Iouri Kostioukovitch, ancien ingénieur chez VAZ, est la modestie-même : « Vous voulez essayer ma Kalina 4 roues motrices de 178 ch ? Non, pas la peine de plateau porte voiture, je viendrai de Togliatti par mes propres moyens... ». A 58 ans, Iouri a construit lui-même cette super Kalina. Non seulement ses quatre roues sont motrices mais en plus elle dispose de... deux moteurs !
- « Pour commencer il faut avec la clé habituelle pour démarrer le moteur avant, indique Iouri. Ensuite vous mettez le contact du moteur arrière avec cet interrupteur à bascule et vous appuyez sur le bouton à côté. C’est son démarreur ».
Iouri Kostioukovitch est parti d’une Kalina ordinaire. Il a ensuite acheté un autre moteur 1,4 litre 16, une autre boîte de vitesse, et installé le tout derrière les sièges avant en modifiant seulement la commande de vitesses. La balance montre que le poids de la voiture a augmenté d’environ 25% (il passe de 1080 à 1339 kg), mais la répartition des masses est proche de l’idéal avec 52% sur l’essieu avant et 48% sur l’arrière. Et comme les deux moteurs sont synchronisés que ce soit pour les vitesses ou pour le régime moteur, il n’y a pas besoin d’un différentiel central !
Après le démarrage du second moteur, un frisson parcourt la Kalina. Le niveau de vibration est proche de celui d’une voiture de course. « Le moteur arrière est boulonné directement au châssis. Il n’y avait pas la place à cause du réservoir de carburant pour mettre des silent-blocks. On ne pouvait pas le changer de place car sinon la voiture n’aurait pas pu être homologuée ».
Pour enfoncer l’embrayage et passer la première, il faut une force herculéenne. Après c’est plus facile. Pas la peine de mettre les gaz. A deux moteurs, il y a suffisamment de couple. La première est courte. Le levier commande simultanément les deux boîtes de vitesse ! Il suffit ensuite d’appuyer à fond l’accélérateur pour voir le paysage défiler rapidement par la fenêtre. Le couple est impressionnant. Quatrième rapport à 1000 tr/min. Accélérer ? Facile ! Cinquième. Pas de problème. Une vraie locomotive à vapeur.
Si vous insistez vraiment sur l’accélérateur, la Kalina bimoteur se cabre, comme un spermophile sur ses pattes de derrière, et on a l’impression de perdre le train avant. Dans ces conditions, la voiture est pourtant capable d’atteindre les 100 km/h en huit secondes et de parcourir les 400 mètres en 15,7 sec. Ce sont les mêmes performances que les Renault Clio RS ou Opel Corsa OPC pourtant plus légères !
- « La suspension arrière est trop molle, se plaint Iouri. On y trouve encore les ressorts avant d’origine. Selon les calculs ils devraient être plus durs d’un tiers ».
Il doit encore travailler sur le comportement routier. La voiture ressemble encore trop à une Kalina de série. Direction assistée électrique peu informative, roulis, réactions lentes. Sans une sérieuse intervention, les maladies congénitales de la Kalina ne seront pas corrigées. Mais cette Kalina bimoteur se conduit facilement : il n’y a qu’à la limite que l’on peut la sentir partir en léger dérapage. Les pneus, des Yokohama C.Drive A01 en 185/55 R15 à l’avant et 195/50 R15 à l’arrière, semblent légèrement dépassés. La taille différente des pneus est là pour compenser ce que Iouri n’a pas encore pu faire sur la suspension. Les jantes sont également différentes entre les deux essieux. Etonnamment, on trouve encore des tambours à l’arrière. C’est pour faciliter son immatriculation ! S’il avait changé les freins, cela aurait peut-être été impossible. La puissance des freins arrière est insuffisante vue l’augmentation du poids. La distance de freinage qu’Autoreview.ru a mesuré depuis 100 km/h est de près de 52 mètres.
