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Le 30 novembre 2011, nous célébrons le 70e anniversaire de l'Usine Automobile d'Oulianovsk (UAZ). Cela permet de nous rappeler que la guerre a permis de construire cette nouvelle usine en 12 mois.
Cela se passait en octobre 1941 :
- "Papa, papa, quand reviendras-tu ?" L'enfant en larmes, enveloppé jusqu'au nez avec son foulard, essaie de crier avec sa voix fluette à travers une foule immense.
- "Bientôt, mon fils, bientôt ..." Répond son père de sa voix fatigué, bien qu'il n'a aucune idée quand il pourra revoir sa famille.
Le tâche qui se présente paraît insurmontable. Ces hommes ont dix jours pourdémonter tous les équipements de l'Usine Staline de Moscou et les charger sur des trains. Selon les calculs préliminaires, il va falloir huit mille wagons de marchandise mais même de simples cordes ou les treuils manquent cruellement. Cette pensée traverse ce simple mécanicien : "A quoi bon faire tout cela pour l'usine, je vois peut-être ma famille pour la dernière fois. Les Allemands se rapprochent de Moscou !". Il n'a même pas le temps de dire au revoir à ses proches, comme tout être humain. La foule se met en marche, la silhouette élancée de sa femme disparaît instantanément et la voix larmoyante de son fils n'est plus qu'un lointain murmure... C'est ainsi qu'a commencé l'histoire de l'Usine Automobile d'Oulianovsk.
La décision de sauver l'industrie, en déplaçant de Moscou vers l'Est les entreprises importantes les plus stratégiques, n'a été prise que lorsque le front a commencé à se rapprocher de la capitale soviétique : le 12 octobre 1941, les bombardiers de la Luftwaffe ont effectué un premier raid sur l'Usine Staline de Moscou et le 15 octobre, la direction de cette même usine reçoit l'ordre de commencer l'évacuation sur le champ. A 19h00, la chaîne qui produit le camion ZiS-5 est arrêtée et le déménagement débute. C'est une opération qui peut être qualifiée d'héroïque. Il suffit d'imaginer que pendant 11 jours, les ouvriers ont démantelé l'usine et charger les 12,800 pièces d'équipements sur 7,708 wagons et plateformes ferroviaires ! Les hommes leur ont emboité le pas : 6,907 ouvriers et 7,259 membres de leurs familles ont été envoyés à Miass, Troïtsk, Chadrinsk et Oulianovsk.
Oulianovsk était alors un petit centre urbain de 105,000 habitants de la région de Kouibitchev. Mais le manque de personnes nécessaires à la construction d'une usine automobile se fait vite sentir et près de 90,000 habitants de Moscou sont ainsi évacués vers Oulianovsk. C'est à la main, sans aucun équipement qu'ils vont décharger les trains (des dispositifs rudimentaires ont été réalisés avec des rondins de bois et des cordes) et bâtir dans un délai extrêmement court une usine capable de produire des voitures et de l'armement. En plein champ ! Il n'y aucune source d'électricité à porté de main. C'est une locomotive diesel-électrique qui va fournir cette énergie. La réinstallation des machines et équipements provenant de Moscou va aussi être problématique : lors de l'évacuation elles ont été littéralement "déracinées" au chalumeau et au pied de biche.
Si l'on regarde la chronologie des évènements, le 30 novembre 1941 (cette date est considérée comme la date de naissance de UAZ), la société a été enregistrée comme "Usine Automobile d'Oulianovsk, du nom de Staline" et 4 mois plus tard, en février 1942, l'usine fraichement renommée en OulZIS fabrique ses premières bombes d'avions. En mars de la même année, elle produit ses premières pièces mécaniques et les premiers camions ZIS-5 sont réalisés en avril. Certes ils n'avaient pas de moteurs, car à l'Usine de Miass on n'avait pas réussi à en lancer la production. Mais en octobre, quand la livraison régulière de moteurs a été assurée, la chaîne était capable de produire 60 camions par jour ! Moins de 12 mois après le début de son évacuation, l'usine recommençait à produire à pleine cadence.
Au début, la nouvelle usine OulZIS produisait des camions plateaux ZIS-5 d'avant-guerre, avec des pièces provenant de l'usine moscovite évacuée. Mais dès la fin d'avril 1942, sont assemblés les premiers ZIS-5V (avec un V comme "de guerre"), une version simplifiée de ce camion de 3 tonnes, conçue par I. Hermann. Par rapport à la version civile, les solutions techniques de base ne différaient pas fondamentalement : ce camion était mu par un six cylindres 5,6 litres de 73 chevaux, capable de fonctionner non seulement avec des carburants à faible indice d'octane, mais aussi au kérosène. La boîte de vitesse à 4 rapports était bien sûr mécanique.
Fait intéressant, le ZIS-5 "de guerre" avait beaucoup maigri : les camions d'avant-guerre pesaient plusieurs quintaux de plus ! Cette cure d'amaigrissement a été possible en faisant de nombreuses économies. La cabine métallique est remplacée par une cabine en bois et le toit en contreplaqué et en simili-cuir est remplacé par une simple toile recouverte de peinture à l'huile. Le siège du conducteur voit ses précieux ressorts en acier remplacés par une simple planche en bois recouverte de mousse. On note aussi l'absence de freins avant, de phare droit et la plateforme de chargement et le plancher de la cabine sont en bois massif. Au total, ce camion pèse 214 kg de moins... Mais le plus important est qu'il peut être fabriqué par des personnes âgées, des femmes et des enfants, puisqu'on n'a pas d'autre main d'œuvre disponible. Tous les hommes valides ont été envoyés au front.
