exigence de sécurité passive. Désormais en cas d’accident, le conducteur ne risquait plus de se faire casser le genou par la poignée en pistolet du frein à main !

Un autre point important sur lequel tous les constructeurs travaillaient à l’époque était la réduction des opérations d’entretien. Peu à peu, les Moskvitch ont aussi subi des améliorations en ce sens. Ainsi en 1965, on a commencé à utiliser sur les moyeux avant des roulements à rouleau plutôt que des roulements à billes et à la fin de 1968 on a aussi supprimé les antédiluviens joints de cardan en liège (oui, de bois !) à la faveur de joints en caoutchouc capable de garder la graisse pendant toute la durée de vie du cardan. Six mois plus tard, la suspension avant a été montée sur silentblocs ne nécessitant donc plus de réglages réguliers. En même temps, des pneus M-107 en version tubeless ont fait leur apparition.

Un pas important a été franchi en janvier 1976, lorsque AZLK a lancé la Moskvitch 2140. Il s’agissait d’une sérieuse modernisation de la 408/412. Non seulement la voiture recevait de nouveaux panneaux extérieurs de carrosserie mais en plus elle était mécaniquement différente : système de refroidissement avec antigel, carburateur « économique » DAAZ, freins à disques avec un système original à double circuit, circuit électrique modernisé, nouvel intérieur avec un niveau supérieur de confort... Il s'agissait d'une tentative de rivaliser avec les VAZ à la popularité croissante mais qui échoua en raison d’une qualité inférieure. Le modèle 2140 n’a d’ailleurs pas eu beaucoup de succès sur les marchés étrangers.

Pendant ce temps, l’Usine de construction mécanique d’Ijevsk où l’on produisait depuis 1967 un clone de la Moskvitch 412 continuait son bonhomme de chemin. Les Moskvitch produites ici n’ont jamais reçu de phares rectangulaires, ne se sont vues monter que le moteur 1,5 litre type 412 (si on ne compte pas les modèles de pré-série de 1967) et les garnitures et selleries intérieures étaient beaucoup plus ennuyeuses. Cependant en 1980, les voitures ont eu le droit à des freins assistés, puis un peu plus tard des disques à l’avant avec témoin d’usure des plaquettes ainsi qu'un carburateur DAAZ plus moderne, améliorant la consommation et les performances de la voiture. Ijevsk n’a jamais connu de modernisations aussi radicales que Moscou mais en 1982, on a redessiné la partie avant, intégré les poignées de portières et ajouté à l’intérieur des pièces moussées.

Les ingénieurs des deux usines ont dû combattre un certain nombre de maladies de jeunesse pendant au moins les vingt premières années de production. Par exemple, pour améliorer les démarrages à froid, ils ont installé un démarreur de plus forte puissance et remplacé la batterie 42A par une de 55A en 1972. Le dispositif de chauffage a été redessiné deux fois pour résoudre le problème du gel du radiateur (on connaissait déjà l’antigel à l’étranger mais les soviétiques n’en rêvait même pas...). Quand en 1981, ils ont modifié le sens de circulation du liquide dans le circuit de refroidissement les conducteurs ont enfin pu avoir chaud à bord de leur Moskvitch.

On a aussi longuement lutté avec la qualité de la transmission mais sans jamais réussir à trouver un fournisseur extérieur. Jusqu’à la fin de leur vie, les Moskvitch et IZH à propulsion ont donc souffert de vitesses dures à passer ou qui sautent et de vibrations dans l’arbre de transmission.

Côté châssis, les problèmes étaient également nombreux surtout avec les conducteurs abusant des nids de poule. Le prix à payer était une usure relativement rapide des silentblocs et des biellettes de direction. Cette fragilité a été traité seulement 20 ans après le début de la production, en 1984, en augmentant la longueur des coussinets en caoutchouc. En 1976, leur durée de vie avait déjà été portée à 50 mille kilomètres par l’introduction de pièces avec des doublures en plastique.

La direction a été modifiée plusieurs fois. En fait, elle était déjà plutôt bonne : légère et assez précise malgré ses six articulations à la faible longévité. Le boîtier de direction a toujours été extrêmement solide : il peut durer 30 ans sans aucun entretien. C’est autour de lui que toutes les modernisations ont été effectuées. Lorsque le levier de vitesses est passé au plancher, la colonne de direction est devenue télescopique.

Même si dans le système socialiste, apporter des petites améliorations pour attirer les clients n’était pas de mise, on a malgré tout créé, aussi bien à Moscou qu’à Ijvesk, des versions spécifiques de Moskvitch pour des clients de niche. Par exemple, les versions « export » avec quatre phares, produites entre 1967 et 1969, se sont particulièrement bien vendues à l’Ouest. Autre exemple, entre 1967 et 1985 on a fabriqué à Moscou un break et l’on a aussi construit jusqu’en 1981 une fourgonnette tôlée à trois portes.

Un pas impressionnant pour s’adapter aux besoins du consommateur a été effectué avec une version « rurale » de la Moskvitch, le modèle 21406 produit en série à partir de 1978 avec une garde au sol surélevée, une suspension renforcée et un moteur au taux de compression moins élevé pouvant accepter des carburants de moindre qualité. S'il y a aussi eu quelques versions très spécifiques (adaptation pour les handicapés, taxi, service médical), la véritable révolution pour le consommateur soviétique a été la Moskvitch 2140 Luxe (connue aussi sous le nom de 1500 SL). C’était un modèle conçu pour l’exportation avec un intérieur plus riche, en particulier au niveau du tableau de bord, des pare-chocs en plastiques totalement originaux et des optiques arrière exclusives. Ce modèle a connu un certain succès à l’étranger même si lors de son lancement en 1980 il était déjà clairement dépassé techniquement.

A Ijevsk aussi on a pu développer une gamme très riche. En 1973 a été lancée la IZH Kombi, un modèle révolutionnaire (et pas seulement en URSS) avec une carrosserie liftback originale à cinq portes, entièrement construite sur la plateforme de la Moskvitch 412. Un an plus tôt, sur la même base, IZH avait lancé la fourgonnette IZH-2715, un modèle super populaire puisqu’il a été fabriqué jusqu’en 2001, faisant ainsi entrer la « 412 » dans le XXIème siècle.

Il aura donc fallu une trentaine d’année aux ingénieurs pour faire une voiture normale ? Pourquoi ne pas avoir fait cela dès le début en 1964 ? Cela n’est pas exactement cela. A son lancement, la Moskvitch 408/412 était tout à fait dans l'air du temps et tous les changements qu’elle a connu ont permis de suivre les progrès technique, une méthode plus rapide que de devoir lancer de nouveaux modèles. Si les constructeurs mondiaux adoptent en permanence les dernières innovations sur leurs derniers modèles, Moskvitch a dû en adapter au moins quelques-unes sur un produit vieillissant. Bien sûr à la fin, cette voiture était en retard sur le monde entier mais ce retard devait être rattrapé par la Moskvitch 2141, une traction avant moderne. Mais c’est une autre histoire...

Lu sur : http://www.kolesa.ru/article/tridcat-shest-let-restajlingov-chem-moskvich-derzhalsja-za-konvejer-2016-03-31
Adaptation VG

Tag(s) : #Histoire, #Anecdote, #Moskvitch, #408, #412, #IZH