Sur la route, la Kalina bimoteur consomme 8,9 litres aux 100 km. C’est un chiffre plus qu’acceptable pour une voiture de cette puissance. A l’avenir, Iouri Kostioukovitch envisage d’améliorer la suspension, de travailler sur les freins et de modifier...
- « Il serait beaucoup plus intéressant d’installer un accélérateur électronique et de jouer avec différents algorithmes pour distribuer la puissance sur les deux essieux » indique rêveusement Iouri.
Depuis l’époque de l’URSS, Iouri Kostioukovitch a été l’auteur de 3 inventions et est le propriétaire de quatre brevets dans le domaine des moteurs à combustion interne. Diplômé de l’Institut MAMI, il s’est retrouvé par hasard à Togliatti. Il a travaillé pendant cinq ans sur le système de lubrification des moteurs rotatifs puis est passé au département compétition. Sa première mission a été de travailler sur une famille de culasses 16 soupapes sur le moteur VAZ-2105...
- « C’est là que j’ai appris une chose : ne pas avoir peur des solutions audacieuses ».
Il se souvient avec plaisir de l’époque qui a suivi la Pérestroïka, quand pour sortir de la routine de son travail à l’usine, il a commencé à construire sa première voiture. Il s’agissait d’une ZAZ-965 rouge avec un moteur de Samara monté transversalement. Elle a été essayée par Autoreview en 1995 qui indiquait que c’était la voiture la plus techniquement avancée du moment et un projet technologiquement très abouti. Il a ensuite signé en 1999 le roadster jaune vif Erivoki RS à moteur de Porsche : châssis cage en tubes d’acier et carrosserie en plastique. En 2003, Iouri Kostioukovitch a été l’un des initiateurs et l'un des
concepteurs de la Lada Révolution, mais...
- « A l’origine, elle était censée être une voiture peu coûteuse capable de circuler sur route ouverte. C’est ce qu’était la première Révolution. Mais qu’a-t-on fait d’elle ensuite ? »
Il ne s’est intéressé aux voitures bimoteur que beaucoup plus tard. En 2006 il a construit un tout-terrain deux places, dont les formes anguleuses rappelait le célèbre Lamborghini LM002. La répartition idéale du poids et la transmission permanente aux quatre roues lui offraient de très bonnes capacités de franchissement.
Iouri Kostioukovitch a aussi travaillé sur des projets « civils » :
- « Vous savez que pour la version modernisée de la Niva en 2009 on prévoyait initialement un moteur turbo ?
- Pourtant le budget pour cette modernisation n’était que de 150 millions de roubles. Cela aurait suffi pour étudier et mettre en production un moteur entièrement nouveau ?
- Cela n’aurait pas coûté plus de 30 millions. Il existe des solutions qui peuvent être appliquées sans crainte pour la sécurité. Mais les gens étaient réticents : les patrons n’ont tout simplement pas voulu prendre de risque... ».
C’est peut-être pour cela que Iouri Kostioukovitch a quitté AvtoVAZ en 2008 en laissant derrière lui un bel héritage. Le blocage de différentiel, les pistons, les bielles que proposent de nombreuses sociétés de Togliatti ont été dessinés par lui. Il roule tous les jours dans une Audi A3 2.0 TFSI avec une boîte séquentielle.
- « En tant qu’ingénieur, j’étais très curieux de savoir comment fonctionne la transmission à double embrayage d’Audi. C’est une solution intéressante et élégante. La Kalina, c’est pour m’amuser. J’ai offert cette voiture il y a deux ans à mes parents pour leur anniversaire et j’ai décidé de faire quelque chose avec. En refaire d’autres ? Pas de problème. Je suis prêt à vendre toute la documentation technique et faire fabriquer les pièces spécifiques. Mais le client devra modifier la voiture lui-même ».
Iouri Kostioukovitch essaie de vivre aujourd’hui avec la vente de ses brevets. Il a par exemple conçu un système original d’arbre à cames variable. Les constructeurs russes ne sont pas intéressés mais il essaie désormais d’établir le contact avec des géants de l’automobile étrangers...