Outre le ZIS-5, l'Usine d'Oulianovsk a pu assembler une centaine de "Studer", des camions Studebaker US6 à six roues motrices, que les Américains avaient fournis aux Soviétiques en lend-lease. Les ingénieurs, venus de Moscou, ont pu non seulement résoudre les problèmes de remise en route de la production et développer la fabrication d'un véhicule étranger... mais aussi concevoir de futurs modèles ! Le tout dans une usine qui a été longtemps chauffée par de vieilles locomotives à vapeur ! Mais le sort qui a été réservé à ces gens est assez honteux. Ils ont été "mutés" à Miass, là où la production du ZIS-5 a été complètement transférée en février 1944. C'est ainsi qu'aurait pu se terminer la production automobile à Oulianovsk...
Heureusement, après la guerre, on a confié à l'Usine d'Oulianovsk la production du camion GAZ-MM d'une tonne et demi (celui qui au départ n'était qu'une simple copie du Ford Modèle AA de 1929) qui l'a produit jusqu'à 1950 (1956 selon certaines sources). En octobre 1954, le Ministère de l'Industrie Automobile de l'URSS transfère à Oulianovsk un autre modèle GAZ, le tout-terrain GAZ-69. Jusqu'à la fin de sa vie ce modèle est d'ailleurs resté un GAZ. Il a continué à porter la marque de celui qui l'a développé (même si dans certains documents il était parfois appelé UAZ-69), et le capot était toujours estampillé des lettres GAZ...
Simultanément avec la mise en production du GAZ-69, l'Usine Automobile d'Oulianovsk obtient finalement l'indépendance technique si longtemps attendue : "d'en haut" est venue la décision de mettre en place un bureau d'étude pour concevoir des véhicules sous sa propre marque. Son premier modèle (sans équivalent dans le monde) est le fourgon UAZ-450 à quatre roues motrices, toujours produit de nos jours. Puis le UAZ-469 remplace le GAZ-69.
D'autres temps sont venus avec le lancement des Simbir, Hunter et Patriot. Mais ça, c'est une autre histoire...
Légende des photos :
- Les trains utilisées pour l'évacuation se déplaçaient très lentement, laissant passer les convois militaires qui les croisaient à grande vitesse. La majorité du parcours se faisant sur une voie unique et c'est pourquoi dans certaines gares, les trains étaient arrêtés des journées entières. La nourriture était cuite des seaux où chacun venait tremper un morceau de viande. Dans les wagons non chauffés, il faisait froid et l'on dormait tout habillé et les enfants étaient regroupés au milieu. Beaucoup d'entre eux ont souffert de bronchite, de pneumonie" se souvient un évacué au début de la guerre.
- Les équipements de production de l'Usine Staline de Moscou ont été évacués dans différentes villes : l'atelier de châssis à Oulianovsk, l'atelier de radiateurs à Chadrinsk, la fonderie, l'atelier de moteurs et de transmissions à Miass, l'emboutissage à Tcheliabinsk. C'est dans cette ville qu'a été créée l'organisation "GlavavtoZIS" qui a supervisé la réorganisation de la production sur ces nouveaux sites.
- Il est facile de faire la distinction entre le camion produit en temps de guerre et celui d'avant-guerre : le camion "du temps de paix" se distingue immédiatement par ses ailes enveloppantes et sa cabine métallique. Le ZIS-5V avait une cabine "carrée" entièrement en bois et des ailes à la forme simplifiée. L'emboutissage était réduit au maximum à Oulianovsk.
- Il est quasi impossible de trouver un exemplaire "vivant" de ZIS-5 d'avant-guerre ou tout simplement en voir un en photographie ! En 1941, quand l'armée hitlérienne a commencé à envahir le pays, près de 159 mille véhicules ont été immédiatement détruits, dont un grand nombre de ZIS-5. Durant les combats, la partie soviétique a perdu près de 351,800 véhicules de tous types... Et par comparaison, entre 1942 et 1944, OulZIS en a produit seulement 10,000 exemplaires.
- Voici à quoi ressemble la gamme "historique" de UAZ : cela va du camions ZIS-5 au Studebaker US6, en passant par les "exilés" GAZ-MM et GAZ-69. Si à peine plus de 10,000 ZIS-5 ont été produits, le GAZ-69 a été fabriqués à 597,000 exemplaires en 19 ans ! Au total, en 70 ans d'existence, UAZ a produit plus de 4,5 millions de véhicules.
- Certains historiens veulent fêter aussi l'anniversaire du logo de la marque en affirmant que ce logo qui symbolise une mouette avec la lettre russe "Ou" est apparu il y a 45 ans sur le UAZ-452. Pourtant, le Comité d'Etat pour la propriété intellectuelle a autorisé UAZ à utiliser ce nouveau logo bien plus tôt, en décembre 1963.
Lu sur : https://auto.mail.ru/article/35832-uaz-syin-voennogo-vremeni/
Adaptation VG