« Le matin dissipait le brouillard suspendu au-dessus du village. Des champs labourés la veille montait une odeur de terre et d’essence. Les kolkhoziens abandonnaient leurs vélos pour aller démarrer leurs machines agricoles. La journée de travail allait commencer ». C’est bien pour eux que les crossovers ont été créés. Pas pour parcourir les rues pavées de nos villes. Et contrairement à ce que beaucoup pensent, les premiers crossovers ne sont pas les AMC Eagle américaines, mais les GAZ-M72 et Moskvitch-410 soviétiques !
Dans l’ex-URSS, le terme de « tout-terrain » désignait seulement les UAZ et la Niva. Puis, la Russie a commencé à être envahi massivement par la Toyota RAV4 et Honda CR-V. On s’est mis à parler de crossover, un terme utilisé pour désigner quelque chose entre la voiture particulière et un tout-terrain traditionnel. Pourtant, il faut savoir que les ingénieurs soviétiques avaient déjà mis en application ce principe bien avant les Japonais...
L’idée de croiser une voiture particulière avec un tout-terrain date de la Seconde Guerre Mondiale. Les Allemands, les Américains et les Soviétiques, quoique dans une moindre mesure pour ces derniers, vont fabriquer en série des voitures de ce type. En 1940, débute la production de la GAZ-61 (cette voiture fabriquée à partir d’une « Emka » six cylindres plaisait beaucoup aux maréchaux Joukov, Konev et Rokossovski). En 1949 on fabrique la ZIS-110Ch. Il s’agit de la grosse limousine habituelle des membres du Comité Central du PCUS équipée des ponts et de la transmission d’un Dodge WC51 américain ! Mais ces deux modèles sont quasiment produits à l’unité. La GAZ-61 ne va être assemblée qu’à 238 exemplaires, quand la production de la ZIS-110Ch (et sa version ultérieure ZIS-110P) ne dépassera pas la dizaine.
Une étude plus sérieuse d’une « voiture particulière à capacités accrues » est lancée au milieu des années 50, quand Khrouchtchev fait cette recommandation aux représentants de l’industrie automobile : « Faites donc une voiture pour les kolkhoziens ! ». Il faut dire que les agriculteurs manquent de véhicules tout-terrains, l’Armée Rouge « absorbant » la majorité des GAZ-69 alors produits.
GAZ est le premier à répondre à la demande de Khrouchtchev. En 1955 débute la production de la GAZ-M72 à quatre roues motrices, un modèle qui se présente comme le croisement entre une Pobeda et le UAZ d’Oulianovsk. Peut-on la considérer comme un crossover ? Oui ! Carrosserie autoporteuse, garde au sol élevée et quatre roues motrices. Mais pour un kolkhozien cette nouvelle voiture s’avère... trop confortable ! Les sièges recouverts de laine sont mous et brillent par leur teinte pastel : ils ne sont pas adaptés pour les salopettes pleines de graisse et les bottes crottées. Il n’est donc pas surprenant que parallèlement à cette GAZ-M72 luxueuse pour son temps, une version « simplifiée » est créée, la M73.
Un groupe d’ingénieurs dirigé par Grigory Wasserman, élève du « roi du tout-terrain » Vitaly Gratchev, réalise alors un crossover compact à la mécanique Moskvitch qui ne ressemble à aucun modèle existant. Il reprend la carrosserie de la 402, largement modifiée puisqu’ils ont transformé la berline 4 portes en pick-up bien pratique et en... coupé ! Les essayeurs sont bluffés par ses capacités de franchissement. Avec une longueur de 3430 mm (à titre de comparaison, l’Oka fait 23 centimètres de moins), la GAZ-M73 est capable de surmonter tout ce que l’on peut rencontrer dans la campagne : routes boueuses, ornières laissées par les tracteurs, labours. Elle ne sera pourtant pas fabriquée en série : l’usine n’avait pas les capacités de production suffisante...
La M73 va pourtant servir pour les ingénieurs de MZMA (la future AZLK) qui vont étudier une version à quatre roues motrices de la Moskvitch-402. En 1957, est lancée celle qui porte le nom de Moskvitch-410 : les ponts sont spécifiques, la suspension à ressorts et les amortisseurs à levier (!), la transmission raccourcie et la garde au sol de 430mm en font un vrai tout-terrain ! Mais la nouveauté n’est pas parfaite. De nombreux utilisateurs vont par exemple écrire au journal Za Roulem pour parler de la nouvelle Moskvitch-410. V. Timouchenko de Krasnodar demande ainsi : « Est-il possible de supprimer toutes ces vibrations ? ». V. Zheloudev d’Orcha s’interroge : « Peut-on transformer la Moskvitch-410 en Moskvitch-407 ? ».
Pourquoi n’étaient-ils pas satisfaits de la voiture ? Elle souffrait de défauts majeurs : en devers, elle se renversait facilement. La carrosserie n’était pas assez rigide : les longerons et les montants se tordaient... Les ingénieurs ont tenté de résoudre ce dernier défaut d’une manière inhabituelle. Au lieu de prendre la carrosserie de la berline, ils ont utilisé la carrosserie cinq portes plus rigide du modèle 423. Mais finalement, Moskvitch va mettre un terme à la production de modèles à transmission intégrale. La raison officielle : l’usine doit consacrer sa production à l’exportation.
Légende des photos :
- Les ingénieurs de Gorki n’ont pas seulement associé la carrosserie d’une Pobeda à un châssis de GAZ-69. Il ont créé une voiture totalement nouvelle. Ils n’ont emprunté au GAZ-69 que le pont avant et la boîte de transfert. La carrosserie reçoit 14 renforts additionnels et un nouveau berceau moteur. Détail intéressant : la GAZ-M72 est la première voiture soviétique équipée d’un lave-glace !
- La production du premier crossover au monde est passée quasi inaperçue. Si la Pobeda a été produite à 236 mille exemplaires, il n’a été fabriquée qu’à 4677 de M72. Il n’est donc pas étonnant que ce modèle (à gauche) et le prototype M73 soient si peu connus du grand public. Pourtant, les essayeurs ont indiqués qu’elles n’avaient rien à envier au GAZ-69 en terme de franchissement.
- Le moteur de la 410 ne développait que 35 chevaux ! Ce manque de puissance était compensé par le faible poids, des dimensions de roues et une démultiplication de transmission adaptées. Ce modèle est modernisé en 1958 et reçoit la carrosserie de la 407, un moteur de 45 chevaux et une boîte à 4 rapports (il n’en n’avait que 3 auparavant). On l’appelle désormais 410N.
- De 1957 à 1960, Moskvitch a fabriqué 11,890 tout-terrains, y compris le break 411 (en bas à gauche) et la berline 410N (en bas à droite). Une partie des voitures a été détruite lorsqu’elles n’étaient plus réparables (c’est souvent le cas des 410), une autre partie sont tombées en ruine (carrosserie qui se fissure et qui rouille). La Moskvitch-410 est désormais une vraie rareté.
Lu sur : https://auto.mail.ru/article/38632-pervye_v_mire_krossovery/
Adaptation VG