Légende des photos :
- Le moteur arrière a été retourné. Il s’agit d’un 1,4 litre standard de 89 ch. Il est installé à droite et la boîte de vitesse à gauche. Les deux gros tuyaux sont des conduits d’air. L’un pour l’admission l’autre pour l’échappement.
- Le radiateur arrière provient de la Niva. Il est monté horizontalement. Pour une meilleure circulation de l’air, Iouri a supprimé les joints du hayon. Lorsque le radiateur se déclenche, les vitres arrières s’ouvrent automatiquement ! Lorsque le premier ventilateur démarre, elles s’ouvrent à moitié. Quand intervient le second, elles s’ouvrent complètement ! C’est pour cela qu’on trouve des feuilles mortes et de la poussière dans le compartiment moteur !
- L’interrupteur à bascule noir sert à mettre le contact du moteur arrière. Le bouton à côté, à le démarrer. Les deux interrupteurs sur le côté du tunnel de transmission commandent l’ouverture des vitres arrières. Les deux voyants rouges informent d’un problème de pression d’huile ou de surchauffe du second moteur.
- La suspension arrière est identique à celle de l’avant. Mais le positionnement des roues et la cinématique de suspension sont sensiblement différents : le carrossage négatif est plus important à l’arrière et le bras inférieur est en position plus horizontale.
- Derrière les sièges on trouve une plaque en acier rivetée.
- La roue de secours se trouve derrière le siège passager : la Kalina bimoteur n’a pas de coffre à bagages !
- La pédale d’embrayage est en fait doublée, comme l’accélérateur !
- Comment synchroniser la commande de vitesses avec un seul levier ? Voilà la réponse.
- Le puissant faux-châssis en tubes d’acier de section rectangulaire estrenforcé avec une plaque d’aluminium vissée de 10 mm d’épaisseur. La Lada Révolution avait-elle aussi deux échappements SuperTrapp de motos débouchant au centre du pare-choc.
- Les bras de suspension ne touchent pas le réservoir d’origine. Au niveau des écrous, la garde au sol est de 152 mm. Le carter de boîte de vitesse a été modifié. Le mécanisme de sélection des vitesses est monté sur le côté opposé.
- La suspension (avant et arrière de type McPherson) manque clairement de rigidité. Après cet essai très dynamique, de l’huile suintait des poussoirs hydrauliques sur le moteur arrière !
Les enfants de Iouri Kostioukovitch :
- La Zaporojets rouge avec un moteur VAZ-21081 de 1,1 a été essayée par Autoreview en 1995. Son empattement est rallongé de 200 mm, la suspension arrière de type McPherson provenant de la Samara est indépendante, les prises d’air latérales spectaculaires s’inspirent de la Ferrari Testarossa. Et la voiture était aussi dynamique que son look !
- La toute première Lada Révolution date de 2003. C’est un projet important de la carrière de Kostioukovitch. Il a tout conçu : du moteur 1,6 litre 215 ch,, en passant par la commande de boîte ou la suspension. « C’était une voiture de course bon marché capable de se rendre sur le circuit par ses propres moyens ».
- Malheureusement les créateurs de la NGSA ont vite oublié cette idée principale.
- Roadster Erivoki RS à moteur central, réalisé en 1999. Le précurseur de la Lada Révolution. Le châssis en acier est habillé de carbone kevlar. De nombreuses pièces étaient en titane. Le moteur est un 3,8 litres développant 320 ch provenant d’une Porsche 911 Carrera S.
- La première voiture bimoteur créée par Iouri Kostioukovitch. Le tout-terrain Erivoki 2+2 X4 datant de 2006. Il voulait remplacer le moteur 1,5 litre VAZ-21083 à carburateur est poussé à 100 chevaux par un 16 soupapes de 165 ch et une boîte séquentielle Pourquoi ? Pour participer à au moins une course de rallye-raid.
Lu sur :
http://www.autoreview.ru/_archive/section/detail.php?ELEMENT_ID=122049&SECTION_I\ D=6869
Adaptation VG